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Un Soudanais parqué par l’Australie à Manus reçoit le Prix Ennals

Les demandeurs d'asile sur l'île de Manus ont été confinés pendant de nombreuses années à la demande du gouvernement australien (archives). KEYSTONE/EPA AAP/REFUGEE ON MANUS/ABDUL, REFUGEE ON MANUS HANDOUT sda-ats

(Keystone-ATS) Le Prix Martin Ennals, “Nobel des droits de l’homme”, a couronné pour la première fois une victime de violations dues à une démocratie “occidentale”. Il a été remis mercredi soir à Genève au Soudanais Abdul Aziz Muhamat, parqué par l’Australie sur l’île de Manus.

Autre première: cette récompense n’avait jamais porté sur une question liée aux réfugiés.

Depuis 2013, de nombreux demandeurs d’asile ont été confinés sur une île de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Manus, et dans l’Etat insulaire de Nauru. Plus de 1100 personnes restent prises en otage, des hommes sur la première, des maris, femmes, enfants et familles dans la seconde.

“Nous avons été considérés comme moins que des êtres humains, pire que des criminels”, a dit devant la presse M. Muhamat avant de recevoir son prix. Chacun est appelé par une combinaison qui lui a été attribuée.

“Nous avons été exposés à de la torture systématique et à un déni de droits”, ajoute celui qui est devenu le porte-parole de ces requérants retenus. L’accès à la nourriture, à l’eau et aux médicaments est limité. Plus de 120 personnes ont été entassées de jour comme de nuit pendant des années dans une ancienne salle d’armement sans ventilation par des températures de 45°C.

Pas de réaction du gouvernement

Ceux qui se plaignent sont envoyés en isolement pendant un mois. Douze de ces demandeurs d’asile sont décédés, dont au moins un a été abattu et un autre battu par les geôliers, d’anciens militaires. Cette politique a été dénoncée à de nombreuses reprises par les Hauts-Commissariats de l’ONU aux droits de l’homme et pour les réfugiés.

“Personne ne mérite” de subir de telles conditions, insiste le jeune homme de 26 ans qui avait fui les violences dans son pays. Depuis un an, les détenus de Manus ont été acheminés dans un centre de transit sur l’île mais leurs mouvements restent limités. Grâce à un passeport Nansen pour les réfugiés, M. Muhamat a pu obtenir un visa de deux semaines de la Suisse pour recevoir son prix.

Pas question pour lui de ne pas rentrer dans ce camp. “Je vais terminer ce que j’ai commencé”, dit le Soudanais qui est prêt à continuer à payer le prix de son exposition. De son côté, le gouvernement australien “n’a pas réagi” à toutes les critiques internationales jusqu’à présent et la situation ne devrait pas changer, selon lui.

Pire encore, il a annoncé mercredi un durcissement de sa politique. Mardi, l’opposition travailliste et des indépendants avaient réussi à faire voter des amendements qui permettent aux demandeurs d’asile relégués à Manus ou à Nauru d’être transférés en Australie et d’y être soignés si deux médecins le demandent.

Plus largement, après un accord avec les Etats-Unis sous l’ancien président Barack Obama, seules 400 personnes ont été réinstallées sur le territoire américain. L’Australie refuse de son côté un transfert de 150 requérants vers la Nouvelle-Zélande. Selon le directeur de la Fondation Ennals, Michael Khambatta, elle veut éviter que ces personnes se retrouvent sur son territoire en raison de la libre circulation avec ce pays.

Activistes afro-colombien et turque

Le Prix Ennals est aussi le moyen de faire le procès des déclarations du gouvernement, selon le président de la Fondation Martin Ennals, Dick Oosting. L’Australie veut un système “si cruel et inhumain qu’il doit être pire que les conditions que les personnes ont fuies”, renchérit le directeur du Service international pour les droits humains (ISHR).

Cette année, les deux autres finalistes étaient les militants afro-colombien Marino Cordoba Berrio et turque Eren Keskin. Le lauréat du Prix Ennals reçoit 30’000 francs.

La cérémonie de mardi était organisée par la Ville de Genève. Le Prix Ennals est remis chaque année depuis 25 ans par dix ONG, dont Amnesty International, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ou encore Human Rights Watch (HRW).

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