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Le nombre de personnes placées sous le régime du «petit internement» a explosé

En Suisse, le nombre de personnes placées sous mesures thérapeutiques institutionnelles a bondi, passant d'une dizaine à près de 700 en 36 ans. Faute de places, la majorité est détenue en prison. Témoignages. 

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On le surnomme le «petit internement». L’article 59 du Code pénal suisse permet d’obliger une personne souffrant de graves troubles mentaux à recevoir des soins dans un établissement spécialisé (lire aussi encadré).

Entré en vigueur en 2007, cet articleLien externe encadre le traitement des troubles mentaux. Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel s’il a commis un crime ou un délit en relation avec son trouble et si cette mesure peut permettre d’éviter la récidive.

Le traitement doit s’effectuer dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures. Cette privation de liberté ne peut en règle générale excéder cinq ans.

Mais faute de places dans des structures dédiées, la grande majorité des personnes condamnées à cet article se retrouvent en prison, sous régime ordinaire. Selon les derniers chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique (OFS), le nombre de personnes placées sous article 59 a bondi en Suisse, passant de 13 cas en 1984 à 686 en 2020.

Sur la même période, les autres mesures comme l’internement sont pourtant restées stables.

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Une double peine?

L’émission de la RTS Mise au point a pu rencontrer un détenu incarcéré depuis trois ans à la prison de Champ-Dollon (GE). «Cet article 59, c’est un internement. On ne devrait plus vivre cela en 2022. C’est vraiment une honte. Je suis avec des gens qui ont commis des meurtres, des trafics de drogue… Ce n’est pas adapté à ma situation», témoigne Sami*.

Ce Genevois de 38 ans souffre de schizophrénie. Il a été arrêté en janvier 2019, après avoir tué le chat de ses parents lors d’une crise de décompensation. Après des années d’attente, il vient d’être transféré à Curabilis, une unité de détention qui accueille les détenus souffrant de troubles psychiques.

Jugé irresponsable de ses actes à cause de son trouble mental, le Genevois n’avait écopé d’aucune peine, mais d’un placement sous l’article 59. Il dénonce une double peine: «Avec cet article 59, il n’y a pas de lumière au bout du tunnel. On ne sait pas quand on va sortir.»

Cinq ans au maximum

Théoriquement, l’article 59 ne doit pas excéder une durée de cinq ans. Mais le Code pénal prévoit que la situation des détenus sous mesure soit réévaluée par un juge tous les ans. Si la personne présente un risque de récidive alors la mesure peut être reconduite. «C’est une peine sans possibilité de faire des petits bâtons sur le mur», explique Loïc Parein, avocat et chargé de cours pour les Universités de Lausanne, Genève et Fribourg.

Il se bat actuellement devant la Cour européenne des droits de l’homme pour faire libérer une personne sous article 59 incarcérée depuis vingt-quatre ans, alors qu’elle a été condamnée à deux ans et demi de prison.

Pour cet avocat, la contradiction est majeure: «Quelqu’un qui est atteint dans sa santé doit être pris en charge de manière appropriée. Les personnes qui souffrent de troubles mentaux, peu importe ce qu’elles ont fait, n’ont pas leur place dans un milieu carcéral strict.»

Très peu de libérations conditionnelles

Selon une étude bernoise réalisée en 2018, les détenus placés sous mesure ont seulement 9% de chance d’obtenir une libération conditionnelle. Résultat: les personnes souffrant de troubles mentaux restent des années en prison sans soins adaptés et viennent alourdir le système carcéral.

«L’image qui me vient, c’est toujours l’image d’un robinet. Si vous laissez le robinet ouvert, mais que derrière l’eau n’est pas évacuée et bien à un moment il y a un trop plein. Le risque de surpopulation est majeur», déclare Loïc Parein.

La Suisse s’est déjà faite épinglée par la Cour européenne des droits de l’homme au sujet de l’article 59.

>> Les explications de Cécile Tran-Tien, journaliste à Mise au Point:

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*Nom connu de la rédaction

Une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a visité onze établissements suisses. Dans son rapportLien externe publié le 8 juin, le comité se dit «préoccupé» par la situation dans les établissements pénitentiaires «surpeuplés» de Suisse.

Concernant les personnes sous article 59, le Comité relève la lenteur de l’évolution de ces mesures, «entraînant des incarcérations […] de longue durée et un manque de prise en compte des effets néfastes que peut avoir une détention prolongée sans perspective de libération».

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