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Après 75 ans de succès, la Migros cherche ses marques

Un des fameux camions de la Migros, ici dans une commune zurichoise en 1954. Keystone

Pionnier dans le domaine du commerce de détail, la Migros s´est forgée une place de choix dans le quotidien des Suisses. Pas facile pour le géant orange de concilier la réussite commerciale et les valeurs fondamentales qui ont soutenu son ascension.

Des clichés du passé. Mais aussi un astronaute qui porte un gâteau d’anniversaire à bout de bras. «Le message est clair, affirme Alfredo Schiliro porte-parole du géant orange. Si la Migros s’appuie toujours sur la philosophie de son créateur, Gottlieb Duttweiler, elle est aussi une entreprise résolument tournée vers le futur».

Position inconfortable. En effet, la Migros ne peut abandonner les idéaux sur lesquels elle a bâti sa notoriété. Mais elle doit, dans le même temps, s’adapter constamment aux exigences du marché. Et le géant orange semble peiner à trouver sa voie entre ces deux réalités.

Côté chiffres, la Migros demeure incontestablement le numéro un du commerce de détail en Suisse. Mais elle perd quelques plumes face à la concurrence. De 1998 à 1999, sa part de marché est passée de 15,9 pour cent à 15,7 pour cent. Alors que son principal rival, Coop, a fait un bon de 0,3 pour cent à 13,7 pour cent.

Les résultats du géant orange affichent notamment un recul de 0,8 pour cent dans le secteur de l’alimentation. Et l’augmentation de 2,5 pour cent de son chiffre d’affaires à 18,7 milliards de francs provient surtout du bon comportement du groupe Globus et de ses entreprises de services telles que Migrol ou Hotelplan.

Côté image, la Migros est devenue un véritable symbole. «Une sorte d’institution publique», affirme l’anthropologue Fabrizio Sabelli. Qui la qualifie de troisième mamelle du pays, après La Poste et les Chemins de fers fédéraux».

Pour expliquer cette réussite, Fabrizio Sabelli évoque les débuts de Gottlieb Duttweiler. Il raconte les cinq camions Ford avec lesquels le fondateur de la Migros parcourait les routes de montagne pour vendre ses articles. «La Migros a été associée à une entreprise de service, raconte l’anthropologue. C’est une des raisons de son succès».

Selon l’anthropologue, les excellentes performances de la Migros tiennent aussi à sa structure. En 1941, soucieux d’éviter toute OPA (Offre publique d’achat) inamicale, Gottlieb Duttweiler a cédé son entreprise à ses clients. La société anonyme est ainsi transformée en coopérative régionale et la Fédération des coopératives Migros a été créée.

«Grâce à cette structure, qui existe toujours, les gens ont longtemps cru que la Migros était une société à but non lucratif, affirme Fabrizio Sabelli. Elle s’est ainsi largement attirée la sympathie des consommateurs».

Une entreprise sociale, tournée vers le bien-être de tout un chacun plutôt que vers le profit pur et dur, c’est en quelque sorte l’image sur laquelle le géant orange a surfé depuis toujours. Pour autant, la Migros fait bel et bien des affaires. Et pas des moindres. Tant et si bien que des voix se sont élevées pour lui demander de revoir ses statuts.

Coopérateur de la Migros, le juriste bâlois Bernhard Madörin a même tenté de lancer une initiative interne. «Si les coopérateurs devenaient actionnaires, affirme-t-il, ils auraient la possibilité d’influencer plus directement les décisions de l’entreprise. Aujourd’hui, ils n’ont aucun droit, si ce n’est celui d’approuver les bilans et de recevoir une pièce en chocolat. La coopérative n’est qu’une mascarade».

«Faux, s’insurge Pierre Arnold, ancien patron de la Migros et actuellement président de la Fondation G.& A. Duttweiler. Les coopérateurs sont toujours rois à la Migros. S’ils n’utilisent pas leurs droits, on n’y peut rien».

Bref, l’idée de transformer la Migros en société anonyme (SA), et surtout de la placer en bourse, échauffe périodiquement les esprits, même ceux des dirigeants du géant orange. Mais le projet a une nouvelle fois passé à la trappe.

«En qualité de société anonyme, la Migros ne serait certainement pas en mesure d’assumer le rôle qu’elle s’est assigné. Les actionnaires d’une société anonyme distribueraient-ils le Pour-cent culturel, chaque année, comme le fait la coopérative? interroge Alfredo Schiliro, porte-parole du géant orange. Le pourcentage dédié à la culture, qui sert notamment à financer les cours organisés par la Migros, représente quelque 120 millions de francs par année».

Et en termes d’image, combien rapporte le Pour-cent culturel, rétorquent les mauvaises langues qui soulignent, par ailleurs, que la Migros investit une somme équivalente pour sa publicité.

Malgré les efforts du marketing, le géant orange perd progressivement les caractéristiques qui ont fait son succès. Et les entorses au Statut de la Fédération se frayent un chemin discret. Le produit de l’alcool et du tabac vendus dans les magasins Globus tombe dans l’escarcelle du groupe.

La lourdeur démocratique est remplacée par une centralisation des achats. Et si la gamme M-Budget, particulièrement économique, plaît aux ménagères, le luxe et les produits de marques occupent une place toujours plus importante sur les rayons du distributeur.

La Migros assoit son développement commercial sur son image de société soucieuse du bien commun. La logique du marketing est parfaitement respectée. Mais le géant orange doit savoir que, confronté à un double langage, le consommateur n’est plus vraiment dupe.

Vanda Janka

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