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Lutte contre l’impunité: la Suisse reste très frileuse

(Keystone-ATS) La Suisse demeure très frileuse dans l’application du principe de compétence universelle pour les crimes internationaux. C’est le constat dressé lundi par Amnesty International et Trial ainsi que l’ex-procureur Dick Marty.

“La lutte contre l’impunité est essentielle pour prévenir les violations des droits humains, mais sans volonté politique, les dictateurs ne seront jamais jugés”, a affirmé la directrice générale de la section suisse d’Amnesty International Manon Schick, lors d’une conférence de presse à Genève.

“Le principe de la lutte contre l’impunité est partagé par tous, et pourtant l’histoire récente est faite de compromissions et de renoncements. Pas seulement les méchants, mais aussi les démocraties abusent de la raison d’Etat ou du secret d’Etat pour fermer les yeux”, a constaté l’ex-procureur tessinois Dick Marty.

“La lutte contre la criminalité internationale est perdue si l’on n’y consacre pas davantage de moyens”, a-t-il averti.

Pour surmonter l’inertie des autorités, Amnesty et Trial publient un manuel de 188 pages sur “la lutte contre l’impunité en droit suisse: la compétence universelle et les crimes internationaux”. Dick Marty a dit espérer que cet ouvrage “donne des armes à la société civile et aux victimes” pour faire appliquer le droit.

Réduction des moyens du MPC

“Le Conseil fédéral ne perd pas une occasion de parler en faveur des droits de l’homme, mais s’il y a seulement un demi poste pour poursuivre les auteurs de crimes internationaux, c’est absolument ridicule”, a affirmé l’ex-procureur et conseiller aux Etats tessinois.

Il faisait allusion à la réduction “drastique” des moyens du Centre de compétence de droit pénal international, que le Ministère public de la Confédération (MPC) a créé en 2012 pour poursuivre les criminels de guerre étrangers. Des quatre personnes prévues à l’origine pour y travailler, seul un procureur y consacre une partie de son temps. Indépendant lors de sa création, l’organe a été intégré au Centre de compétence pour le terrorisme.

Rien depuis 15 ans

Depuis 15 ans, plus aucun criminel n’a été condamné dans une affaire de compétence universelle en Suisse, résume de son côté Philip Grant, directeur de l’ONG Trial. A l’époque, un bourgmestre rwandais avait été condamné pour sa participation au génocide des Tutsis à 14 ans de prison.

Pourtant, les dossiers ne manquent pas, a indiqué le responsable de Trial. Par exemple, celui de l’ex-ministre algérien de la Défense de 1990 et 1994 Khaled Nezzar, arrêté à Genève en 2011, puis relâché; un ex-ambassadeur srilankais, un paramilitaire colombien, le responsable d’un groupe rebelle libérien, un ancien responsable des services secrets de Saddam Hussein qui vivrait dans l’arc lémanique sans être inquiété.

Avocat au barreau de Genève, Jean-René Oettli fait remarquer qu’avec l’arrivée de dizaines de milliers de réfugiés syriens, les chances augmentent que des bourreaux croisent leurs victimes en Europe. Il a dénoncé les réticences des cantons et l’impréparation des procureurs sur les dossiers internationaux.

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