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Les îles Caïman, le paradis de trop?

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La société ad hoc chargée de gérer les actifs pourris d'UBS doit être domiciliée dans un paradis fiscal. La Banque nationale suisse (BNS) présente cette solution comme la plus rapide et la plus efficace. Sous la pression, elle se voit cependant obligée d'en étudier d'autres.

Brutal, le réveil l’a été pour la Suisse au matin du 16 octobre. Alors que la plupart des experts estimaient que les banques helvétiques étaient bien capitalisées, le gouvernement, jusque-là muet, annonçait un plan de sauvetage taillé sur mesure pour UBS.

La grande banque helvétique – la plus concernée en Europe par l’exposition aux crédits à risques américains – voyait son bilan déchargé d’actifs toxiques à hauteur de 60 milliards de dollars. Des titres momentanément dénués de valeur destinés à être transférés dans une entité entièrement contrôlée par la BNS.

L’effet de surprise a été total. Le lendemain, les médias ont décortiqué le paquet proposé. Mais un élément est passé presque inaperçu: c’est depuis les îles Caïman que la BNS prévoit de liquider les actifs pourris repris à UBS.

Cinquième place financière du monde, l’archipel est surtout un paradis fiscal notoire. A l’heure où la volonté du ministre allemand des Finances Peer Steinbrück d’inscrire la Suisse sur la «liste noire» des paradis fiscaux non coopératifs faisait grand bruit, ce choix a suscité de nombreuses questions.

Machine arrière

Présentant son plan alternatif, le parti socialiste (PS) a le premier critiqué le recours aux paradis fiscaux dérégulés. «Que la Confédération choisisse de créer une société dans un paradis fiscal pour profiter de l’absence de régulation alors que c’est justement l’absence de régulation qui est la cause de nos ennuis, cela dépasse l’entendement!», soulignait le président du PS Christian Levrat dans la presse.

Du côté de la BNS, son porte-parole Werner Abegg refuse de dire si l’idée des Caïmans a été soufflée par UBS. Reste que si l’opération devait malgré tout s’avérer profitable – ce dont doutent bon nombre d’experts – les modalités de répartition ont déjà été fixées.

En cas de bénéfice, le premier milliard irait à la BNS, ainsi que 50% de l’éventuel capital restant. Pour sa part, la grande banque pourrait engranger l’autre moitié et ainsi regagner jusqu’à 3 milliards.

Aux yeux des détracteurs du plan de sauvetage, c’est là une preuve de plus que celui-ci a été largement concocté par UBS. Dans la débâcle, la banque n’aurait pas perdu le nord en proposant d’implanter cette structure dans un paradis fiscal exempt d’imposition.

Solution alternative

De leur côté, les commissions des finances du Parlement ont également demandé des explications quant à ce choix. A fin octobre, celle du Conseil des Etats (chambre haute) a entendu la ministre des finances par interim Eveline Widmer-Schlumpf et le patron de la BNS Jean-Pierre Roth.

Après cette entrevue, la commission a certes salué la volonté du Conseil fédéral «de miser sur une solution techniquement et juridiquement éprouvée vu le peu de temps à disposition». Mais elle a aussi émis un important bémol, précisant dans son communiqué qu’il fallait «encourager clairement la recherche de solutions alternatives» à celle des îles Caïman.

Une option que semblent désormais privilégier certains membres du gouvernement. Lors du dernier congrès du parti socialiste, la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey a ainsi exprimé publiquement son désir de voir la société créée par la BNS localisée ailleurs que dans un paradis fiscal offshore.

Pour sa part, Eveline Widmer-Schlumpf a promis devant les commissions du parlement qu’à sécurité juridique équivalente, la structure pourrait avoir son siège ailleurs. «La BNS est en train de vérifier s’il y a d’autres possibilités. Le processus est encore en cours. Il se pourrait qu’on trouve une autre solution», confirme Werner Abegg sans en dire plus sur le calendrier.

La Suisse plus restrictive

Jusqu’ici, la BNS a présenté la solution des Caïmans comme étant la plus efficace. Créer une société de portage ailleurs prendrait plus de temps. De plus, l’archipel possède selon elle des structures légales spécifiques éprouvées pour une telle implantation. Une autre manière de dire que ce qui est possible dans les Caraïbes ne le serait pas en Suisse.

«Si une telle société était constituée en Suisse pour l’acquisition des actifs d’UBS, il faudrait respecter les règles destinées à prévenir la reprise d’actifs surévalués dans le cadre de la fondation, lesquelles prévoient notamment le concours de l’organe de révision. Dans un contexte où tout le débat porte précisément sur la valeur de ces actifs, cela pourrait s’avérer délicat», explique Jean-Luc Chenaux, professeur de droit des sociétés à l’Université de Neuchâtel.

Et Robert Danon, professeur de droit fiscal également à Neuchâtel, de renchérir. «Même si la valorisation de ces actifs pouvait être justifiée lors de la constitution, cette société pourrait avoir à procéder ultérieurement à des corrections de valeur qui pourrait la mettre dans une situation financière difficile. Dans ce cas, le droit suisse prévoit des règles qui sont probablement plus rigides que celles appliquées par les îles Caïman».

En définitive, l’archipel pourrait donc se voir écarté au profit d’une solution intermédiaire encore à définir. A l’heure où son image fiscale est mise à rude épreuve, la Confédération va peut-être estimer bon de placer les actifs «illiquides» de l’UBS ailleurs qu’aux Caïmans, même si les îles sont parfois surnommées la «Suisse des Caraïbes».

swissinfo, Carole Wälti

Le plan de sauvetage présenté au matin du 16 octobre par la Confédération est historique.

Jamais jusque-là l’Etat helvétique n’était intervenu aussi massivement dans l’économie.

Contrairement à ce qui s’est passé pour d’autres banques européennes à la dérive, la Confédération a renoncé à entrer dans le capital d’UBS.

Pour renflouer la banque, l’Etat va sortir 6 milliards de francs de ses caisses. Cet argent sera injecté sous forme de prêt. L’UBS devra rembourser selon un intérêt fixé à 12,5%.

Parallèlement, un fonds ad hoc sera créé pour racheter les actifs toxiques d’UBS.

Ce rachat se fera via de l’argent mis par UBS (les 6 mias. de dollars fournis par la Confédération) et par la BNS (54 mias. empruntés à la Fed puis à d’autres banques centrales).

En cas de pertes, UBS est déliée de l’obligation de rembourser.

En cas de bénéfices, le premier milliard ainsi que 50% de l’éventuel capital restant irait à la BNS.

Aux 17e et 18e siècle, l’archipel des Caïmans était un repaire de pirates

Sous contrôle de la Grande-Bretagne dès le 17e siècle, les îles ont choisi de rester dans le giron britannique après leur indépendance en 1962.

Elles ont un statut de territoire d’outre-mer et sont un paradis fiscal «offshore» bien connu.

L’archipel connaît le secret bancaire et ne prélève aucun impôt sur les bénéfices des sociétés, les revenus et les gains de capitaux.

Le nombre estimé de fonds divers, banques, assurances qui y sont installés est estimé à 70’000.

La capitale George Town est aujourd’hui la cinquième place financière du monde.

Les îles Caïman ont toutefois pris des engagements en matière de transparence et d’échange d’information envers l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).

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