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Feuilleton fiscal Suisse-Etats-Unis: où en est-on?

Loretta Lynch, procureur général des Etats-Unis, a toujours les banques suisses dans son collimateur. Keystone

swissinfo.ch fait le point sur l’évolution du conflit qui oppose de longue date la Suisse aux Etats-Unis sur le dossier de l’évasion fiscale. L’affaire est bien avancée, mais il reste du chemin jusqu’au dénouement.

Mercredi 27 janvier 2016, le Département américain de la Justice (DoJ) annonce la fin du Programme de régulation fiscaleLien externe pour les banques dites de «catégorie 2». 80 banques suisses ayant aidé des clients américains à échapper au fisc ont versé ensemble 1,36 milliard de dollars (1,38 milliard de francs) pour échapper à toute poursuite pénale.

Mais voyons plutôt comment toute cette affaire a commencé…

Depuis longtemps, les Etats-Unis soupçonnaient les banques suisses (comme celles d’autres pays) d’abriter de l’argent soustrait au fisc américain. Mais le secret bancaire helvétique rendait la chose impossible à prouver.

Les choses changent dès 2007, lorsque Bradley Birkenfeld, ancien employé d’UBS, livre au DoJ des documents prouvant sans équivoque des cas d’évasion. L’année suivante, le DoJ ouvre une procédure pénale contre UBS, qui aboutit en 2009 à une amende de 780 millions de dollars.

D’autres banques suisses y voient alors une chance. Elles s’imaginent que parce qu’elles n’opèrent pas sur sol américain, elles peuvent passer à travers les mailles du filet et récupérer les clients fraudeurs d’UBS. Le DoJ réplique en accusant davantage de banques suisses, dont Wegelin, la plus vieille banque privée du pays, qui doit se saborder en 2012, avant d’être condamnée un an plus tard.

Qu’est-ce exactement que la catégorie2?

Le Programme de régulation fiscale du DoJ comporte quatre catégories. La catégorie 2 regroupe les banques – soit suisses, soit étrangères avec une filiale suisse – qui détenaient des fonds appartenant à des fraudeurs du fisc américain.

Le Programme a été adopté en août 2013, à la suite d’intenses négociations diplomatiques entre les deux pays. Il est conçu pour permettre aux banques qui ne sont pas encore sous enquête pénale d’admettre leurs délits et d’éviter des procès potentiellement ruineux. En substance, il s’agit d’un compromis négocié en vue de conjurer la menace d’un nouveau cas Wegelin.

Le plan se concentre sur les comptes détenus par des Américains depuis le 1er août 2008. Dès cette date en effet, les autorités de Washington considèrent que l’on peut raisonnablement attendre d’une banque qu’elle connaisse leur position sur l’évasion fiscale, au vu de l’action pénale ouverte contre UBS. Toute banque ayant gardé après cette date des fonds américains soustraits au fisc, ou pire, ayant récupéré des clients d’autres banques, peut s’attendre à endurer les foudres du DoJ.

Les banques de catégorie 1 sont celles déjà inculpées avant la signature de l’accord (nous en reparlerons plus bas). La catégorie 3 regroupe les banques convaincues que leurs clients américains sont en règle avec le fisc, et la catégorie 4 est réservée aux banques qui n’ont pas d’affaires aux Etats-Unis.

1,36 milliard de dollars récupérés pour la catégorie 2. Est-ce un succès?

Tout dépend du point de vue. Le DoJ a certainement claironné ce résultat comme un succès retentissant. Les Américains ont également récupéré avec effet rétroactif 8 milliards de dollars en impôts et amendes de la part de clients des banques suisses et ont suffisamment de preuves pour poursuivre les avocats et autres intermédiaires.


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L’agence de presse Bloomberg a calculé qu’ensemble, les banques de la catégorie 2 détenaient entre 2008 et 2013 quelque 50 milliards de dollars d’avoirs américains sur 35’096 comptes. Les amendes équivalent alors à 2,7% de ces avoirs. Du côté américain, certains pourraient juger que le rendement est maigre.

La banque privée BSI est celle qui a payé la plus forte amende individuelle (211 millions de dollars), alors que la moyenne des amendes s’établit à 17 millions par banque. En plus, les banques ont dû payer des millions aux avocats et aux comptables pour se conformer au programme.

Mais les chiffres seuls ne disent pas toute l’histoire. Le Doj a aussi publié avec chaque accord des détails scabreux sur les activités bancaires: création de sociétés fictives et de trusts pour cacher l’identité des détenteurs ou agents bancaires remettant des valises de billets ou de lingots d’or à leurs clients. Pas vraiment de quoi donner une bonne image des banques concernées.

Finalement, le Programme de régulation fiscale a contribué à la chute du secret bancaire suisse. Depuis le 1er juillet 2014, les banques suisses ont été contraintes de signaler aux autorités de Washington toute ouverture de compte par un citoyen américain.

Donc, on y est?

Pas si vite. Reste encore à régler les cas des catégories 1, 3 et 4. Par définition, les 26 banques appartenant aux deux dernières n’ont rien fait de mal. Mais plusieurs des 106 banques qui s’étaient initialement annoncées dans le programme à fin 2013 ont changé de statut par la suite. Ce qui signifie que certaines sont passées de la catégorie 2 aux catégories 3 ou 4, nettement moins exposées.

C’est très bien tant que les Américains acceptent. Mais toute banque qui s’est enregistrée à tort en 3 ou 4 pourrait avoir des ennuis, selon la définition que le DoJ donne de la culpabilité.

Et les 11 banques de catégorie 1, qui étaient déjà sous enquête pénale avant le début du programme, le restent bien entendu. Deux d’entre elles ont d’ailleurs fait faillite.

Ici, les amendes pourraient être nettement plus spectaculaires. Credit Suisse a déjà payé 2,8 milliards de dollars en 2014. Il est vrai que c’était la plus grosse des banques sous enquête et qu’elle n’a pas coopéré aussi complètement que le DoJ le demandait.

Plus tôt ce mois, Julius Bär a dit qu’elle avait provisionné 550 millions de dollars pour régler son cas. C’est désormais la plus grosse banque restant en catégorie 1. Mais on ne connaîtra pas la totalité des amendes infligées tant que tous les cas ne seront pas réglés, probablement dans le courant de l’année.

(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)

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