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Pour Yvette Théraulaz, Mai 68 a libéré la parole des femmes

"En 1968, j'avais 20 ans, je faisais partie du Centre dramatique de Lausanne avec Charles Apothéloz et une troupe de comédiens et comédiennes. Nous montions des spectacles qui interrogeaient notre société du tout marchandise ou la guerre du Vietnam", raconte la comédienne romande Yvette Théraulaz. Keystone/LAURENT GILLIERON sda-ats

(Keystone-ATS) “J’ai participé à l’une des plus belles révolutions du 20e siècle”, se réjouit la comédienne Yvette Théraulaz, en évoquant Mai 68. Les femmes ont commencé à prendre leur destin en main. Leur parole s’est libérée, comme aujourd’hui avec le mouvement “me too”.

“En 1968, j’avais 20 ans, je faisais partie du Centre dramatique de Lausanne avec Charles Apothéloz et une troupe de comédiens et de comédiennes. Nous montions des spectacles qui faisaient débat, qui interrogeaient notre économie néo-libérale, notre société du tout marchandise, la guerre du Vietnam”, raconte dans son appartement lausannois la comédienne fribourgeoise, lauréate de l’anneau Hans-Reinhart en 2013.

“On avait une formidable envie de vivre, de réduire les inégalités sociales. Lors d’un spectacle de rue l’Ordre et le désordre, nous avons été fichés par la police. Nous avons été censurés quand nous voulions monter La Clinique du docteur Helvetius de Michel Viala et Vietnam Discours de Peter Weiss”.

Inégalité incompréhensible

“Mais ce qui m’a complètement bouleversée, c’est le Mouvement de libération des femmes. Nous mettions enfin des mots sur ce qui nous étouffait, sur ce qui nous humiliait. Des femmes prenaient leur destin en main. Cela me procurait une joie profonde, cette liberté à conquérir. Cela donnait un sens à ma vie”, souligne Yvette Théraulaz.

“Avant Mai 68, j’avais déjà été touchée par la condition des femmes en regardant vivre ma mère, elle n’avait pas le droit de vote sur le plan fédéral, elle l’a obtenu en 1971. Le principe de l’égalité n’était pas non plus inscrit dans la Constitution.”

“Les femmes n’avaient pas le droit d’avoir un compte en banque, ni celui d’exercer une profession sans le consentement de leur mari. Ma mère ne se sentait pas concernée, mes copines étaient indifférentes. A 12 ans, j’avais écrit une rédaction en classe, ‘Ma maman’, dans laquelle je m’indignais déjà d’une inégalité incompréhensible à mes yeux.”

Plus des victimes

“J’ai la conviction d’avoir participé à une révolution qui bousculait des siècles de soumission. Les femmes ne voulaient plus être des victimes. Nous soumettions toutes les normes à la question. Nous ne voulions plus vivre par procuration. Nous voulions être indépendantes économiquement”.

Dès 14 ans, l’artiste se rappelle avoir “été harcelée par des metteurs en scène et des professeurs du milieu du théâtre où comme partout règne la loi du silence. “A 30 ans, quand j’ai commencé à chanter, on a cessé. Mais j’ai eu droit à des violences verbales: mal baisée, gouine, hystérique”, décrit-elle.

En 1971, il y a eu le manifeste en France des 343 salopes qui disaient publiquement avoir avorté. Puis Simone Veil et sa loi pour la dépénalisation de l’IVG se sont imposées, rappelle-t-elle.

Lame de fond

Cinquante ans plus tard, Yvette Théraulaz constate que beaucoup reste à faire. “Ce qu’on fait subir aux femmes, c’est impressionnant. Les viols comme arme de guerre, l’excision, les mariages forcés, la violence conjugale.”

La misogynie comme le sexisme ou le racisme sont toujours là. L’espace urbain appartient aux hommes. Ce n’est pas normal qu’on n’ose pas sortir le soir, souffle-t-elle.

“Economiquement, il n’y a que dans le mannequinat, je crois, que les femmes sont mieux payées. Et, dans les affaires de plainte pour viol ou harcèlement, la justice prononce souvent un non-lieu”, note-t-elle.

Chance pour les hommes

“Aujourd’hui, une opportunité collective se présente à travers les réseaux sociaux et notamment le mouvement ‘me too’. Espérons que cette lame de fond ne retombe pas comme un soufflé, souligne l’artiste. Cette libération de la parole des femmes, c’est aussi une chance pour les hommes. L’occasion de s’interroger sur leurs rapports aux femmes”, estime-t-elle.

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