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A New York, une Suissesse au coeur de l’action

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Alors que la crise balaie la planète, swissinfo a recueilli en fin d'année les témoignages – constats, analyse et espoirs - de ressortissants suisses expatriés sur les cinq continents. Aujourd'hui, Sandrine Merckaert, économiste à New York, Etats-Unis.

swissinfo: Votre cadre de vie en quelques mots…

Sandrine Merckaert : Je vis depuis plus de deux ans à Manhattan, au cœur de New York. La vie y est trépidante et excitante. L’énergie dégagée est unique. La ville est très cosmopolite et remplie de bons restaurants, de bars sympas, de nouvelles expositions et de concerts en tout genre. Bref, on ne s’ennuie jamais à New York.

swissinfo: La crise fait la une des journaux depuis des mois. Pouvez-vous en observer les effets concrets dans la région où vous habitez?

S.M.: Durant la période d’achats de Noël, j’ai constaté une forte baisse de la fréquentation des magasins, même pendant la grande journée des soldes suivant Thanksgiving, surnommée «Black Friday». Ces derniers mois, j’ai également remarqué qu’il y avait beaucoup moins de monde qui sortaient manger dans les restaurants, alors que c’est l’une des activités préférées des New-Yorkais.

Plusieurs de mes connaissances ont perdu leur travail ou n’arrivent pas à trouver un emploi après avoir fini leurs études universitaires. Il est d’autant plus difficile pour les étudiants étrangers d’obtenir un visa de travail. D’un autre côté, les prix des loyers, qui sont généralement exorbitants à Manhattan, commencent à baisser en raison de la crise du marché immobilier.

swissinfo: Vous êtes associée de recherche chez Financial Standards Foundation, une fondation de recherche financière et économique de New York. Qu’est-ce qui a changé dans votre environnement professionnel au cours de l’année 2008?

S.M.: Nous vivons une période difficile mais très intéressante de mon point de vue. Par la nature de mon travail, qui consiste à analyser et publier des rapports sur des sujets qui touchent à l’économie actuelle et au secteur financier, je suis de près la politique monétaire de la Fed, la banque centrale américaine, et les interventions du gouvernement américain.

Je m’intéresse également aux débats qui prennent place en Europe, en Asie et dans les pays émergents en raison de la dimension mondiale de la crise. Mon travail a pris une nouvelle tournure car je suis «au cœur de l’action», ce qui me permet de mieux comprendre les enjeux et de prendre part aux discussions et propositions pour rétablir un ordre mondial et sortir le pays de la récession.

swissinfo: Citation: «Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça» disait Coluche dans le sketch «Le chômeur». Qu’en pensez-vous?

S.M.: Bien que les pauvres soient évidemment toujours en première ligne, la crise actuelle touche tout le monde, de «Joe le plombier» au riche trader de Wall Street. De nombreuses personnes ont perdu toutes leurs économies, leur maison, leur travail et leur pension. C’est justement l’extension de la crise à tous les secteurs de l’économie et à toutes les classes sociales qui est extrêmement inquiétante.

swissinfo: Etes-vous plutôt du genre à penser que le monde s’enfonce dans le gouffre ou qu’une crise n’est qu’un mauvais moment à passer?

S.M.: La crise financière qui touche les États-Unis, mais qui s’étend également au reste du monde, est souvent comparée à la grande dépression des années 30. Je pense que l’activité économique va encore fortement se dégrader avant de remonter la pente. 2009 sera une année difficile avec une forte baisse de la croissance mondiale, de nombreux licenciements et des saisies de logement.

Il nous reste à espérer que les responsables politiques et les acteurs du marché financier prendront les mesures nécessaires, même si elles sont impopulaires à court terme, pour relancer la croissance et permettre la création de nouveaux emplois. Avant tout, il s’agira d’éviter de répéter les erreurs du passé.

swissinfo: Croyez-vous au fait que de cette crise pourrait émerger un monde plus sain? Et en quoi le serait-il?

S.M.: Oui, je pense que les comportements imprudents qui ont été mis en évidence par cette crise vont devoir changer. Ces dernières décennies, les ménages ont pris l’habitude de vivre au-dessus de leurs moyens en empruntant de grosses sommes d’argent, souvent contre une garantie sur leur maison et grâce à l’accès facile au crédit.

L’euphorie du climat de forte croissance, d’argent facile et de maximisation du profit a amené les banques d’investissement à prendre d’énormes risques et à vendre des produits très complexes aux investisseurs dont les deux parties ne comprenaient souvent pas la nature.

Un nouveau système mettant l’accent sur l’octroi raisonnable de crédits, une bonne gouvernance d’entreprise, une supervision et une réglementation prudente des marchés financiers permettra de mieux éviter les excès de Wall Street et des marchés de crédit.

swissinfo: Le monde politico-économique vit depuis longtemps dans la théorie et le culte de la «croissance». Réalisme, idéalisme ou mensonge selon vous?

S.M.: La question n’est pas de savoir si la croissance est une bonne chose pour l’économie, mais plutôt si elle est correctement et justement distribuée entre les différents acteurs économiques.

La croissance du PIB est importante afin d’accroître le bien-être et la productivité des pays. Elle permet la création d’emplois et les innovations technologiques. Néanmoins, il est impératif que les objectifs de croissance soient accompagnés d’une politique de redistribution équitable des ressources.

swissinfo: Pour conclure… de quoi le pays où vous vivez a-t-il le plus besoin, selon vous, pour sortir de ses difficultés actuelles?

S.M.: Les responsables politiques américains ont pris des mesures exceptionnelles pour soutenir la croissance et stabiliser le système financier. Les mesures dont il est question comprennent de fortes réductions des taux d’intérêt, des allégements fiscaux et des injections de liquidités dans les marchés de capitaux.

Mais des efforts supplémentaires de la part des décideurs politiques sont encore nécessaires afin de limiter les répercussions sur les ménages et l’économie en général. L’arrivée de Barack Obama au pouvoir suscite dans ce sens un regain d’espoir pour beaucoup d’Américains.

Interview swissinfo: Samuel Jaberg

Diplômée de la faculté des Hautes Etudes Commerciales (HEC) de Lausanne et de Columbia University de New York, Sandrine Merckaert est une jeune économiste de 27 ans qui possède déjà de solides expériences professionnelles en Suisse et aux Etats-Unis.

Outre des stages à la Banque nationale suisse (BNS), aux Nations Unies à Genève et à New York, Sandrine Merckaert a également participé à des négociations inter-gouvernementales au sein de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE).

Avec son master en économie politique de l’université de Columbia en poche et au bénéfice d’une éducation bilingue français-anglais, elle a été engagée en novembre 2007 par la Financial Standards Foundation de New York.

Arrivée il y a deux ans à New York, où vit également une partie de sa famille, elle entend s’y installer durablement. Passionnée de snowboard, elle n’oublie cependant jamais de s’informer sur les conditions d’enneigement dans les Alpes suisses et d’y faire un petit saut quand l’occasion se présente.

Financial Standards Foundation est une fondation new-yorkaise active dans la recherche financière et économique.

Son but est de promouvoir le développement économique et la prospérité par un investissement privé responsable.

Transparence sur les marchés de capitaux, réglementation des marchés de titre, bonne gouvernance d’entreprise et lutte contre le blanchiment d’argent figurent parmi les principaux chevaux de bataille de la fondation.

La fondation publie en libre accès sur son site internet des rapports économiques concernant plus de 80 pays.

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