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Sauve qui peut au Venezuela

bioucherie pillée au Venezuela
Une boucherie de Turmero aux abords de la ville de Maracay le 28 juin 2017. Suite à des manifestations contre le gouvernement, des dizaines de magasins ont été pillés. Keystone

Lors d’une conférence sur les droits de l’Homme et la démocratie cette semaine à Genève, plusieurs orateurs ont dénoncé le gouvernement de la république bolivarienne et l’état toujours plus précaire du pays producteur de pétrole, qui voit un nombre croissant de ses habitants fuir. Représentante de l’opposition en Suisse, Maria-Alejandra Aristeguieta Alvarez appelle Berne à en faire plus. 

C’est une tragédie presque silencieuse qui frappe actuellement le Venezuela. La crise politique, sociale, sanitaire que traverse ce riche producteur de pétrole entraine la fuite de dizaines de milliers de ses habitants. Selon le Haut-commissariat aux réfugiés (HCRLien externe), plus de 80’000 demandes d’asile ont été déposées depuis 2016. Et pourtant, cette tragédie ne fait que rarement les gros titres des médias, tout en étant mise de côté par la plupart des gouvernements occidentaux.

L’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) enquête actuellement sur des soupçons de violation des normes anti-blanchiment d’argent, y compris en lien avec l’affaire PDVSA, le groupe pétrolier d’Etat vénézuélien. Le gendarme financier suisse «examine dans quelle mesure des établissements helvétiques sont impliqués et comment les dispositions du droit de la surveillance ont été mises en œuvre», a indiqué un porte-parole à l’ats.

Une réponse qui fait suite aux révélations du Tages-Anzeiger. Selon le quotidien zurichois, deux hommes d’affaires auraient transféré 27 millions de dollars de pots-de-vin à d’anciens fonctionnaires vénézuéliens sur un compte bancaire suisse. Cet élément ressort d’un acte d’accusation américain contre cinq anciens responsables gouvernementaux vénézuéliens.

Les procureurs américains à Houston soupçonnent ce groupe de blanchiment d’argent. Selon l’acte d’accusation, 27 millions de dollars auraient été redistribués depuis le compte suisse vers d’autres comptes bancaires locaux. 

Présente au Geneva summitLien externe for human rights and démocracy organisé par l’association UN Watch, Maria-Alejandra Aristeguieta est coordinatrice  en Suisse de l’Iniciativa Por Venezuela et représentante de la plateforme de l’opposition (MUD).

swissinfo.ch: Le Venezuela ne fait plus la une des médias. Qu’en est-il sur place?

Maria-Alejandra Aristeguieta Alvarez: Ces deux dernières années, beaucoup de personnes traversaient la frontière pour s’approvisionner en alimentation et en médicaments du côté colombien, avant de revenir. Mais de plus en plus, les gens partent en laissant tout derrière eux, comme des réfugiés de guerre, vu l’aggravation de la situation au Venezuela. Malheureusement le Venezuela ne fait pas la une de l’actualité, ici, en Europe. 

Pourquoi la crise ne cesse t-elle de s’aggraver?

La situation empire parce que les causes de la crise sont toujours là, que ce soit la mauvaise gouvernance du pays, de son économie et le poids d’une corruption qui a vidé les caisses de l’Etat.

Il est donc extrêmement difficile de créer des emplois. L’inflation explose, alors qu’elle était déjà de 2400 %Lien externe en 2017. Les salaires ne permettent même pas d’acheter des couches pour bébé qu’on ne trouve de toute façon plus. La précarité ne cesse d’augmenter, alors que la crise se diversifie. Elle est non seulement politique, mais économique, sociale et sanitaire.

En particulier, la rupture sociale est énorme. Alors qu’un petit cercle autour du gouvernement s’est considérablement enrichi, la classe moyenne a disparu. Ceux qui sont restés vivent toujours dans leur maison, mais leurs frigidaires sont vides. Leur pauvreté n’est pas apparente, mais elle est bien réelle. Quant aux habitants les plus pauvres, ils commencent également à fuir le pays. Alors qu’avant, les gens fuyaient la violence et la criminalité, tout en voulant procurer un avenir à leurs enfants, aujourd’hui les plus pauvres cherchent simplement à survivre en passant les frontières pour se retrouver dans une situation toujours précaire, mais préférable à celle du Venezuela, un Etat failli.

Ces réfugiés débarquent non seulement en Colombie et au Brésil, mais également dans les iles proches de la cote vénézuélienne, en particulier Curaçao, une possession des Pays-Bas. Or quand ils réussissent à les atteindre, ils sont souvent maltraités et reconduits au Venezuela. Les Pays Bas ont pourtant signé les traités internationaux concernant les réfugiés.

Nous essayons de travailler avec ces trois pays pour que, par exemple, des camps de réfugiés soient installés autour du Venezuela.

Y a-t-il une prise de conscience des Etats face à l’ampleur de cette crise?

Le réveil des gouvernements est tardif. Et il se manifeste surtout pas des discours, non des actions. Et ce à l’exception de Luis Almagro, le Secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (l’un des orateurs de la conférence à Genève) qui est pour nous le champion de la défense des droits des Vénézuéliens. La plupart des pays restent prudents, dans l’attente d’un résultat dans le dialogue entre l’opposition et le gouvernement de Nicolas Maduro (candidat à l’élection présidentielle en avril prochain, ndr). Mais ce régime glisse vers la dictature et n’a aucune envie de quitter le pouvoir. Il ne fait que gagner du temps, sur le dos de la population.

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Nous attendons des dénonciations plus fortes du régime, comme vient de le faire le président du Pérou Pedro Pablo Kuczynski qui a signifié à son homologue vénézuélien qu’il n’était pas le bienvenu au prochain Sommet des Amériques (mi-avril à Lima). Mais il faut aussi des sanctions individuelles. Nous savons qu’au Panama ou en Colombie par exemple, se trouve un certain nombre d’expatriés vénézuéliens proche du pouvoir qui ont lancé des affaires et acheté des propriétés. Avec quel argent?

Il faut que les pays, y compris la Suisse, reconnaissent que de l’argent sale généré par la corruption, l’extorsion, le trafic de drogue arrivent dans leurs banques. Nous soupçonnons que des politiciens, des membres du gouvernement aient placé de l’argent en Suisse, par exemple. Nous aimerions bien que ces comptes soient au moins examinés à la loupe pour vérifier que ce n’est pas de l’argent sale.

Vous connaissez des cas précis?

Nous savons par Luisa Ortega (l’ancienne procureure du Venezuela démise de ses fonctions), qui était récemment en Suisse, que des Vénézuéliens liés au scandale groupe brésilien Odebrecht ont des comptes en Suisse.

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Avez-vous entrepris des démarches auprès des autorités suisses?

Nous nous concentrons sur les organisations internationales basées à Genève, en particulier le Haut-commissariat aux droits de l’homme où nous trouvons du soutien. A Berne, nous avons parlé à des parlementaires et au ministère des Affaires étrangères (DFAE). Mais ils restent prudents.

Nous trouvons des soutiens auprès de parlementaires européens, canadiens ou latino-américains, mais pas en Suisse. Le Venezuela n’est sans doute plus un pays important pour la Suisse, alors que plusieurs grandes entreprises helvétiques y étaient bien implantées.

Nous nous demandons si ce désintérêt en Suisse s’explique par des raisons économiques ou idéologiques, en particulier de la part du parti socialiste dont certains ténors répètent le même discours pro-chaviste depuis des années.

«Le Venezuela a été confronté à l’une des pires crises des droits humains de son histoire récente, alimentée par une escalade des violences encouragées par le gouvernement », écrit l’ONG Amnesty International dans son rapport annuelLien externe publié ce jeudi.

«Plutôt que de s’employer à résoudre la crise alimentaire et sanitaire, les autorités ont instauré une politique préméditée visant à réprimer avec brutalité toute forme de dissidence. Les autorités ont utilisé l’appareil judiciaire pour museler l’opposition, y compris en traduisant des civils en justice devant des juridictions militaires, ainsi que pour attaquer et harceler des défenseurs des droits humains.»

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