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Caran d’Ache au défi du numérique

Les élèves ne tirent pas un trait entre l’analogique et le numérique. Au lieu de cela, ils combinent toutes les méthodes qui fonctionnent le mieux pour eux Keystone

Chaque jour, Caran d'Ache produit suffisamment de crayons pour couvrir la distance de Genève à Rome. Mais comment cette maison qui célèbre son 100e anniversaire envisage-t-elle son avenir dans l’ère numérique?

Quelque 280 personnes travaillent à l’usine de Thônex, dans la banlieue de Genève, non loin de la frontière française. Un crayon rouge géant marque l’entrée des lieux. Premier produit fabriqué par Caran d’AcheLien externe, le crayon  fait aujourd’hui partie d’une vaste gamme de produits (crayons de couleur solubles à l’eau, pastels, aquarelles, porte-mines à griffes, stylos à bille et à encre, briquets haut de gamme).

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L’amour des couleurs

Ce contenu a été publié sur Que ce soit grâce au savoir-faire traditionnel ou avec des machines assistées par ordinateur, l’usine Caran d’Ache à Thônex, près de Genève produit chaque jour des plumes et des stylos de première classe et de haute précision, des crayons de graphite et de cèdre de Californie. Texte : swissinfo.ch. Photos par Luca Zanetti

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A l’intérieur de la fabrique, les employés démarrent tôt – surtout en été pour éviter la chaleur de l’après-midi. Même à 09h30, il fait déjà relativement chaud dans la pièce où se trouvent des cylindres métalliques.

Test de crayon

Les machines huilées donnent leur forme hexagonale aux petits tubes qui enserreront les célèbres mines Caran d’Ache. Plus tard, ceux-ci seront gravés avec des perceuses ou des lasers, à la main ou par ordinateur, en fonction de l’effet désiré. Certains reçoivent un revêtement en émail. Pour les stylos à bille, l’encre doit passer le «test des 100 mètres», dont j’interromps le cours par inadvertance en me penchant trop près de la machine. Heureusement, le préposé rit.

Une fois achetés, les crayons peuvent durer pendant des années, même après une chute du cinquième étage. Président du conseil d’administration de Caran d’Ache, Carole Hubscher met l’accent sur la résistance de ses produits.

«Au lieu d’acheter une nouvelle boîte à chaque rentrée scolaire, vous pouvez ne remplacer que les couleurs manquantes ou celles qui ont beaucoup été utilisées. Vous ne jetez pas les Caran d’Ache, assure Carole Hubscher. Plus encore pour les plumes les plus chères, garanties à vie.»

Plus qu’un jeu d’enfant

Mais la vente de stylos et de crayons n’est-elle pas bouchée à l’heure des tablettes et des smartphones?

«Peut-être que les gens écrivent moins à la main qu’auparavant. Mais pour ceux qui le font encore, ces objets sont un must. C’est un plaisir pour la main et le cœur», estime le journaliste et gourou de la mode Jeroen van Rooijen, ajoutant que les gens choisissent plus soigneusement leurs mots quand ils écrivent à la main.

L’écriture et le dessin à la main sont essentiels pour les enfants, selon Denise Bassan, psychomotricienne à Berne.

«Ils doivent être capables d’utiliser un crayon et du papier au moment où ils entrent à l’école, explique Denise Bassan, qui aide les enfants âgés de 4 à 8 ans à améliorer leur motricité fine. Mais certains ne peuvent pas se vêtir seuls et se sentent démunis avec des crayons et du papier. Si un enfant ne peut pas apprendre à écrire correctement, qu’il doit se concentrer sur l’acte physique de prendre des notes, il peut avoir de la peine à absorber la matière enseignée.»

Oskar Jenni, directeur du Centre de développement de l’enfant à l’Hôpital universitaire pour enfants de Zurich, relève que les enfants âgés de 2 à 8 ans pratiquent beaucoup le dessin à la garderie et à l’école, ce qui est une bonne chose.

«Quand j’avais 12 ans, je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant.» – Pablo Picasso. Photo coloriée par l’ariste avec des Caran d’Ache. Succesion Picasso

«Il est important que les enfants apprennent à dessiner et à écrire. C’est un apprentissage durant lequel vous essayez de coucher vos idées, vos pensées sur le papier. C’est un processus complexe de la pensée qu’il n’est pas facile d’accomplir avec des appareils électroniques», explique Oskar Jenni.

Selon une étude menée récemment par Oskar Jenni, la technologie informatique n’a pas affecté la façon dont les enfants dessinent. Lui et son équipe ont comparé les dessins d’enfants de 1980 avec ceux de 2010. L’habileté à dessiner est la même.

Mixer les techniques

«Comme vous pouvez le constater, les crayons sont encore très en usage», sourit Robert Lzicar, en montrant les travaux des élèves de le la Haute école des arts de Berne (HEABLien externe). Il est à la tête du programme de maîtrise en design de communication.

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«Les élèves ne tirent pas un trait entre l’analogique et le numérique, note Robert Lzicar. Au lieu de cela, ils combinent toutes les méthodes qui fonctionnent le mieux pour eux.»

«Je connais un bon concepteur d’affiche qui utilise un crayon pour un projet, puis l’encre. Il scanne ensuite cet esquisse et utilise Photoshop pour la colorer, car c’est plus rapide et vous obtenez un mélange en terme d’esthétique», souligne le professeur.

Robert Lzicar ajoute que le crayon électronique est une grande invention pour les concepteurs graphiques: «Avant, vous aviez une souris. Mais la connexion entre votre main et votre esprit se fait différemment. Puis sont apparus les tablettes et les stylets. Et leur qualité ne cesse de s’améliorer.»

Lassés des écrans

Chez Caran d’Ache, Carole Hubscher est optimiste: «Je suis convaincue que les gens vont continuer d’utiliser des stylos et des crayons. Ils vont continuer à créer sans outils électroniques.»

Un avis que partage le zurichois Jeroen van Rooijen: «Je pense qu’un jour, les gens vont se lasser des écrans et retrouver le plaisir d’écrire et de dessiner sur du papier. L’écriture à la main deviendra plus rare, mais ne perdra pas son aura.»

Contenu externe

Caran d’Ache (karandache signifie crayon en russe) est le pseudonyme du caricaturiste français Emmanuel Poiré (1858-1909) antirépublicain, antisémite et antidreyfusard convaincu.

La société fondée en 1924 par Arnold Schweitzer a pris le nom de Fabrique Suisse de Crayons Caran d’Ache, par reprise de la Fabrique genevoise de crayons (fondée en 1915, liquidée en 1922).

Arnold Schweitzer a bénéficié très tôt des conseils de Joseph Reiser, expert-comptable, et de l’appui financier d’Henri Hübscher, qui ont redressé l’entreprise et en ont pris le contrôle dès 1947.

Le capital initial de 500 000 francs est passé à 1,9 million. Les actions ne sont pas cotées en bourse. En 2002, l’usine de Thônex (1974) employait 308 personnes, la filiale française de Gaillard vingt.

L’entreprise exporte dans plus de 80 pays grâce à la qualité de ses produits et à la création constante de nouveaux articles: crayons de couleur solubles à l’eau, pastels, aquarelles, porte-mines à griffes, stylos à bille et à encre, briquets haut de gamme.

Source : DHSLien externe et Archives de FranceLien externe

(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)

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