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La qualité des hôpitaux, une donnée confidentielle

Pour les assureurs, 30% des prestations des hôpitaux seraient superflues. Keystone

La santé coûte cher. Les mesures d’économie en matière de soins se retrouvent pourtant sous les feux de la critique. Par crainte de voir dangereusement baisser la qualité.

Mais justement, la qualité des hôpitaux suisses reste une grande inconnue.

En 2001, la facture de la santé a coûté aux Suisses 11% du produit intérieur brut. La nécessité de faire des économies n’est pour ainsi dire contestée par personne.

Mais on ignore l’effet qu’elles auraient sur la qualité. Cette dernière fait l’objet d’évaluations depuis quelques années, mais les résultats ne sont pas accessibles au public.

Obligés de faire de la qualité

Depuis 1996, les prestataires de services sont contraints par la loi sur l’assurance maladie de garantir la qualité. Des données fiables sont nécessaires pour l’améliorer et remédier aux points faibles.

Le canton de Zurich joue à ce titre un rôle de pionnier. Tous les hôpitaux publics sont obligés, par leur contrat de prestataire, de prendre part à des évaluations qualité. Sinon, pas de subventions.

Pour qu’il soit possible de comparer les résultats et d’en tirer les leçons, les méthodes de mesure et les procédures sont les mêmes dans tous les établissements.

Depuis janvier 2000, les évaluations sont toutes organisées et coordonnées par Outcome. Cette association regroupe la Direction de la santé publique du canton de Zurich, les assureurs maladies et accidents, ainsi que tous les établissements publics hospitaliers.

Des intérêts inconciliables

Les intérêts qui se rencontrent dans le cadre d’Outcome sont extrêmement différents. Les assureurs veulent avant tout réduire les coûts.

Ils souhaitent bénéficier d‘un droit de regard aussi étendu que possible dans les hôpitaux et réclament de l’efficacité: les assureurs reprochent en effet aux établissements hospitaliers de pratiquer une médecine inutile. D’après eux, quelque 30% des prestations seraient superflues.

Les décideurs politiques veulent surtout des données probantes: ils ont besoin d‘une base claire pour les budgets et la planification hospitalière. Les pouvoirs publics doivent économiser, mais veulent le faire à bon escient.

Les hôpitaux, en revanche, craignent de se retrouver classés dans des palmarès publics. Ils redoutent également que certains hôpitaux – des moutons noirs supposés ou avérés – perdent leurs subventions.

Anonymat garanti

La procédure sur laquelle les trois parties se sont mises d’accord est un compromis: chaque hôpital procède lui-même à l’évaluation de la qualité au sein de l’établissement, sans intervention de tiers. Les données sont transmises de manière anonyme.

Celles-ci sont mises à disposition des établissements hospitaliers de telle manière que chaque hôpital soit en mesure de se reconnaître, mais pas d’identifier les autres.

Par ailleurs, il revient à l’hôpital d’apprécier, au vu des résultats, s’il y a lieu de procéder à des améliorations. Aucun contrôle n’est prévu.

Les établissements hospitaliers sont propriétaires des données brutes et les résultats sont déposés chez Outcome. La Direction cantonale de la santé publique et les assureurs financent les évaluations, mais, aujourd’hui encore, ils n’ont pas accès aux données.

Un modèle qui se répand

Le modèle Outcome fait école. D’autres cantons se sont déjà joints à l‘association. Après Zurich, c’est au tour de Berne, Soleure et bientôt d’Argovie de se faire évaluer selon les critères Outcome. En Suisse romande, le canton de Vaud a signalé son intérêt.

«C’est un dispositif très fragile», explique Adolf Steinbach, directeur d‘Outcome.

Car, «il s’agit d’une sorte d’autodéclaration. On ne peut pas simplement sortir des données recueillies par les hôpitaux et les présenter à l’opinion publique. Les établissements hospitaliers ont besoin d’une certaine protection pour que ces collectes se déroulent correctement».

Pas question donc de «prêter de mauvaises intentions aux hôpitaux. D’ailleurs, personne n’est prêt à s’autoflageller en public», précise Adolf Steinbach.

La qualité des données est prioritaire, selon le directeur d‘Outcome. Cela explique cette protection et ce manque de transparence.

Mais Adolf Steinbach admet que si les évaluations étaient conduites par des tiers, ces précautions ne seraient plus nécessaires. «Il faut qu’un climat de confiance s’instaure pour que la qualité puisse progresser.»

Selon lui, le système commence à donner des résultats: «Il suffit que les hôpitaux se retrouvent confrontés avec les résultats pour qu’un changement se produise dans l’établissement.»

Une réalité que confirme Heinz Schaad, médecin-chef à l’Hôpital d’Interlaken: «Nous avons participé au projet ’emerge’, qui portait sur les urgences. Il s’est avéré excellent et a conduit à des améliorations concrètes. La comparaison avec douze autres hôpitaux suisses a été particulièrement significative.»

La transparence, un thème récurrent

Cela dit la question de la transparence revient sans cesse. «Pour l’instant, nous avons accepté de ne pas pouvoir rendre les résultats publics», explique Peter Marbet, porte-parole de santésuisse, l’organe faîtier des assureurs-maladie suisses.

«Si nous avions posé cette condition, Outcome n’aurait pas avancé d’un pouce. On ne serait même pas parvenu à l’autodéclaration.»

D’après Peter Marbet, les assureurs voulaient montrer aux hôpitaux l’intérêt qu’il peut y avoir à connaître sa situation par rapport à celle de la concurrence. Notamment pour une nouvelle prise de conscience sur les questions de qualité.

«Des exigences trop rigides de notre part auraient empêché ce processus. Cela aurait été une erreur.»

santésuisse exige maintenant une ouverture progressive vers la transparence. Les autocontrôles devraient céder la place à des contrôles effectués par des tiers, pour déboucher sur une certification externe. Le but poursuivi est un classement qualité au niveau suisse qui recenserait tous les hôpitaux, publics et privés.

La Direction de la santé publique du canton de Zurich exige elle aussi cette transparence: «Outcome avait besoin de temps pour qu’émerge une bonne culture de travail. Aujourd’hui, il faut au moins que les autorités et les caisses-maladie aient accès aux données», explique Marianne Delfosse, porte-parole.

Et cette dernière de préciser que les autorités ont besoin de ces données pour les budgets et la planification hospitalière. La Direction de la santé publique a obtenu gain de cause: les assureurs et le canton de Zurich devraient avoir accès aux données dès 2004.

Mais il reste à déterminer jusqu’à quel point ces données pourront être présentées au public. «C’est une étape difficile. Les hit-parades bon marché ne sont pas dans notre intérêt. Par ailleurs, il faut pouvoir interpréter correctement ces données.»

Danger de manipulation

Si les données hospitalières devaient être utilisées pour des décisions politiques, le système de l’autodéclaration pourrait bien vaciller et certains établissements se mettre à manipuler leurs données. Voilà pourquoi le canton de Berne se montre prudent sur la question de la transparence.

«Le principal intérêt du canton et des assureurs, c’est que les hôpitaux travaillent avec ces évaluations et améliorent leur qualité. Pas d’établir un palmarès», explique Paula Bezzola, de l’Office des hôpitaux de Berne.

A ses yeux, «on ne peut pas prendre de décision sur la seule base de ces données.”

A Zurich, on ne partage pas ce point de vue. «Le danger de manipulation a toujours été un argument d’Outcome. Mais si la Direction de la santé publique et les assureurs avaient accès aux données de tous les hôpitaux, les établissements qui manipulent seraient forcés de rendre des comptes», note Marianne Delfosse porte-parole de la Direction de la santé publique du canton de Zurich.

La fin prévisible de l‘autodéclaration

Pourtant, plus les hôpitaux seront nombreux à manipuler, plus les contrôles seront difficiles. A partir du moment où les données seront mentionnées dans les débats publics, le système de l’auto-évaluation s’effondrera tôt ou tard.

Il est impossible de garantir à long terme transparence et données fiables sans évaluation faite par des tiers.

«Dans le contexte des mesures d’économie, nous devons garantir une qualité qui ne baisse pas», souligne Marianne Delfosse. Comme les moyens financiers ne suffisent plus pour tout prendre en charge, il faut s’assurer que l’on économise à bon escient.

swissinfo, Hansjörg Bolliger
(Adaptation: Catherine Riva)

Statistique 2001:
Hôpitaux: 364
Patients: 1,39 million
Jours de soin: 13,8 million.
Coûts: 14,6 milliards de francs.
Employés: 152’200

– Les coûts de la santé augmentent continuellement.

– Leur part représentait en 2001 10,9% du Produit intérieur brut. (5% en 1960).

– La Suisse a le deuxième système de santé le plus cher de tous les pays de l’OCDE après les Etats-Unis (13,9%).

– En comparaison: Allemagne: 10,7%, France: 9,5%, Italie: 8,4% et Autriche: 7,7%.

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