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La Suisse s’attaque à la corruption dans le sport

La Suisse pourrait se mettre prochainement à dénoncer les cas de corruption. Keystone

Quelque 65 différentes fédérations sportives, dont la Fifa, ont établi leur siège en Suisse. Et le pays compte aujourd’hui mettre en place une série de nouvelles restrictions pour rendre ces institutions plus transparentes.

Le mois passé, plus de 30 ministres européens des sports se sont réunis dans le village de Macolin, au-dessus du lac de Bienne, pour parler d’un sujet intense et délicat: la bonne gouvernance des fédérations sportives et la lutte contre les matches truqués lors de compétitions de niveau international.

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A la fin de la réunion organisée dans le cadre du Conseil de l’EuropeLien externe, 15 pays ont signé un nouveau traité. Le texte engage ces pays à mieux prévenir les matchs arrangés, à poursuivre les responsables en justice et à combattre de façon générale la corruption dans le sport. L’initiative avait été lancée par une personne plutôt connue du public suisse: le conseiller fédéral en charge des affaires sportives Ueli Maurer.

L’implication helvétique dans ces affaires est bienvenue par le reste de la communauté internationale. «Plus de la moitié des fédérations olympiques, comme le Comité International OlympiqueLien externe, la FifaLien externe et l’UEFALien externe, disposent de leur siège en Suisse, a déclaré Michael Connarty, vice-président du sous-comité sur l’éducation, la jeunesse et le sport, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, lors de la conférence. Et ces groupes jouent un rôle crucial dans la gouvernance sportive européenne et mondiale. Chaque cas de corruption dans ces milieux a un impact direct sur la Suisse.» Et les représentants helvétiques ont fait comprendre qu’ils allaient se saisir de la question. «La Suisse a le plaisir de confirmer son rôle actif dans la lutte contre les abus dans le sport, qui menacent nos valeurs et notre crédibilité», a dit Ueli Maurer.

Le ministre a expliqué qu’en 2012, un rapport de son département avait analysé la question et lancé un appel à des actions plus vigoureuses. Le texte avait fait du bruit à l’époque, poussant le parlement fédéral à mettre en place de nouvelles mesures légales pour régler cette situation. Les solutions qu’il est en train d’étudier aujourd’hui consisteraient à ajouter des amendements à la Loi sur la concurrence déloyale (LCD) et au Code pénal suisse.

Le changement de législation ferait de la corruption dans le secteur privé une affaire pénale. Chaque cas révélé serait ainsi automatiquement poursuivi par la justice. En comparaison, les tribunaux suisses ne se penchent aujourd’hui sur les cas de corruption uniquement en cas de plainte d’une compagnie, d’un individu ou d’un autre groupe. Les organisations sportives, les entreprises privées et les associations seront désormais toutes couvertes par la nouvelle loi.

D’autres modifications vont aussi être mises en place. Lors de la session parlementaire d’automne, les élus ont soutenu la révision de la loi sur le blanchiment d’argent pour qualifier les hauts fonctionnaires du monde sportif en Suisse de «personnes politiquement exposées» (PPEs). Ce nouveau statut les placera sous l’œil des autorités helvétique et leurs finances seront minutieusement examinées.

Lors de la conférence de Macolin, Matthias Remund, le directeur de l’Office fédéral du Sport, a donné un autre exemple de l’envie nouvelle de la Suisse de régler les problèmes du secteur: «Des organisations pourront parfois être sanctionnées si elles ne prennent pas les mesures nécessaires pour prévenir l’émergence de nouveaux cas de corruption.»

Une position de leader

Durant des années, des experts ont critiqué l’inaction de la Suisse dans la lutte contre la corruption dans les milieux sportifs. Mais aujourd’hui, la situation est en train de s’inverser: le petit pays alpin se transforme en leader en la matière.

Pour Jens Sejer Andersen, le directeur d’un organisme de surveillance indépendant nommé Play the GameLien externe, ces changements lancent, en tout cas en théorie, un signal majeur. «Les Suisses ont pris leur temps pour réagir, dit-il. Des mesures de contrôle sont en train d’être mises en place. Mais si un jour celles-ci deviennent réalité, le système sera un modèle de référence non seulement pour les autres fédérations sportives, mais aussi pour tous les autres pays qui abritent ce genre d’organisation. Ils vont aussi devoir réviser leur législation sur le sujet.»

Jean-Loup ChappeletLien externe, expert de la gestion d’organisations sportives à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) à Lausanne admire le projet. «Ces réformes vont transformer le monde sportif, dit-il. La balle est maintenant dans le camp du parlement, à eux de faire changer les choses maintenant.»

Débats intenses

Mais les parlementaires qui ont suivi le dossier débattent vivement du projet. Carlo SommarugaLien externe, socialiste auteur d’une initiative parlementaire sur la corruption sportive en décembre 2010, se dit «très inquiet». Il craint que le texte ne soit vidé de sa substance par d’autres membres du parlement et le secteur privé. «Lors des trois dernières années, la Fifa a passé beaucoup de temps à influencer les parlementaires et leurs partis pour leur faire croire qu’ils ont mis en place bien assez de mesures pour lutter contre la corruption», commente-t-il.

Pour Roland BüchelLien externe, démocrate du centre (UDC, droite conservatrice) qui a déposé une motion sur le même sujet en 2010, ce sont les récents abus des dirigeants de la Fifa qui ont poussé le parlement à mettre sur pied un projet de loi aussi strict. «La qualification en tant que PPE est peut-être exagérée, dit-il. Mais le comportement de la Fifa et des autres organisations sportives nous ont forcés à adopter ces modifications légales. La majorité du parlement estime que, maintenant, c’est la seule solution pour contrôler leurs excès.»

Le politicien rappelle que, lors des derniers mois, plusieurs affaires ont montré à quel point le milieu était mal en point: une énorme bataille entoure la nomination des pays organisateurs de la Coupe du monde 2018 et 2022 et, le 18 septembre, un enquêteur éthique de la Fifa a demandé à des dirigeants de fédérations de rendre 65 montres de luxe, d’une valeur de 25’000 francs chacune, qu’ils avaient reçues comme cadeau de la part de la Confédération brésilienne de football.

Contrôles

Mais le plus grand défi pour les organisations basées en Suisse est maintenant de mettre de l’ordre dans leur propre maison. Une enquête menée en 2012 par Play the Game et six universités européennes a démontré que sur 35 fédérations olympiques un tiers d’entre elles seulement avait mis en place un comité éthique, d’audit et financier. Un autre enquête a prouvé que moins que la moitié d’entre elles publiaient leurs rapports financiers ou permettaient leur consultation sur demande.

«Ce manque de contrôle permet de mettre en lumière les cas de corruption, explique Arnout Geeraert, chercheur pour Play the Game. Les dirigeants de ces associations ne doivent rendre de comptes à personne, ils peuvent faire ce qu’ils veulent.»

Fédérations sportives internationales

Environ 65 fédérations et organisations sportives internationales sont basées en Suisse. La première a été le Comité International Olympique (CIO), établi à Lausanne depuis 1915.

Le canton de Vaud abrite environ 20 de ces organisations. En plus du CIO, le Tribunal arbitral du sport (TAS), l’UEFA, ainsi que les organisations de gymnastique (IFG), de cyclisme (ICA) et de volleyball (FIVB) se trouvent dans la région. L’association faîtière du football (la Fifa à Zurich), du basket (Genève), du handball (Bâle), du ski (Oberhofen, dans le canton de Berne) et le hockey sur glace (Zurich), se sont installés ailleurs en Suisse.

Cet attrait a plusieurs raisons: emplacement géographique, main d’œuvre qualifiée abondante, stabilité politique, neutralité, sécurité, qualité de vie ainsi que des régimes fiscal et législatif favorables.

Mais Paquerette Girard-Zappelli, secrétaire de la commission éthique du Comité International Olympique, réfute ces accusations. Selon elle, il est injustifié de dire que toutes les organisations sportives sont corrompues. «Ce n’est pas la réalité. Il n’y a pas plus de risques de corruption que dans d’autres secteurs», a-t-elle déclaré lors de la conférence, en citant une série d’initiatives de bonne gouvernance mises en place par le CIO et d’autres fédérations sportives.

La Fifa a aussi ardemment défendu ses récentes réformes internes. «Depuis que nous avons mis en place ces nouvelles règles, nous disposons d’un modèle éthique exemplaire, a expliqué le président de la Fifa Sepp Blatter lors du Sommet mondial sur l’éthique dans le sport organisé à Zurich le 19 septembre. Nous sommes la seule organisation sportive qui a mis en place un corps indépendant chargé d’examiner les questions éthiques au sein de notre association. Personne d’autre n’a mis en place un tel système, pas même le CIO.»

La Fifa a certes pris quelques mesures, mais qu’en est-il des autres organisations sportives? La Suisse va maintenant mettre en place une nouvelle législation pour contrôler le milieu, mais le pays pourrait aussi être appelé à encourager les fédérations à mettre en place des mesures de contrôles internes. «Il faut les pousser à mettre en place des systèmes de régulation interne, explique Michael Connarty. Et, si nécessaire, la loi suisse devrait les obliger à le faire.»

(Adaptation de l’anglais: Clément Bürge)

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