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Fraude ou évasion, tel est le dilemme

Keystone

Les autorités judiciaires helvétiques peuvent révoquer le secret bancaire uniquement en cas de fraude fiscale et non pas d'évasion. A l'étranger toutefois, on peine à comprendre et à accepter ce genre de distinction. Des changements se profilent donc à l'horizon.

«J’ai lu qu’en Suisse l’évasion fiscale n’est pas un délit, la fraude fiscale oui… mais quelle est la différence?»

Cette question a été posée par le participant à un forum financier sur internet. Une question que beaucoup de gens se sont posée après que l’UBS a dû fournir au fisc américain les coordonnées d’environ 300 de ses clients accusés de fraude fiscale.

Pas de simple évasion donc, comme l’ont souligné à plus d’une reprise nombre de banquiers et politiciens, dont le président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz. Jusqu’à ce jour, cette différence a été primordiale: dans le premier cas, les autorités judiciaires suisses peuvent ordonner aux banques la levée du secret bancaire, dans le second cas non.

Délit et contravention

«La loi sur l’impôt fédéral prévoit une différence entre la soustraction de l’impôt et le délit fiscal», explique Marco Bernasconi, professeur de droit tributaire à l’Ecole universitaire professionnelle de la Suisse italienne (SUPSI) et à l’Université Bocconi de Milan.

«Le premier cas concerne, par exemple, des omissions de déclarations de revenu ou de fortune. Si une personne dispose d’un capital de 300’000 francs et ne le déclare pas au fisc, elle se rend coupable de soustraction d’impôts.» Dans de tels cas, le contribuable est uniquement punissable aux yeux des autorités administratives et peut être sanctionné tout au plus par une amende.

«On se trouve en revanche face à un délit fiscal lorsqu’on fait recours à des documents falsifiés ou inexacts par exemple», explique le professeur Bernasconi. Dans de tels cas, le fraudeur risque une peine de détention et une amende jusqu’à 30’000 francs.

Contrairement à ce qui se dit souvent, la distinction entre fraude et évasion fiscale n’est pas uniquement propre à la Suisse.

«Les termes de fraude et évasion fiscale varient d’un pays à l’autre. Il faudrait avoir la même définition au niveau international. Les Etats-Unis par exemple, ne reconnaissent que le délit d’évasion fiscale et c’est pour cette raison que les Américains ont de la peine à saisir la différence en vigueur en Suisse. L’Italie, en revanche, a fixé un seuil limite de 100’000 euros d’impôt annuel. A partir de ce montant, l’évasion est considérée comme un délit et est amendable», précise encore Marco Bernasconi.

Revoir la collaboration

Selon le professeur de droit tributaire, ni le secret bancaire ni la protection de la sphère privée ne sont mis en question aujourd’hui. Mais la manière dont la Suisse collabore avec l’étranger, oui.

Le modèle de convention fiscale de 2008 de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) prévoit, à l’article 26, un échange d’informations. Ceci afin que les états puissent appliquer leur droit interne.

Autrement dit, un pays doit pouvoir obtenir d’un autre toutes les informations nécessaires à la taxation de ses résidents et ceci sans aucune distinction entre fraude et évasion fiscale.

«La Suisse concède un tel échange d’informations uniquement aux membres de l’UE et aux Etats-Unis et seulement en cas de fraude fiscale et comportements de ce genre. C’est un problème», souligne Marco Bernasconi.

«Vu la situation actuelle, la communauté internationale voudrait revoir les règles en vigueur. Au mieux, elle souhaiterait que la collaboration prévue par le modèle de convention de l’OCDE soit appliquée. Ou, au minimum, qu’il y ait une coopération en cas de contravention fiscale.»

Une idée qui fait son chemin

L’idée de supprimer la distinction entre évasion et fraude fiscale est en train de faire son chemin en Suisse. Ainsi, le Parti socialiste et le Parti démocrate-chrétien estiment qu’une telle différence n’est désormais plus acceptable et qu’une assistance judiciaire aussi dans ce domaine devra certainement être fournie à l’avenir. Même le ministre suisse des finances, le radical Hans-Rudolf Merz, a admis que la Suisse devra faire des concessions.

Pour l’heure, il s’est contenté de dire qu’il faudra renégocier l’accord sur la fiscalité de l’épargne et l’étendre à d’autres pays qu’à ceux de l’UE, notamment aux Etats-Unis. Cet accord prévoit un impôt à la source de 35% – taxe aussi connue sous le nom d’ «euroretenue» – sur les intérêts accumulés grâce aux comptes ouverts par des citoyens européens dans les banques suisses. Les recettes sont ensuite ristournées aux pays d’origine de ces clients.

L’ «euroretenue» concerne toutefois uniquement les personnes physiques. Lorsqu’il s’agira de revoir cet accord, l’UE exigera sûrement qu’il soit étendu aux personnes juridiques et aux dividendes et il n’est pas exclu qu’elle demande une hausse des aliquotes.

Un prolongement de l’accord sur de nouvelles bases est encore loin d’être acquis: «je ne suis pas sûr que nous ayons encore le temps de négocier le montant des impôts à rembourser», affirme Marco Bernasconi. Il a l’impression que la communauté internationale optera plutôt pour un échange d’informations même en cas de «simple» évasion fiscale.

Pour connaître la réponse à cette question, il suffit d’attendre le sommet du G20 qui aura lieu le 2 avril prochain à Londres. Si la Suisse ne veut pas risquer de finir sur la liste noire des paradis fiscaux, elle devra sûrement renoncer à la différence entre fraude et évasion fiscale.

swissinfo, Daniele Mariani
(Traduction et adaptation de l’italien: Gemma d’Urso)

Art. 175 – Soustraction consommée

1. Le contribuable qui, intentionnellement ou par négligence, omet une taxation ou fait en sorte qu’elle soit appliquée tout en étant incomplète; quiconque contraint de retenir un impôt à la source, intentionnellement ou par négligence ne le retient pas ou le fait de façon insuffisante; quiconque, intentionnellement ou par négligence, obtient une réduction illicite d’impôt ou une amnistie injustifiée est puni par l’amende.

Art. 186 – Fraude fiscale

Quiconque pour commettre une soustraction d’impôt au sens des articles 175-177, utilise de manière trompeuse, de documentation falsifiée, retouchée ou incomplète comme des livres-comptables, des bilans, des comptes économiques, des certificats de salaires ou d’autres attestations de tiers, est puni par la détention ou l’amende jusqu’à 30’000 francs.

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