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HSBC: Le fisc suisse a aussi utilisé des données volées

Siège de la filiale genevoise de la banque HSBC. Keystone

Conséquence de l'affaire des fichiers dérobés à la banque HSBC de Genève puis livrés à la France, la Suisse veut interdire aux percepteurs étrangers d'utiliser des données bancaires volées. Petite complication: elle a fait quasiment la même chose!

La Suisse refusera à l’avenir toute coopération internationale en matière de lutte contre l’évasion fiscale – notamment la levée de son secret bancaire – si l’Etat qui souhaite cette coopération fonde sa demande sur des données volées. C’est ce que prévoit un projet d’ordonnance publié la semaine sernière par Berne sur la mise en œuvre des conventions fiscales conclues par la Suisse avec l’étranger.

La disposition sur les données volées est la conséquence directe de la décision du gouvernement français dans l’affaire des fichiers informatiques dérobés à la filiale genevoise de la banque HSBC. Remis à la France par l’auteur présumé du vol, ces fichiers ont certes été rendus cette semaine à la Suisse.

Mais le gouvernement français en a fait des copies et il a clairement laissé entendre qu’il avait la ferme intention de les utiliser pour démasquer et punir d’éventuels fraudeurs du fisc de nationalité française.

Scénario identique

Il vaut la peine d’évoquer dans ce contexte une affaire jugée en 2007 par le Tribunal fédéral et qui montre que la Suisse aussi a, par le passé, utilisé des données volées pour confondre des contribuables.

Le cas est certes un peu différent, mais le scénario est identique. Comme dans l’affaire HSBC, il y a un employé frustré qui, par vengeance, vole des données informatiques à sa firme. Il y a un fisc gourmand qui en profite. Et qui ne voit pas pourquoi on lui interdirait de les utiliser. La différence, c’est qu’en l’occurrence, l’Etat bénéficiaire n’est pas la France mais la Suisse. Que l’Etat victime du vol est le Liechtenstein. Et que l’Allemagne est le bon samaritain qui a transmis les données…à la Suisse.

Tout commence en 1996 lorsqu’un informaticien de la prestigieuse étude Batliner, l’un des plus grands cabinets d’avocats indépendants du Liechtenstein, est licencié. Furieux, l’informaticien dérobe alors à son employeur, spécialisé dans les transactions dites «fiduciaires», une grande quantité de données.

Contribuables allemands condamnés

D’abord vendues à l’hebdomadaire Der Spiegel, ces données sont saisies par le fisc allemand. Leur exploitation entraîne la condamnation pour évasion fiscale d’une centaine de contribuables allemands et l’opération rapporte au fisc plusieurs centaines de millions d’euros!

Mais l’Allemagne n’en reste pas là. Les petits services entretenant l’amitié, le Ministère public de Bochum, spécialisé dans les affaires de criminalité économique, transmet à Berne toutes les données volées qui concernent des contribuables suisses.

Dans plusieurs cantons, des procédures de rappels d’impôt et d’amendes fiscales sont alors lancées, avec succès semble-t-il. Mais dans un cas, qui concerne le canton de Berne, le contribuable se rebiffe. Le fisc, dit-il, n’avait pas le droit de lui réclamer un impôt après coup, les informations utilisées pour calculer cet impôt ayant été obtenues de manière illégale.

Elles auraient en effet été le résultat d’une violation du secret commercial, réprimée par le code pénal, et elles ne pouvaient par conséquent être utilisées comme moyen de preuve.

Le canton de Berne ayant rejeté cette argumentation, l’affaire finit devant le Tribunal fédéral, qui, le 2 octobre 2007, donna tort au contribuable.

Conventions non ratifiées

Dans son arrêt, le Tribunal explique que la manière par laquelle le fisc s’est procuré des renseignements dans cette affaire ne joue en l’occurrence aucun rôle car il aurait pu les obtenir d’une autre manière. La loi sur l’impôt fédéral direct, applicable en la matière, stipulerait en effet que si le contribuable ne fournit pas lui-même les renseignements nécessaires à l’établissement de sa taxation, le fisc peut les exiger directement des «tiers» impliqués: gérants de fortune et fiduciaires par exemple.

Le cas aurait été différent si les données n’avaient pas été volées chez une fiduciaire mais dans une banque, institution que la loi suisse définit avec précision. En Suisse, en effet en raison du secret bancaire, et contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d’autres pays dont la France, le fisc ne peut pas réclamer de renseignements auprès d’une banque s’il y a soupçon d’évasion fiscale.

Il y a un an, sous la pression internationale, la Suisse a cependant accepté – et c’était une révolution – de faire une exception pour les demandes de renseignement émanant de l’étranger. Elle a conclu dans ce but plusieurs conventions fiscales (notamment avec la France).

Mais aucune de ces conventions n’a encore été ratifiée et le fait qu’avant même leur entrée en vigueur, Berne souhaite réglementer leur portée – notamment sur la question de l’utilisation de données volées – ne facilitera probablement pas la tâche de la Suisse sur le plan international.

Michel Walter, swissinfo.ch

Pour éviter d’être maintenue sur la liste grise de l’OCDE des pays «qui n’ont pas encore mis en œuvre substantiellement les règles internationales de coopération fiscale», la Suisse a conclu ces douze derniers mois des conventions d’assistance administrative en matière fiscale avec une douzaine de pays (notamment: Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Luxembourg).

La procédure de ratification est en cours mais Berne l’a interrompue dans le cas de la France suite à la décision de Paris d’utiliser en principe les données informatiques volées à la filiale genevoise de la banque HSBC. La Suisse veut d’abord obtenir de la France des «clarifications». Elle a par ailleurs défini dans un projet d’ordonnance – qui devrait déboucher sur une loi – les conditions auxquelles elle est disposée à accepter des demandes d’entraide fiscale émanant de l’étranger.

Ces conditions prévoient implicitement que la demande doit être rejetée si elle repose sur des données volées.

A noter que rien n’interdit aux fiscs français ou autre d’utiliser des noms figurant sur des listes volées pour «cibler» des contribuables et conclure avec eux des transactions amiables sans l’aide de la Suisse et sans procédure judiciaire.

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