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Une bactérie qui s’attaque aux grands brûlés bientôt désarmée

Karl Perron (à droite), a reçu le Prix 3R des main de Jérôme Lacour, doyen de la Faculté des sciences de l'Université de Genève. UNIGE sda-ats

(Keystone-ATS) Une étude suisse a mis en lumière les stratégies adoptées par Pseudomonas aeruginosa, une bactérie qui prolifère dans les plaies des grands brûlés et les menace de septicémie. Ces travaux ouvrent la voie à de nouvelles thérapies.

Cette bactérie redoutable est responsable de divers types d’infections aiguës ou chroniques potentiellement létales et très difficiles, voire impossibles à combattre. Les patients souffrant de brûlures sévères constituent un groupe à risque, car cet agent se développe dans les plaies, y prolifère puis colonise son hôte.

Ce micro-organisme, largement présent dans l’environnement, profite d’un affaiblissement du patient pour mettre en place divers mécanismes qui facilitent sa multiplication. P. aeruginosa a été récemment classée par l’Organisation mondiale de la santé comme un des pathogènes prioritaires à cibler.

Dans des exsudats

Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), avec des collègues des hôpitaux universitaires de Lausanne et Berne, sont parvenus à révéler la dynamique de la physiologie et du métabolisme du pathogène au cours de sa croissance dans des exsudats, les liquides biologiques qui s’épanchent des plaies de personnes brûlées.

“Nous voulions savoir quelles armes étaient fabriquées et utilisées par P. aeruginosa et à quel moment au cours de l’infection”, explique Karl Perron, directeur du Laboratoire de bactériologie moléculaire de l’UNIGE, cité dans un communiqué de cette dernière.

“Nous avons donc identifié les gènes qui étaient exprimés par les bactéries mises en contact avec les exsudats de patients”, poursuit le spécialiste. L’analyse de l’expression des quelque 6000 gènes bactériens a été couplée à celle des composés utilisés par P. aeruginosa.

Elle capte le fer

“La bactérie surexprime très rapidement tous les gènes codant pour des protéines permettant de capter le fer de l’hôte, car il est nécessaire à sa croissance et à sa prolifération”, détaille Manuel Gonzalez, membre de l’équipe genevoise et premier auteur de l’article.

Il s’agit aussi bien de sidérophores, des molécules se liant au fer soluble, que d’hémophores, de véritables “aspirateurs moléculaires” extirpant le fer lié aux globules rouges. La bactérie fabrique aussi en parallèle divers systèmes permettant d’exporter et d’importer ces molécules, avant et après qu’elles aient capté le fer.

Les chercheurs ont également découvert que P. aeruginosa utilise essentiellement le lactate, les lipides et le collagène de l’hôte comme sources de nutriments. Afin d’accéder à ces composés, la bactérie produit et sécrète rapidement des enzymes spécifiques capables de détruire les tissus environnants.

Les biologistes ont montré que ces facteurs de virulence sont produits dans les exsudats même lorsque ceux-ci ne contiennent que relativement peu de P. aeruginosa, suggérant que ce pathogène devient rapidement agressif dans les plaies de brûlure.

“Nous avons également observé qu’il génère des pompes servant à expulser des molécules, ce qui pourrait lui permettre de résister à certains antibiotiques”, ajoute Karl Perron.

Introduire un cheval de Troie

Ces résultats fournissent des éléments cruciaux pour élaborer de nouvelles approches thérapeutiques. “Etant donné que la disponibilité en fer est un facteur limitant pour la croissance bactérienne, il faut envisager une stratégie du type ‘cheval de Troie’, qui est en cours de développement”, indique Manuel Gonzalez.

Cela consiste à lier certains antibiotiques à des sidérophores pour que la bactérie les importe en grandes quantités, en même temps que le fer soluble. Des molécules inhibant des facteurs de virulences spécifiques pourraient aussi être administrées de façon précoce, selon cette étude publiée dans la revue Frontiers in Cellular and Infection Microbiology.

Alternative au modèle animal

Pour cette recherche, les microbiologistes ont eu recours à une méthode alternative à l’expérimentation animale. L’analyse des exsudats, leur utilisation et la synthèse d’un milieu artificiel mimant cet environnement particulier ont valu à Karl Perron le Prix 3R 2017 de l’UNIGE.

La règle des 3R (“reduce, replace, refine”) vise à réduire le nombre d’animaux utilisés, à remplacer le modèle animal par d’autres méthodes expérimentales lorsque cela est possible et, le cas échéant, à affiner les conditions expérimentales pour améliorer le bien-être animal.

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