Comment l’armée ukrainienne apprend à protéger la population civile
L’ONG Geneva Call forme les soldats ukrainiens au droit international humanitaire. Une charte des conflits armés que l’Ukraine s’est engagée à respecter.
Que doit faire une unité de l’armée ukrainienne lorsque celle-ci tombe, à l’issue de combats, sur des soldats russes et ukrainiens blessés?
«La tentation est bien sûr de vouloir prodiguer d’abord des soins aux siens. Mais le droit international humanitaire (DIH) impose de s’occuper en premier lieu des personnes les plus grièvement blessées», précise Harald Mundt, chargé chez Geneva Call de la sécurité en Ukraine. Basée à Genève, cette ONG forme l’armée ukrainienne au respect de ce droit pour anticiper des situations parfois périlleuses.
L’un des principes fondamentaux du DIH impose aussi que les combattants n’attaquent pas délibérément des populations civiles et les installations qui leur sont destinées. «La protection des civils est le principe de base», souligne Harald Mundt. Dès l’invasion russe en Ukraine en février 2022, des unités de soldats volontaires sont également apparues, aujourd’hui toutes sous contrôle de l’armée ukrainienne. Geneva Call instruit précisément ces unités, près de 5000 soldats jusqu’ici, dont des pilotes de drones.
Dans un rapport publié en octobre 2022, la Commission d’enquête indépendante du Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait indiqué que les forces armées russes, mais également ukrainiennes dans certains cas, avaient violé le droit humanitaire.
Comme l’Ukraine souhaite adhérer à terme à l’Union européenne et à l’OTAN, elle a tout intérêt à faire en sorte que ce droit soit respecté. Le ministère ukrainien de la Défense s’est engagé ainsi à former les troupes dans cette voie et le gouvernement a validé cet engagement dans un rapport fin 2024. Les pays signataires des Conventions de Genève, fondement du droit international humanitaire, doivent informer les militaires et les populations, en temps de paix comme en temps de guerre, du contenu de ces accords.
Personnes protégées par le droit humanitaire
Outre les personnes civiles, les soldats blessés qui ne participent plus aux combats, les militaires qui se rendent, les prisonniers de guerre et le personnel médical peuvent se prévaloir d’un tel droit, catégories au centre des préoccupations pour cette formation.
«Cela permet de mieux sensibiliser les acteurs du conflit sur l’importance du droit humanitaire. En effet, devoir se faire prisonnier peut arriver à tout moment. Et il va de soi qu’on souhaite dans ce cas être traité correctement», explique Tina Gewis, responsable du programme et développement pour la zone Eurasie pour l’ONG genevoise.
Dialogue sur la peur et la montée d’adrénaline
«Au cours de nos formations, nous proposons des exercices basés sur des scénarios concrets pour traduire de façon pratique le droit international humanitaire. Ces exercices sont intégrés sur notre plateforme d’apprentissage en ligne», précise Harald Mundt. Les participants y échangent leurs expériences et points de vue sur des situations vécues sur le champ de bataille, des situations poussant parfois à réagir instinctivement sous l’effet de la peur, de la terreur ou de la montée d’adrénaline.
Geneva Call déploie ses cours dans toute l’Ukraine en s’appuyant sur des instructeurs en possession d’un bagage militaire, le plus souvent des vétérans de la guerre qui, blessés au combat, ont dû prématurément quitter l’armée. «Au fait des défis auxquels les soldats sont confrontés, ils peuvent donner des exemples avérés», selon Tina Gewis.
Pour permettre aux militaires sur le front de se former également, Geneva Call a développé des outils numériques et des plateformes. Dès qu’ils en ont le temps, les soldats peuvent par conséquent se former via une application et un site», relève l’ONG.
Comment les drones ont changé la guerre et la prise en charge des blessés
Un des enseignements de cette guerre est que l’usage des drones a évolué. «Début 2022, moins de 10% des dommages causés à des équipements militaires ou à des humains leur étaient dus. Ce taux se situe aujourd’hui entre 60 et 80%», selon Harald Mundt.
«Des drones peuvent aussi actuellement évacuer de manière autonome des soldats blessés», poursuit-il. Destinés à un usage terrestre, des drones sont montés également sur des camions pour la pose de mines ou pour les retirer. Enfin, des drones sont équipés d’armements. L’Ukraine participe activement à cette course technologique.
«Étant donné un usage plus large de ces engins, Geneva Call propose des formations spécifiques pour les pilotes de drones», détaille Harald Mundt. Car la donne a changé. Les drones n’existaient en effet pas quand le droit humanitaire fut élaboré. Pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), gardien du DIH, le droit international de la guerre s’applique à toutes les situations et peu importe les technologies utilisées.
Leur apparition engendre des situations nouvelles comme la reddition de soldats à des drones. «Le droit humanitaire stipule clairement que les personnes qui expriment le vœu de se rendre ne peuvent être attaquées», rappelle Aurélie Lachant, porte-parole du CICR.
Parmi les drones équipés d’armement, certains ont aussi des fonctions autonomes, ce qui leur vaut le qualificatif de systèmes d’armes autonomes (AWS). Une fois leurs fonctions activées, certains peuvent cibler et attaquer sans intervention humaine.
«Lors d’une capitulation, l’usage de ces systèmes soulève des inquiétudes quant à leur capacité de reconnaître avec fiabilité l’ensemble des signaux», analyse Aurélie Lachant. En effet, une arme autonome qui se base sur des catégories de cibles de manière générale et dont les données sont fournies par des capteurs n’est pas en mesure de traduire le contexte ou de décrypter avec certitude des gestes ambigus. Ce qui accroît les risques de fausse interprétation lorsque des soldats veulent se rendre», développe-t-elle.
Pour le CICR, les bases du droit international humanitaire incluent de distinguer entre des cibles militaires et civiles, interdisent des attaques aveugles et disproportionnées et obligent les belligérants à prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter des victimes civiles. Des principes qui s’appliquent à l’ensemble des types d’armements. Avec des drones plus autonomes, le CICR est convaincu que de nouvelles règles de droit contraignantes pourraient offrir une sécurité juridique. «Sans règles, il est à craindre que le développement et l’usage de ces drones conduisent à des pratiques pouvant compromettre la protection des victimes de guerre», avance Aurélie Lachant.
Des cibles précises ne protégeant pas mieux les civils
Enfin, la nouvelle génération de drones à fibre optique résiste mieux aux techniques de brouillage. Ces drones télécommandés FPV (First-Person-View) sont utilisés aujourd’hui des deux côtés du front, contribuant à faire des drones l’arme dominante de ce conflit.
«Les Ukrainiens ont tout intérêt à ce que leurs pilotes qui télécommandent ces drones, équipés de caméra, soient formés au droit international humanitaire», insiste Harald Mundt. Si l’un d’eux attaque une cible, le vol est enregistré sur vidéo jusqu’au point d’impact, puis les images sont stockées dans des bases de données centralisées. Les pilotes peuvent donc facilement être tenus responsables d’avoir enfreint le droit.
«Les innovations, notamment en matière de ciblage, améliorent certes la précision des frappes, mais n’ont pas renforcé pour autant la protection des populations civiles», note le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) dans un rapport publié en avril dernier. Il observe que la plupart des victimes civiles de cette guerre ont été le fait d’attaques russes contre des zones contrôlées par le gouvernement ukrainien.
Texte traduit de l’allemand par Alain Meyer/op
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