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Le football suisse n’est pas entré en récession

Keystone

Le football suisse a été la cible de nombreuses critiques ces derniers mois. A deux jours du match de la "Nati" en Grèce dans le cadre des éliminatoires pour le Mondial 2010, Bernard Challandes, entraîneur du FC Zurich, refuse de parler de crise. Interview.

A l’instar de l’économie, le football suisse est-il également en passe d’entrer en récession? La question a été posée par les médias suisses ces derniers temps. En cause, les mauvais résultats de l’équipe nationale – élimination précoce de son Euro à domicile puis défaite historique face au Luxembourg – mais aussi une période difficile pour les clubs engagés dans les compétitions européennes.

Le FC Bâle n’arrive pas à rivaliser avec les meilleures équipes du continent en Ligue des Champions (deux défaites en deux matches), tandis que Zurich, Young Boys et Bellinzone ont été sortis avant les phases de poule de la Coupe UEFA.

Bernard Challandes, entraîneur du FC Zurich depuis juillet 2007, est une figure emblématique dans le monde du football helvétique. Ce Neuchâtelois d’origine a longtemps entraîné l’équipe nationale des moins de 21 ans. Il livre son constat, sans langue de bois, sur la situation du football en Suisse.

swissinfo: Beaucoup de spécialistes et de journalistes estiment que le football suisse est en crise à l’heure actuelle. Etes-vous du même avis?

Bernard Challandes: Les critiques sont non seulement exagérées, mais elles sont complètement idiotes. Ca ne correspond à aucune réalité. Ces avis sont émis au jour le jour, avec le vent qui vient et qui va, et qui a effectivement un peu mal tourné ces derniers temps. Le football suisse se porte mieux aujourd’hui que par le passé.

swissinfo: On ne peut tout de même pas dire que la «Nati» a vécu une année 2008 très sereine…

B.C.: L’Euro n’a certes pas répondu aux attentes. Mais une défaite contre le Luxembourg est un événement exceptionnel, dans le mauvais sens du terme, qui est également arrivé dans l’histoire du football à d’autres pays que la Suisse.

La «Nati» a connu ces dernières années la phase la plus prolifique de son histoire, avec des participations à la Coupe du monde et à deux Championnats d’Europe consécutifs. Et jamais par le passé, autant de joueurs suisses n’avaient évolué dans les grands clubs européens. Bien sûr, on préfère parler de tous les joueurs qui ne réussisent pas à s’imposer à l’étranger. Mais ce que font par exemple Frei, Barnetta, Spycher ou Benaglio en Allemagne, ça aurait été tout simplement impensable il y a quelques années!

swissinfo: Les clubs suisses ont connu des éliminations précoces en Coupe de l’UEFA et le FC Bâle n’arrive pas à rivaliser avec les meilleures équipes du continent en Ligue des champions. Il y a quelque chose qui cloche, non?

B.C.: Là-aussi, ces critiques sont complètement ridicules. C’est normal que Galatasaray, avec ses 140 millions de francs de budget, se qualifie contre l’AC Bellinzone, qui doit compter avec 4 millions par année. Et pourtant, les Tessinois ont bien résisté ! Et quand nous accueillons Milan, qui pèse 400 millions de francs annuel, comment peut-on rivaliser? Ces considérations sont également valables pour Bâle en Ligue des Champions. On s’étonne d’une défaite contre le Shakthar Donetsk (Ukraine), alors que leur budget est près de dix fois supérieur.

swissinfo: A budget comparable, le football suisse s’en sort donc plutôt bien.

B.C.: Si on compare uniquement les budgets, on s’en sort très bien sur le plan européen. Mais il faut toujours se poser des questions et continuer à progresser. L’avance que nous avions dans notre système de formation il y a une dizaine d’années est en train de fondre. Beaucoup de «petits» pays comme le Bélarus ou la Moldavie mettent beaucoup de moyens pour rattraper le temps perdu. La concurrence devient de plus en plus forte.

Je ne dis pas non plus qu’il n’y a aucun problème en Suisse. Nous sommes victimes de notre succès au niveau de la formation. Le jeune joueur suisse est un bon produit, pas cher et très demandé. Nous n’arrivons pas à retenir les meilleurs éléments dans nos clubs. Notre meilleur joueur dans la catégorie moins de 15 ans vient par exemple d’être acheté par Arsenal. Nous n’avons aucun moyen de rivaliser avec les grands clubs européens.

swissinfo: Vous mettez le doigt sur un problème épineux. Comment faire pour combler l’écart et éviter cet exode massif?

B.C.: Ce n’est même plus un écart, c’est un fossé! Ca ne me gêne pas tellement d’avoir un petit budget et de ne pas pouvoir acheter les meilleurs joueurs du continent. Ca ne me dérange pas non plus qu’un Gökhan Inler, qui a fait deux superbes saisons avec le FC Zurich, s’en aille jouer à Udinese, en Italie. C’est normal et ça fait partie du jeu.

Ce qui m’énerve profondément, en revanche, c’est que les jeunes joueurs formés pendant des années partent pratiquement sans aucune indemnité enrichir des clubs déjà très fortunés. Pour un joueur formé durant 3 ans au club, on touche en tout et pour tout 150’000 francs. Des «peanuts»! Ca fait longtemps qu’on attend une réglementation pour le transfert des joueurs de moins de 18 ans (ndlr: Michel Platini, président de l’UEFA, souhaite empêcher les transferts des moins de 18 ans et les obliger à signer leur premier contrat professionnel avec leur club formateur).

swissinfo: Les clubs suisses, qui ne peuvent plus retenir leurs meilleurs éléments, se trouvent donc contraints à engager les seconds couteaux des championnats étrangers.

B.C.: On n’a même plus les moyens d’engager les seconds couteaux des championnats européens! Je suis actuellement en contact avec Le Mans, club modeste de première division française. Je ne peux même pas m’attacher les services d’un joueur remplaçant de ce club parce que je n’arrive pas à assumer son salaire. Les présidents sont contraints de spéculer sur de jeunes joueurs africains ou sud-américains. Ca paye parfois, mais les échecs sont nombreux.

Interview swissinfo: Samuel Jaberg

Bernard Challandes, marié et près de quatre enfants, est né au Locle, dans le Jura neuchâtelois, il y a 57 ans. Titulaire d’un diplôme de bibliothécaire, il a ensuite enseigné la culture générale (français, histoire et instruction civique) dans des écoles techniques de la région neuchâteloise, avant de se consacrer totalement à sa passion, le football.

Reconnu unanimement pour ses qualités de communicateur, il a pris les rênes de l’équipe de Suisse M21 en 2001. En 2002, les «Titans», surnom donné à la jeune génération dorée du football suisse, qui comptait dans ses rangs des joueurs comme Grichting, Cabanas, Frei ou Magnin, atteint les demi-finales du championnat d’Europe.

En juillet 2007, il succède à Lucien Favre, parti tenter sa chance au Hertha Berlin, au poste d’entraîneur du FC Zurich. Sa première saison a été agitée. Il a notamment dû faire face à une violente campagne de déstabilisation du quotidien de boulevard alémanique «Blick». Le FCZ occupe actuellement la première place du championnat de Suisse, à égalité avec le FC Bâle.

Près d’une centaines de joueurs professionnels suisses évoluent à l’étranger. Parmi eux, beaucoup sont méconnus du grand public. Quelques exemples: Berardi (Brescia, Italie), Kasami (Liverpool, Angleterre), Gagnou (Auxerre), Landolt (Playa del Carmen, Mexique) ou Reinhard (San José, Etats-Unis)

Au début des années 1980, ces mercenaires se comptaient sur les doigts d’une main. L’arrêt Bosman de 1995, qui a permis la libre-circulation des footballeurs au sein de l’Union européenne et l’abolition des quotas de joueurs nationaux, est pour beaucoup dans cette évolution.

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