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Les racines calvinistes du secret bancaire

A Genève, Jean Calvin n'a pas seulement laissé son empreinte dans les rues, mais aussi dans les esprits. RDB

Calvin continue d'être très présent dans la vie suisse en ce début de 21e siècle, y compris à propos du secret bancaire. Le réformateur, dont le 500e anniversaire sera célébré cet été, a été à la source de l'émancipation citoyenne. Xavier Comtesse, d'Avenir Suisse, revient sur cet héritage.

La Suisse fêtera le 500e anniversaire de la naissance de Jean Calvin en juillet. Le prédicateur n’a pas seulement été un grand rénovateur de la société. Il a aussi laissé à la Suisse et au monde une manière de penser qui imprègne aujourd’hui encore le monde occidental.

Que ce soit dans la manière moderne d’appréhender Dieu ou dans notre rapport à l’argent, que l’on soit banquier ou non, ou encore dans notre compréhension moderne des institutions et de la démocratie: Calvin a marqué tous ces domaines.

swissinfo: Sur quoi se base le protestantisme de Calvin?

Xavier Comtesse: Calvin fait reposer sa pensée sur la Bible telle qu’elle est formulée dans le langage du peuple, sur la séparation entre l’Etat et la religion et sur l’accord selon lequel les croyants, qui financent la commune, peuvent choisir leur prêtre eux-mêmes.

Cette forme d’organisation typiquement calviniste a aussi, avec le temps, imprégné d’autres domaines, non-religieux, de la mentalité helvétique. Les représentants de l’Etat doivent rester éloignés de toutes les institutions religieuses et la base participe aux décisions politiques à tous les échelons, de la commune au gouvernement du pays.

Ces deux éléments ont conduit à une émancipation du peuple, à leur «empowerment», comme on dit aujourd’hui, leur accession à une forme de pouvoir.

swissinfo: Et de quoi la Suisse aurait-elle l’air sans Calvin?

X.C.: Sans cette émancipation du peuple accomplie par Calvin, je crois que nous n’aurions tout simplement pas de démocratie directe. Nous serions une République, comme nos voisins. Mais il faut bien sûr aussi citer Zwingli, qui a joué en Suisse alémanique le même rôle que Calvin.

Ce transfert de structures de l’organisation communale jusqu’au plus haut niveau de l’Etat est typique de la Suisse.

swissinfo: Genève était-elle plus importante que Zurich, en la matière?

X.C.: La Suisse romande n’existait pas, alors. Genève était la ville qui rayonnait, dans toute la Suisse. Bâle avait également de l’importance, mais ce n’était le cas ni de Zurich, ni de Berne ou de Lausanne.

C’est ce qui explique que Calvin ait une renommée internationale plus grande que Zwingli. Même après Napoléon, Zurich comptait moins d’habitants que Genève et son économie était aussi moins importante.

swissinfo: Quelles traces Calvin a-t-il laissées dans le protestantisme?

X.C.: Je connais surtout le cas des Etats-Unis. Le calvinisme y est une pensée très répandue. Environ 15 millions de personnes se disent calvinistes. Dans les pays anglo-saxons, on les appelle les presbytériens.

D’autres communautés vivent en Ecosse et en Corée du sud. On estime à 50 millions le nombre de presbytériens dans le monde. Mais ils ne sont qu’une poignée en Suisse.

swissinfo: Quels ont été les rapports de Calvin avec l’économie et les banques?

X.C.: En réaction au commerce des indulgences pratiqué par l’Eglise catholique pour assurer les revenus du Vatican, Calvin a été l’un des premiers dirigeants d’Eglise à autoriser l’octroi de crédit contre intérêt, mais à des conditions morales très strictes.

Il a ainsi jeté un pont vers le présent. Les taux d’usure étaient hors de question, c’est pourquoi le crédit devait être bon marché. Il s’agissait, comme dans la religion et la politique, de protéger le citoyen dans le domaine bancaire en posant des exigences morales très élevées.

Un des principes du protestantisme est en outre de protéger la sphère personnelle. La combinaison de ce principe et de l’autorisation de mener des affaires bancaires mène tout droit au secret bancaire.

swissinfo: Mais, historiquement, le secret bancaire est censé être né pour protéger le citoyen des intrusions de l’Etat dans sa sphère privée.

X.C.: Exactement. C’est pourquoi la notion de secret bancaire donne lieu à de nombreux malentendus. Le nom «secret bancaire» induit en erreur. Il vaudrait mieux parler de «protection de la sphère privée par la banque».

Ce type de protection n’existe pas seulement en Suisse. En France par exemple, une épouse n’a pas le droit de se renseigner sur les comptes bancaires de son mari, que la loi considère comme relevant de la sphère privée.

En Suisse, nous sommes allés un pas plus loin. La loi nous protège aussi contre l’arbitraire éventuel de l’Etat. Nous retrouvons Calvin, car il a élaboré ce principe pour protéger les citoyens de l’arbitraire de la puissante Eglise catholique.

swissinfo: Que reste-t-il de cette éthique calviniste aujourd’hui, si l’on songe à la crise des banques et de la place financière?

X.C.: Cette crise est une crise de la morale. Nous devrons donc nous confronter davantage à l’avenir à la question de la responsabilité sociale. Il s’agirait d’une sorte de nouveau calvinisme, laïc, avec des signaux moraux, mais pas religieux.

On peut en voir des manifestations par exemple dans le domaine du contrôle de qualité. Les nouveaux standards ISO servent à combler les déficits dans le domaine des responsabilités.

L’organisation ISO est basée à Genève, comme tant d’autres institutions à rayonnement international. C’est aussi un héritage de Calvin.

Une autre «institution» genevoise n’est rien moins que l’internet, qui a été inventé au CERN. Or internet est calviniste en ce qu’il permet à la base, à la population, au «user», d’avoir un accès direct à l’information. Auparavant, il fallait solliciter de puissants intermédiaires pour avoir ces informations. L’internet réforme donc l’accès aux marchés, de la même manière que la réforme de Calvin avait rendu possible un accès direct à Dieu.

Interview swissinfo: Alexander Künzle
(Traduction: Ariane Gigon)

L’expression populaire, voire populiste, «se protéger contre les suzerains étrangers» est vue comme un réflexe typiquement suisse. Selon Xavier Comtesse, il s’agit là encore d’un héritage de l’époque de Calvin.

Calvin a en effet critiqué et lutté contre la mainmise financière de l’Eglise catholique sur ses concitoyens par le biais du commerce des indulgences pratiqué depuis Rome. «Protéger le citoyen des suzerains étrangers» en tant que compréhension typiquement suisse de l’Etat est intimement lié à la pensée du réformateur.

C’est ainsi que l’expression est née et a perduré, indépendamment de son contexte religieux.

Ces «suzerains étrangers» ont aussi désigné ceux qui récoltaient de l’argent pour les Habsbourg à l’est de la Suisse.

Aujourd’hui ils désignent Bruxelles et l’Union européenne.

Xavier Comtesse est le directeur romand d’Avenir Suisse, groupe de réflexion de l’économie suisse.

Né à Neuchâtel, protestant, Xavier Comtesse a étudié au Collège Calvin de Genève, où il vit.

Xavier Comtesse est un spécialiste de la pensée de Calvin. Il explique les conséquences de son œuvre de réforme au 16e siècle de même que l’influence du penseur aujourd’hui.

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