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Les traces ADN au service de la police: gare aux dérapages

Selon le projet du Conseil fédéral, le phénotypage ne pourrait être utilisé que pour élucider des crimes graves comme le viol, l'assassinat, le brigandage ou la prise d'otages (image d'illustration). KEYSTONE/AP/FERNANDO VERGARA sda-ats

(Keystone-ATS) Les profils ADN obtenus grâce au phénotypage dans le cadre d’affaires criminelles sont controversés. La gauche redoute une atteinte massive aux droits fondamentaux qui se manifesterait par un risque accru de profilage racial.

Actuellement, selon la loi sur les profils d’ADN, seul le sexe d’une personne peut être déterminé à partir d’une trace ADN. Le phénotypage permettra de déceler également la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, l’origine et l’âge. Les Verts rejettent totalement l’introduction de cette méthode. Le PS, lui, ne soutient la révision que si cette méthode est strictement encadrée, a-t-il fait savoir dans le cadre de la consultation close cette semaine.

Selon le projet du Conseil fédéral, le phénotypage ne pourrait être utilisé que pour élucider des crimes graves comme le viol, l’assassinat, le brigandage ou la prise d’otages. Le crime devrait passible d’au moins trois ans de prison. La méthode ne pourrait pas être employée en cas de délits tels que des dommages matériels.

Liste précise exigée

Pour les socialistes, cela va trop loin. Le parti exige une liste précise des infractions qui autoriseraient cette méthode dans le Code de procédure pénale. En outre, l’origine biogéographique doit être complètement supprimée, car il ne s’agit pas d’une caractéristique visible de l’extérieur.

Les Vert’libéraux (PVL) et le PLR demandent aussi des restrictions. Le phénotypage ne devrait s’appliquer qu’aux crimes contre la vie et l’intégrité sexuelle. En outre, pour le PS, le PLR et le PVL, ce n’est pas au ministère public d’ordonner le recours au phénotypage, mais au tribunal des mesures de contrainte.

Gare au profilage racial

Ces partis craignent également que la détermination de la couleur de la peau ne conduise à une augmentation du profilage racial. La Société suisse de droit pénal (SSDP) souligne toutefois que cette technique permet non seulement d’élucider des crimes graves, mais sert aussi à protéger des personnes justement non impliquées.

Le PDC salue lui aussi la révision. Mais il juge délicat de chiffrer la pertinence des résultats: selon l’Office fédéral de la police, les cheveux blonds peuvent être déterminés avec 69% de certitude, contre 87% pour les cheveux noirs. Les peaux pigmentées blanches et très foncées peuvent être déterminées avec une probabilité respectivement de 98% et 95%, tandis que pour les peaux mixtes, cette valeur est de 84%.

Pour le PDC et le PVL, cette méthode doit toujours rester subsidiaire: elle ne devrait être utilisée que si aucune autre source classique comme des témoins oculaires ou des images de caméra ne sont disponibles.

UDC d’accord

L’UDC est d’accord sur les points principaux de la révision, qui “améliorerait durablement” la sécurité en Suisse. Le parti semble se réjouir du fait qu’à l’avenir, avec le développement de la technologie, il sera également possible de déterminer la forme du visage et la taille du corps, par exemple.

C’est précisément pour cette raison que les Vert’libéraux demandent une modification de la loi afin qu’une liste exhaustive encadre la pratique. Il serait approprié que la loi soit à nouveau adaptée si le phénotypage devait être étendu à d’autres caractéristiques.

La Conférence des directeurs cantonaux de justice et police (CCDJP) voit les choses différemment. Pour elle, d’autres évaluations phénotypiques devraient être permises en cas de développements techniques.

Recherche en parentèle

Le Conseil fédéral entend également profiter de la révision de la loi pour autoriser la recherche élargie en parentèle. Les enquêteurs peuvent déjà utiliser cette méthode en vertu d’une décision du Tribunal fédéral pénal de 2015. Elle doit désormais être formellement inscrite dans la loi.

Les recherches élargies en parentèles sont menées lorsqu’une recherche à partir d’une trace d’ADN sur un lieu d’infraction n’aboutit pas. La banque de données ADN est alors consultée pour trouver des personnes dont le profil présente une similitude avec celui de l’auteur de la trace. Les enquêteurs pourront ensuite contacter les membres de la famille de l’auteur dans le but de l’identifier.

Les Verts’libéraux demandent que la loi précise s’il est autorisé de recourir à des bases de données ADN externes, comme des collections de sites de généalogie. Selon le parti, les autorités de certains pays l’ont déjà fait par le passé.

Délais d’effacement

La révision de la loi doit enfin simplifier les délais d’effacement des profils d’ADN dans la banque de données ad hoc. Le débat est vif sur ce point. L’UDC veut porter ce délai à quarante ans pour les auteurs de délits passibles de trois à dix ans de prison et à au moins cinquante ans pour les peines plus lourdes.

A l’inverse, le Parti socialiste considère un délai dépassant vingt ans comme disproportionné. La SSPD recommande pour sa part un relèvement de ce délai à trente ans.

Le PVL exige par ailleurs une exception permettant d’empêcher d’effacer un profil dans certains cas – notamment lorsqu’une personne condamnée continue de présenter un danger.

La révision répond à une motion du Conseil national, déposée suite au viol non élucidé d’une jeune femme en 2015 à Emmen (LU). Le Ministère public lucernois avait alors convoqué 372 personnes pour effectuer des tests ADN et vérifier leurs alibis. Ce test de masse a été l’occasion d’adapter la base juridique aux nouvelles possibilités scientifiques.

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