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Le rideau le plus silencieux du monde

Annette Douglas avec des échantillons de sa nouvelle collection swissinfo.ch

Annette Douglas, une designer suisse a conçu avec des chercheurs et une fabrique de soie, un rideau laissant passer la lumière mais pas le bruit. Il absorbe cinq fois plus d’ondes sonores que les tissus traditionnels. Une première mondiale. Reportage.

Premier acte: Wettingen, dans le canton d’Argovie. Une salle de séance dans une ancienne filature au bord de la Limmat. La designer textile Annette Douglas présente des échantillons de trois projets. Au premier regard, ils ressemblent à des rideaux tout à fait normaux, comme on en trouve dans tous les appartements.

Ce n’est que lorsqu’on y regarde de plus près que l’on remarque que le tissu est fait de polyester extrêmement fin. En collaboration avec des chercheurs du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa) de Dübendorf et avec l’atelier de tissage de soie Weisbrod-Zürrer d’Hausen am Albis, dans le canton de Zurich, la designer a développé trois modèles différents.

Les commandes affluent

Les tissus  absorbent, selon les fréquences, jusqu’à cinq fois plus d’ondes sonores que les matériaux ordinaires. Cela tient à la combinaison de plusieurs facteurs: «La technique de tissage, le matériel et la construction jouent un rôle. Une partie de notre projet de recherche était de rechercher l’influence de ces facteurs les uns sur les autres et de les vérifier», explique Annette Douglas.

Déjà disponibles dans les commerces spécialisés, les rideaux ont été conçus en premier lieu pour les bâtiments officiels tels que grandes surfaces de bureaux, salons d’hôtel, salles de conférences ou pour les écoles. Mais «nous avons aussi des modèles convenant à un usage privé», note Annette Douglas.

La nouveauté, une première mondiale, a suscité un écho très positif, selon la designer zurichoise. Les commandes affluent des Etats-Unis, d’Australie et d’Asie.

Des filatures du 19e siècle

Pour Annette Douglas, le défi consistait à combiner harmonieusement esthétique et fonctionnalité.

«Tout le monde recherche le calme et une ambiance agréable, explique-t-elle. Je pense même que cela correspond à une profonde aspiration de l’être humain. Essayer de faire que l’esthétique se rajoute à cette fonction est, à mes yeux, passionnant.»

La Suisse dispose d’un grand potentiel dans le domaine de la technologie des tissus fonctionnels, ajoute la designer. Les premières filatures du 19e siècle remplissaient déjà ce rôle. «Nous devons rester leaders. Nous avons le savoir-faire nécessaire et devons le conserver», souligne, convaincue, Annette Douglas.

Fascination pour les textiles

Annette Douglas a eu l’idée des rideaux «hyper silencieux» il y a cinq ans. Son intérêt pour les textiles n’est pas tout à fait le fruit du hasard: dans sa famille d’origine anglaise, son père et son grand-père travaillaient déjà dans la branche textile. «Il était assez logique que je suive leur voie», dit-elle.

«Les textiles sont ma passion, ajoute la designer, âgée de 40 ans. Quand on entre dans une pièce qui comporte des textiles, il y a un autre rayonnement, quelle que soit la forme des tissus.»

Mieux se comprendre

Lever de rideau sur le deuxième acte: Dübendorf, dans le canton de Zurich. Une pièce complètement insonorisée. Des réflecteurs en plexiglas et des micros sont accrochés au plafond. C’est ici que les rideaux d’Annette Douglas sont testés selon les standards internationaux.

Les réflecteurs garantissent que les ondes sonores vont dans toutes les directions. Reto Pieren, électrotechnicien, et son chef, l’ingénieur Kurt Eggenschwiler, expliquent les particularités de la pièce insonorisée: «Il s’agit d’une cabine en béton, montée sur ressorts dans une salle et sans contact avec les murs extérieurs. Elle dispose d’une réverbération de 5 à 10 secondes. Lorsqu’on veut parler dans cette salle, il faut chuchoter.»

Une surface de douze mètres carrés de chaque modèle de rideau d’Annette Douglas a été testée ici. «Le tissu absorbe les ondes sonores reflétées par les murs. Il réduit ainsi la réverbération dans l’espace et augmente la capacité à s’entendre», explique Reto Pieren.

Selon les techniciens, ces rideaux se prêtent particulièrement bien aux bâtiments où d’autres mesures architecturales contre le bruit n’ont pas fonctionné. «L’architecture moderne utilise souvent des surfaces de verre. Avec des tissus conventionnels, les limites de capacité d’absorption sont vite atteintes», ajoute Reto Pieren.

Les rideaux se composent de trois à quatre différents fils de polyester. La manière dont ils sont entrelacés joue un rôle extrêmement important. Pendant la phase de recherche, Reto Pieren a testé différentes structures en 3D sur l’ordinateur, «pour limiter le nombre de tests».

Le bruit, un facteur économique

Dernier acte: un bureau à l’Empa, à Dübendorf.
Selon Kurt Eggenschwiler, directeur de la section acoustique et membre de la commission fédérale d’experts sur les questions de bruit, l’acoustique a une influence déterminante sur la performance des employés. En Suisse, où le secteur des services est très fort et les grandes surfaces de bureaux nombreuses, ce point est sous-estimé.

«Ce que l’on appelle la boucle acoustique est surchargée, dans notre cerveau, par trop d’événements acoustiques, explique le chercheur. On est toujours en train d’essayer de savoir si on comprend ou non, si la chose dite est importante ou non…» C’est encore plus le cas avec les langues étrangères. «Pendant que le cerveau est occupé à déchiffrer, il ne peut pas se concentrer…» Les rideaux d’Annette Douglas pourraient mettre un terme à cet inutile stress…

Trois. La collection de textiles acoustiques «Silent-Space» d’Annette Douglas se compose de trois modèles différents: «Whisper», «Liquid» et «Streamer».


Prix. La designer textile travaille avec des producteurs connus et a déjà reçu plusieurs récompenses.

Collection. En automne, elle pourra présenter sa propre collection de rideaux à l’Atelier Pfister, avec d’autres designers suisses.

Empa. Officiellement nommée «Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche», plus connu sous le nom d’Empa, l’institution a des bureaux à St-Gall et Dübendorf (ZH). Elle est rattachée aux différents domaines de recherche des Ecoles polytechniques fédérales (EPF), comme l’Institut Paul Scherrer, l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) et l’institut de recherche sur l’eau Eawag.

Industrie. «Les activités de recherche et de développement de l’Empa s’orientent sur la demande de l’industrie et sur les besoins de la société et établissent un lien entre la recherche appliquée et sa transposition pratique, entre la science et l’industrie ainsi qu’entre la science et la société», indique l’Empa sur son site internet.

Budget. La Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) finance la moitié du budget du projet. L’autre moitié est prise en charge par les partenaires, provenant de l’économie, des sociétés Annette Douglas Textiles et Weisbrod-Zürrer AG.

Entreprises. La CTI est une agence de la Confédération pour encourager, selon ses propres indications, «la recherche appliquée et développement (Ra&D), la promotion de l’entrepreneuriat et le développement de jeunes entreprises.

Indépendante. La CTI est, depuis 2011, indépendante de l’administration fédérale et dispose d’un budget annuel de quelque 200 millions de francs.

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