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La Suisse ouvre la porte de l’OMC à la Russie

Le president russe Dimitri Medvedev et son homologue suisse Micheline Calmy-Rey ont inauguré au mois de juin une usine d’Holcim près de Moscou. AFP

Grâce à la médiation de Berne, la Russie et la Géorgie sont parvenues cette semaine à un accord qui permet de débloquer l’accès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Moscou. Expert du Caucase, Eric Hoesli en relève les principaux enjeux.

Après 18 ans de pourparlers, la Russie et la Géorgie sont parvenues à un accord qui doit permettre à Moscou de faire enfin son entrée à l’Organisation mondiale du commerce. Auteur d’un livre sur le Caucase, Eric Hoesli fait la lumière sur les conséquences de cet accord pour les deux pays concernés, l’Occident mais aussi la Suisse en tant que pays médiateur.

swissinfo.ch: Moscou a finalement accepté les conditions de la Géorgie pour retirer son veto contre l’entrée de la Russie à l’OMC. Quelle importance peut-on donner à ce pacte et quelles sont ses implications pour la région?

Eric Hoesli: D’un point de vue occidental, cet accord est très important. La Russie est la seule grande puissance économique qui n’est pas encore membre de l’OMC. Son adhésion entraînera un effet positif sur l’intégration commerciale du monde en raison de la taille de son économie.

Par ailleurs, c’est une autre manière de progresser dans le cadre de la politique de rapprochement entre la Russie et l’Occident. C’est concrètement le cas pour les Etats-Unis, avec qui les relations s’étaient distendues suite à l’arrivée au pouvoir de Barack Obama.

Il faut toutefois rappeler que la Russie et les Etats-Unis ont signé en 2010 l’accord qui remplace le Traité de réduction des armes stratégiques (START) – impliquant que chaque partie réduise d’un tiers ses arsenaux nucléaires – et ont déjà réussi à revenir au dialogue sur ce thème. L’entrée de la Russie à l’OMC renforce ce rapprochement. Sans enlever de mérite à la médiation suisse, il est indéniable que ce dénouement doit en grande partie à la pression exercée par les Etats-Unis sur la Géorgie.

swissinfo.ch: La Géorgie a fait une concession indispensable à la Russie pour permettre son adhésion à l’OMC. Mais la Géorgie a également besoin du soutien de Moscou pour une éventuelle incorporation à l’OTAN. Cet échange de faveurs va-t-il faire évoluer les relations entre les deux pays?

E. H. : Je ne crois pas que les relations changeront, parce que le problème fondamental demeure. En résumant, on pourrait dire que la Russie a dû se faire mal pour accepter qu’un Etat voisin, la Géorgie, puisse exercer une souveraineté absolue. D’autant plus que ce voisin cherche à jouer un rôle principal et veut rejoindre une alliance militaire, en l’occurrence l’OTAN.

D’un autre côté, la Géorgie peine à accepter son statut de petit Etat coexistant à côté d’une superpuissance économique et militaire. Une situation qui ne lui permet tout simplement pas de mener une politique permanente d’agression à l’égard de Moscou. C’est une prémisse que la Suisse a très bien comprise face à son voisin allemand.

Il sera difficile d’obtenir une conciliation dans ce conflit, car les deux positions restent fondamentalement les mêmes. Mais l’entrée de la Russie à l’OMC apportera également de grands bénéfices à la Géorgie. Ce n’est pas uniquement une faveur ou une concession faite à Moscou.

swissinfo.ch: Quels seront les bénéfices commerciaux immédiats pour la Géorgie?

E. H. : Cela fait deux ans que la Russie boycotte la commercialisation de produits géorgiens sur son territoire, l’eau minérale ou les vins par exemple. L’adhésion de Moscou à l’OMC aura une répercussion positive pour Tbilissi, dont le principal marché d’exportation est précisément la Russie.

swissinfo.ch: Le gouvernement géorgien a proposé qu’une entreprise privée indépendante contrôle l’entrée et la sortie de biens commerciaux dans la région, créant une sorte de «médiateur douanier» entre Russes et Géorgiens. Quelles sont les chances de succès d’un tel modèle?

E. H. : Il est nécessaire de comprendre au préalable le nœud de la discorde entre les deux pays. Deux régions de Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, ont prononcé leur indépendance. Une indépendance reconnue par la Russie, mais pas par la Géorgie. Par conséquent, la frontière n’est pas placée au même endroit par les deux pays en conflit.

Comment faire dans ce cadre pour que le commerce se déroule correctement si les agents douaniers sont Russes ou Géorgiens? Cela semble bien difficile.

Nommer des médiateurs neutres est une bonne solution. Mais assigner cette mission à un Etat tiers se révèle délicat. En attribuant cette tâche à une entreprise privée, cela facilitera les choses. Une structure comme celle de la Société Générale de Surveillance pourrait être en ce sens une bonne option.

swissinfo.ch: Quelle sera la récompense pour le médiateur suisse, sur le plan politique et diplomatique?

E. H. : Je suis admiratif devant les diplomates suisses. Le résultat obtenu durant cette médiation est innovant et efficace. Il démontre l’imagination et la capacité de la Suisse à exercer des médiations dans les conflits internationaux.

Grâce à ce succès, nous revenons sur le marché de la négociation internationale, un terrain sur lequel nous avions pris du retard par rapport à des pays comme la Norvège.

swissinfo.ch: Et quels sont les avantages pour la Russie et la Géorgie d’avoir pu compter sur la médiation suisse?

E. H. : Pour les Russes, c’est très utile que Berne ne fasse partie d’aucune alliance politique ou militaire, comme c’est le cas de l’Union européenne. Cela facilite le dialogue et la conciliation.

L’aval géorgien était la dernière condition requise pour que Moscou soit acceptée par la totalité des 153 Etats membre de l’OMC. Cet accord garantit que l’adhésion puisse être formalisée le 15 décembre prochain lors de la réunion ministérielle de l’organisation à Genève.

La Russie a confirmé le 3 novembre 2011 qu’elle acceptait les conditions présentées par la Géorgie sous médiation suisse, mettant fin au veto géorgien à l’adhésion de Moscou à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Selon le négociateur en chef russe, Maxim Medvedkov, le gouvernement géorgien a demandé à Moscou d’accepter «qu’une entreprise privée indépendante contrôle le commerce bilatéral entre les deux pays».

La Suisse a joué un rôle-clé dans la relation entre les deux pays ces dernières années. Depuis 2008 et la rupture des relations diplomatiques entre Moscou et Tbilissi, Berne représente les intérêts de chaque partie face à l’autre.

En 2011, la Suisse a mené une négociation diplomatique dont le dénouement positif a profité aux deux pays concernés mais aussi au rapprochement entre la Russie et l’Occident. Cela permet également à la Suisse de se profiler en tant que médiateur efficace de conflits internationaux.

Né en 1957 dans le canton de Vaud, Eric Hoesli a étudié le droit à l’université de Lausanne, puis a obtenu un diplôme post grade en études du développement à Genève.

Il a travaillé pour plusieurs médias de langue francophone avant d’être nommé directeur des publications du groupe Edipresse.

Eric Hoesli a couvert la guerre en Tchétchénie et a publié un ouvrage géopolitique sur la région en 2006, sous le titre

A la conquête du Caucase.

(Traduction de l’espagnol: Samuel Jaberg)

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