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Retour sur le mauvais quart d’heure du Dow Jones

Jeudi après-midi à New-York, la panique va gagner les traders. swissinfo.ch

La bourse américaine s’est fait une frayeur mémorable jeudi avec la chute en quelques minutes de presque 10% du Dow Jones, son indice historique. Pourquoi et comment? La lecture de Michel Dubois, professeur de finance à l’Université de Neuchâtel.

Déjà baissier en raison de la crise grecque, le Dow Jones a soudain piqué du nez vers 14h45 jeudi, heure américaine. Il est passé sous la barre des 10’000 points en perdant plus de 900 points en quelques minutes, avant de rejaillir pour terminer la séance à 10520,32 points (-3,2%).

Pire qu’au moment de la débâcle de Lehman Brothers. Un vent de panique a secoué Wall Street et au-delà…

swissinfo.ch: Le Dow Jones a subi une dégringolade historique. Que s’est-il passé selon vous?

Michel Dubois: La lecture est assez difficile à faire à l’heure actuelle puisqu’on ne connaît pas les détails de ce qui s’est passé exactement. Il semblerait qu’un trader se soit trompé en passant un ordre. Qu’il ait vendu quelques centaines de millions de titres plutôt que quelques millions.

Le titre en question faisant partie d’un indice boursier, il y a eu très probablement des réactions d’arbitrage – donc de trading informatisé pour revenir vers une situation plus équilibrée. Mais il faut rester prudent et ne pas voir de la malveillance partout. Au départ, ce n’est peut-être qu’une erreur humaine.

swissinfo.ch: Quelle est la mécanique qui peut expliquer une telle dégringolade?

M.D.: Cela repose sur le principe qu’à un moment donné, deux produits censés être identiques doivent valoir le même prix. Si, sous une pression énorme d’un titre donné à la vente, le prix chute considérablement, et que ce titre fait partie d’un indice, tous ceux [les acteurs financiers] qui essaient de répliquer la totalité de l’indice vont être amenés à recomposer l’ensemble des titres qui le compose. Et à vendre le titre sous pression. A ce moment-là, vous allez avoir une pression sur les prix de tous les titres qui composent l’indice.

swissinfo.ch: Mais l’erreur d’un seul trader peut-elle expliquer à elle seule cette chute?

M.D.: Le problème est de savoir s’il s’agit réellement d’une erreur ou d’une décision volontaire. Très difficile à dire. Les organismes de contrôle sont là pour le dire. On sait quels ordres sont passés et les autorités de contrôles peuvent avoir accès aux institutions par lesquelles sont passés ces ordres. La SEC [gendarme américain de la bourse] enquête régulièrement.

On peut faire le parallèle avec le cas Kerviel en France [responsable de la perte de 5 milliards d’euros pour la Société Générale]. Il était accusé de malversations mais on se rend compte que toute l’organisation de l’établissement financier est en cause.

Il est possible que la décision d’un seul individu débouche sur des pertes gigantesques. Mais ce qui est étonnant, c’est qu’aucun système n’ait contrôlé le fait que le trader en question prenait une décision de vente hors de proportion par rapport aux ordres habituels. Une précaution du ressort du contrôle interne de son établissement financier.

swissinfo.ch: Quelle est la part de l’action humaine et de l’action informatique dans la bourse actuelle?

M.D.: La part humaine est totale, puisque les programmes ont été construits par des hommes. On peut très bien imaginer des traders réagissant comme des programmes. Les procédures ont été automatisées, mais les systèmes sont fondés sur notre manière de raisonner.

swissinfo.ch: La probabilité que l’erreur en question survienne était-elle forte?

M.D.: Je me rappelle d’un cas, fin des années 89-début des années 90. Pour vendre les bons du trésors, il existe une procédure d’enchères. On attribue au mieux disant. Un intervenant s’était trompé, proposant un prix hors de proportion. Il s’était vu attribué la totalité des titres convoités.

Pour inciter les établissements financiers à la prudence, l’ordre avait été exécuté au prix auquel l’avait passé l’intervenant. Il avait directement payé le prix de l’erreur. Dans le cas de jeudi, on n’est pas dans une procédure d’enchère dans un club fermé. Ça touche des millions et des millions de personnes.

swissinfo.ch: Jusqu’où la dégringolade aurait-elle pu aller?

M.D.: Difficile à dire. Elle peut aller très bas. Mais avec une chute aussi importante résultant d’un erreur technique, les traders savent bien qu’ils ont intérêt à acheter et vont tirer très rapidement le prix à la hausse. C’est ce qui s’est passé jeudi.

swissinfo.ch: Cette erreur tombe mal dans le contexte actuel des marchés…

M.D.: Les accidents n’arrivent jamais quand tout va bien. Pour n’importe quel type d’accident, très souvent, vous avez des causes multiples. Cet accident est survenu lors d’une journée difficile [baisse des marchés due à la crise grecque, au risque de contagion, aux craintes sur l’euro]. Dans un marché très positif, une erreur de cette proportion n’aurait pas entrainé la chute observée. Les deux phénomènes ont été plus que cumulatifs.

swissinfo.ch: En cas de baisse trop forte des indices intervient la cessation temporaire de la cotation. De quoi s’agit-il?

M.D.: Une chute trop brutale durant un laps de temps trop court induit une fermeture momentanée du marché, de manière à permettre à tous les investisseurs de pouvoir apporter financièrement un garantie établissant qu’ils sont solvables.

Cette décision est prise par les autorités du marché, notamment dans le cas de nouvelles extrêmes portant sur une entreprise donnée.

swissinfo.ch: A-t-elle été prise jeudi?

M.D.: Je n’en sais rien. Mais il n’est pas du tout impossible que sur le marché à terme – sur un indice comme le S&P100 ou le S&P500 – cette chute ait alerté l’autorité boursière, décidant alors que les intervenants devaient reconstituer leur provision. A un certain niveau de baisse, elle l’aurait fait du moins. Ce niveau varie selon les produits et les pays [en fonction de leur variabilité]. Mais la décision est prise en cas de chute d’un ordre de grandeur de 10%.

swissinfo.ch: Au fond, quelle importance attribuer à cette dégringolade de jeudi?

M.D.: La crise financière a sensibilisé l’opinion publique aux problèmes boursiers. Tout le monde s’inquiète face à ce type d’événement. Mais on a tendance à dramatiser et à se focaliser sur l’instant.

Cette chute relève effectivement du sensationnel. Quand on vous dit que la capitalisation boursière américaine atteint 15’000 milliards de dollars et qu’en l’espace de quelques minutes, 1500 milliards se sont envolés, c’est l’équivalent du salaire de millions de personnes qui sont partis en fumée en quelques minutes. On est alors très mal à l’aise, ça dépasse notre entendement.

Mais il ne faut pas le voir dans cette perspective. Notre sort ne dépend pas de l’évolution des bourses à la seconde. Il en dépend sur des périodes beaucoup plus longues. Cette trace-là n’existera pas dans les résultats des caisses de pensions, suisses comme américaines. L’important pour la caisse de pension, c’est la baisse sur l’année.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Chute. Dans la foulée de la chute historique de Wall Street et en marge du sommet de crise des dirigeants de la zone euro, les principales Bourses européennes ont plongé vendredi après-midi. Paris, Londres, Francfort ou Lisbonne: d’un bout à l’autre de l’Europe, un vent de panique s’est abattu sur les marchés financiers.

Général. La Bourse d’Athènes a terminé sur une baisse de 2,86%. A la Bourse de Paris, le CAC 40 a plongé de 4,60%, à Francfort, le DAX a terminé en baisse de 3,27%. Même tendances à Londres (-2,62%), Madrid (-3,28%), Bruxelles (-4,19%) ou encore Milan (-3,27%)

Suisse. La Bourse suisse a été entraînée dans ce vent de tempête des marchés européens. A la clôture, le Swiss Market Index (SMI) des vingt valeurs vedettes a perdu 2,85% à 6205,63 points.

Urgence. Les ministres des Finances du G7 ont tenu vendredi après-midi une conférence téléphonique d’urgence pour surveiller l’instabilité des marchés.

Le Dow Jones Industrial Average est le plus ancien indice boursier de la planète et date de 1884. Il englobe les titres vedettes de l’économie américaines.

Mais sa méthode de calcul le rend peu illustratif de la marche du marché. Le S&P500 (500 entreprises) lui est préféré au quotidien. Il permet toutefois une lecture historique de l’état de la bourse américaine.

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