La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935
Les meilleures histoires
Démocratie suisse
Les meilleures histoires
Restez en contact avec la Suisse

Les minerais de sang du Congo se retrouvent sur le marché mondial, d’après les experts

Une femme montre un pistolet XRF utilisé pour déterminer la pureté du minerai dans un dépôt commercial de la mine artisanale de cuivre-cobalt de Kamilombe, près de la ville de Kolwezi, dans le sud-est de la République démocratique du Congo
La République démocratique du Congo produit plus de 70% de l'approvisionnement mondial en cobalt. Ce métal est un composant essentiel des batteries et est considéré comme un élément clé de la transition vers les énergies renouvelables. Afp Or Licensors

La transition énergétique alimente la demande pour des minerais cruciaux, ce qui met à rude épreuve la transparence des chaînes d’approvisionnement. Un rapport de l’ONU avertit que les minerais issus de la République démocratique du Congo (RDC) et utilisés pour financer la guerre atterrissent illégalement sur le marché mondial.

Des minéraux cruciaux, nécessaires aux énergies renouvelables, tels que le coltan ou le tantale, un métal issu du coltan, sont présents dans la plupart de nos outils électroniques, comme les téléphones portables ou les ordinateurs. On les retrouve aussi dans les batteries des véhicules électriques.

Leur utilisation a bondi du fait de la transition énergétique et le recours grandissant aux éoliennes et au solaire dans le mix énergétique mondial. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la demande devrait doubler entre 2024 et 2030 et dit qu’elle pourrait même tripler ou quadrupler d’ici cette date si les pays atteignent leurs objectifs climatiques et énergétiques.

Au centre de cette course aux ressources se trouve la République démocratique du Congo, un pays d’Afrique centrale de la taille de l’Europe occidentale. Il fournit la majeure partie du coltan au niveau mondial, et est aussi une source primordiale de cobalt, de cuivre, de diamants, d’or et d’étain.

Contenu externe

Les vastes ressources du pays alimentent des conflits, entre différents groupes ethniques et avec ses voisins, depuis plus de 30 ans. Aujourd’hui, le contrôle de ces minerais critiques est au coeur d’un affrontement régional. Des groupes rebelles occupent des mines, mettent la main sur des ressources, et les introduisent clandestinement dans la chaîne d’approvisionnement mondial.

«La contrebande de minéraux depuis l’est de la RDC vers le Rwanda voisin a atteint des niveaux sans précédent», ont constaté des experts de l’ONU dans un rapport publié en juillet 2025 à destination du Conseil de sécurité de l’ONU.

En conséquence, les négociants en matières premières doivent de plus en plus vérifier si les ressources extraites sont des minerais issus de la zone de conflit, et dont les bénéfices financent la guerre. Dans ce cas, le commerce de tels minerais serait illégal. Il en va de la responsabilité des négociants de s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement sont éthiques.

Trafic vers le Rwanda

Plus tôt cette année, le groupe rebelle congolais M23, soutenu par le Rwanda voisin, a étendu sa présence et son contrôle dans la RDC via une nouvelle offensive qui a débuté fin 2024, et capturé de larges zones dans la partie est du pays, parmi lesquelles Goma, la capitale de la province du Nord Kivu, puis Bukavu, la capitale de la province du Sud Kivu.

Goma se trouve le long de la frontière avec le Rwanda et sur les rives du lac Kivu. C’est un carrefour essentiel pour le commerce et le transport, à portée des villes minières qui fournissent, entre autres, le coltan.

La mine de Rubaya, dans les mains des rebelles depuis avril de l’an dernier, se trouve à 50 km environ au nord-ouest de Goma, et produit près de 15% de l’approvisionnement mondial, selon l’ONU.

La milice détient désormais le contrôle sur plusieurs zones minières, places de commerce et routes de transports pour les minerais dans le Nord Kivu. Selon des rapports de l’ONU, elle a établi une administration parallèle depuis 2024 en vue de gérer le commerce et le transport de minerais de la mine de Rubaya vers le Rwanda.

«Les indices plaident en faveur d’un risque accru d’une fraude transfrontalière, alors que les minerais du Nord Kivu, notamment le coltan issu de la mine de Rubaya contrôlée par le M23, continuent de faire l’objet d’un trafic illégal vers le Rwanda.», a constaté le rapport de juillet 2025 remis au Conseil de sécurité de l’ONU.

Contenu externe

Le M23 se finance largement via l’exploitation minière de coltan. Dès le mois de décembre 2024, les experts de l’ONU ont noté que depuis sa prise de contrôle de Rubaya, le M23 touchait au moins 800 000 dollars par mois, engendrés par la taxation de la production de 120 tonnes de coltan, ainsi que sa commercialisation. Selon l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis, environ 60% de la production mondiale de tantale en 2024 venait du Congo et du Rwanda.

Après la capture de Goma et Bukavu, le M23 s’est mis à faire passer clandestinement ce qu’on appelle communément les minerais 3T (l’étain, le tungstène et le tantale) à travers les frontières vers le Rwanda, selon le rapport de l’ONU. L’enquête révèle qu’au cours de la dernière semaine de mars 2025 à elle seule, le M23 a fait passer 195 tonnes de minerais 3T de Goma vers le Rwanda.

L’intégrité de la chaîne d’approvisionnement menacée

«Ce trafic illégal menace l’exportation (légale) d’étain, de tantale et de tungstène de la région», analyse le rapport. Au Rwanda, les minerais volés sont mélangés à la production locale pour avoir l’air de matériaux originaires du Rwanda dans les chaînes d’approvisionnement en aval. Selon les experts de l’ONU, cette pratique menace l’intégrité et la crédibilité de la traçabilité des minerais dans le monde.

Pour dissimuler l’exportation de minerais de contrebande du Congo, les autorités du Rwanda enflent leurs chiffres officiels de production locale de tantale, d’étain et de tungstène, dénonce le rapport. Selon la base de données Comtrade de l’ONU, le Rwanda exporte plus de tantale qu’il n’en produit. En 2024, le pays a officiellement produit 350 tonnes de tantale, mais en a exporté 715 tonnes, selon les estimations, soit plus du double.

Contenu externe

L’armée rwandaise impliquée dans le conflit

Les experts de l’ONU soulignent aussi que l’armée rwandaise a joué un rôle «décisif» dans l’expansion du M23 et son occupation de nouveaux territoires.

Le Rwanda nie depuis longtemps son soutien au M23, et prétend que ses forces armées ne font que se défendre face à l’armée congolaise et les milices de l’ethnie Hutu liée au génocide rwandais de 1994. Mais selon les experts de l’ONU, le soutien armé du Rwanda au M23 vise à « capturer plus de territoire ».

En juin, la RDC a signé un accord de paix avec le Rwanda, mais pas avec la milice M23. Le traité a été supervisé par le président américain Donald Trump et signé à Washington.

Cela complique encore la possibilité pour le Rwanda de nier son implication dans le conflit.

L’ONG Human Rights Watch a explicitement averti que le traité semble être «d’abord un accord sur les minerais, et seulement ensuite une opportunité de paix.»

Un conflit autour du coltan dans l’UE?

Le commerce des minerais sous le contrôle des groupes armés tels que le M23 signifie qu’on n’a pas le droit de les commercialiser, selon les experts de l’ONU.

«Il y a un gros risque que le coltan commercialisé par le Rwanda a fait l’objet d’un trafic depuis le RDC, ou provient d’une zone de conflit», affirme Robert Bachmann, expert en matières premières à l’organisation suisse Public Eye. L’expertise de l’ONU appelle à une vérification géologique indépendante des matières premières exportées par le Rwanda.

Les directives internationales, telles que le Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque, exigent une approche à plusieurs niveaux pour s’assurer que les entreprises honorent correctement leurs obligations de traçabilité.

Certains signes montrent que des minéraux issus du conflit sont entrés dans l’Union européenne. Une enquête publié en avril 2025 par l’organisation Global Witness a montré que le négociant international en matières premières Traxys, basé au Luxembourg, a fait l’acquisition de 280 tonnes de coltan au Rwanda en 2024.

«Il semble que l’UE a échoué à mettre en place des garde-fous efficaces. Elle devrait cesser immédiatement sa collaboration en matières premières avec le Rwanda.» déclare Alex Kopp, directeur de campagne de Global Witness, dans un communiqué. En février 2024, l’UE a signé un partenariat stratégique avec le Rwanda pour garantir un meilleur accès aux matières premières cruciales du pays, parmi lesquelles le coltan et le tantale.

Un an plus tard, en février 2025, le Parlement européen a descendu en flèche l’action insuffisante de l’UE dans la crise en RDC et demandé la suspension de l’accord commercial.

Kaja Kallas, la diplomate en chef de l’UE, s’est depuis engagée à réviser l’accord.

Et en Suisse?

En Suisse, les ONG estiment que la traçabilité peut être améliorée.

En mars de cette année, le Conseil fédéral, le gouvernement suisse, a déclaré qu’il a condamné à plusieurs reprises la présence de troupes rwandaises sur le territoire congolais, et leur soutien au M23.

Mis à part le café, aucune matière première n’est importée du Rwanda en Suisse, a-t-il affirmé, et il a ajouté que le café et le cacao du Rwanda ne peuvent être commercialisés que par des négociants basés en Suisse. Le Conseil fédéral a dit suivre attentivement les discussions de l’UE à propos du Rwanda et envisage d’adopter toute sanction qui serait imposée.

«En tant que plus grand carrefour mondial de matières premières, la Suisse a une responsabilité particulière s’agissant de réduire au maximum les risques dans le secteur des matières premières, comme les minéraux de conflit», déclare Robert Bachmann de Public Eye. Malheureusement, il y a un manque de transparence en ce qui concerne les transactions des négociants suisses en matières premières, et à propos des obligations contraignantes autour du devoir de vigilance.»

L’UE a adopté sa directive autour du devoir de vigilance en 2024, qui réglemente les obligations des entreprises en matière de traçabilité dans leurs chaînes d’approvisionnement. «La Suisse doit suivre le mouvement», estime Robert Bachmann, qui ajoute que cette demande vient aussi de l’initiative populaire «Entreprises responsables» soumise en mai 2025.

Relu et vérifié par Virginie Mangin/ds. Traduit de l’anglais par Pauline Grand d’Esnon/rem.

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision