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La luge Davos redevient tendance

Davoser Schlitten
Le classique par excellence. Adrian Moser

À l’origine, les petites luges étaient destinées au transport de marchandises. Ensuite, un menuisier a conçu la luge de sport Davos. Depuis, ce moyen de transport traditionnel fait partie intégrante du quotidien des Suisses durant l’hiver. Et des menuisiers comme Paul Burri perpétuent cette tradition.

Dans la petite menuiserie de Paul Burri à Lohnstorf, dans le canton de Berne, la place manque en ce début d’hiver. En effet, tout semble tourner autour d’un seul et unique sujet: la luge. Dans un coin, des pièces en bois sciées sont prêtes à être utilisées. À l’autre bout de la pièce, des luges terminées s’empilent quasiment jusqu’au plafond. Et dehors, la neige recouvre la petite rue où Burri travaille et ­habite. Il s’agit de la même rue où durant son enfance, Burri organisait des courses de luge avec ses frères. 

À l’époque, le service d’entretien des routes de la commune répandait du gravier sur la neige. Mais les enfants Burri utilisaient la charrue qu’ils ­avaient construite eux-mêmes pour écarter les petites pierres freinantes de leur piste. Ensuite, ils pouvaient commencer à s’amuser. Désormais, un bon demi-siècle plus tard, Paul Burri est le fabricant de luges de la région.

Burri n’est pas le seul dont les souvenirs d’enfance sont marqués par la luge: l’objet fait partie intégrante de l’enfance des Suisses. Dès qu’il neige, les plus jeunes glissent ou dégringolent les meilleures pentes avec ce moyen de transport en bois, accompagnés des ­parents ou des grands-parents qui ­faisaient pareil à leur époque. Souvent, ils utilisent une «luge Davos». Cet archétype de luge en bois suisse n’a pas changé depuis plusieurs générations.

Obligatoirement en frêne

Schlittenbauer Paul Burri
Travail manuel sur mesure: le menuisier Paul Burri fabrique 200 à 300 luges par an dans sa petite exploitation. Adrian Moser

Burri et une douzaine d’autres fabricants sont à l’origine de la présence continue de cette luge. Ils perpétuent la fabrication artisanale de luges et savent ce qui caractérise une bonne luge: il faut obligatoirement que celle-ci soit fabriquée en frêne. Ce bois est à la fois dur et solide, élastique et constitué de longues fibres. Ainsi, il est possible de bien plier les patins de la luge. Et les lattes de l’assise rebondissent sans rompre.

Burri est menuisier. Mais chaque fabricant de luge ressemble également un peu à un cuisinier. En effet, les patins recourbés de la luge sont d’une certaine manière conçus dans une marmite. En tout cas, les bruits que l’on entend chez Burri sont les mêmes que dans une cuisine: «Les pièces en bois pour le patin sont chauffées à la vapeur humide à 150 degrés pendant une heure.» Ensuite, les pièces sont pliées et fixées. Une fois refroidies et sèches, la courbure est conservée. Cependant, un bout de bois n’est pas forcément semblable à l’autre. Ainsi, chaque courbure, et donc chaque luge, sont légèrement différentes.

Variantes régionales originales

La luge rectiligne Davos est considérée comme l’original parmi les luges en bois. Mais il existe de nombreuses variantes régionales originales, car au cours du XIXe siècle, de nombreuses régions alpines ont conçu leur propre luge typique. En plus de la luge Davos, la luge Grindewald est toujours très répandue. D’autres luges s’appellent «Bergüner», «Goldiwiler» ou «Grönländer», cette dernière étant originaire d’Alp Grön, dans le Justistal.

Année après année, Burri démontre que rien ne change dans l’univers de la luge traditionnelle. Ou bien peut-être que si? Qu’en est-il de tous les supports glissants en plastique ou des luges de sport ultramodernes, dirigeables et rapides? «Les traditions ne se perdent pas», pense Burri. Il connaît les tendances modernes et fabrique également lui-même un «modèle plus sportif». Mais ce sont les luges traditionnelles qui lui procurent le plus de plaisir. Il a cependant accepté l’une des évolutions principales. En effet, au début, l’utilité principale de la luge était de transporter de petites charges à travers les villages enneigés. De nos jours, il s’agit d’un accessoire de loisir.

Un classique suisse

D’une longueur de 80 à 130 centimètres, la luge en bois avec inscription «Davos» apposée est un classique suisse. Son nom remonte à la première course historique de luge de 1883 à Davos qui a également entraîné la fondation du «Davos Toboggan Club» à prédominance britannique. Auparavant, des charrons de Davos fabriquaient les premières luges pour touristes. En 1888, le pionnier du ski Tobias Branger a présenté sa «luge Davos» et a ainsi conçu le modèle originel, toujours utilisé de nos jours.

Les modernistes du milieu de la luge s’étonnent du grand nombre de luges Davos et de luges similaires qui sont toujours construites. Pour eux, les adeptes des luges Davos, difficiles à diriger, appartiennent à une époque révolue. Et une chose est sans doute vraie: en utilisant les luges classiques en bois, la vitesse est moins élevée. Mais les descentes dans la neige et les flocons s’abattant sur le visage confèrent toujours une intense sensation de bonheur hivernal. Pour le fabricant de luges Burri, c’est la force de la tradition qui contribue à cette réussite durable. De plus, les enfants ont grandi avec des luges simples et non des machines de course sophistiquées. Le défaut de la luge Davos cons­titue donc également sa qualité: «Comme elle n’est pas trop rapide, elle est également moins dangereuse.»

120 pistes de luge préparées

En Suisse, chaque hiver, environ deux millions de personnes descendent les pistes de luge, c’est-à-dire 120 parcours préparés permettant des descentes de plusieurs kilomètres. Le nombre de ces offres commerciales augmente. Dans le même temps, les superlatifs sont à l’ordre du jour. Avec ses 15 kilomètres, la plus longue piste de luge au monde permet d’admirer l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau, du Faulhorn à la Bussalp, jusqu’à Grindelwald. Ce n’est pas étonnant, car depuis longtemps, les prestataires commerciaux ont découvert et attiré les amateurs de luge à l’esprit quelque peu anachronique. Mais la luge est également en plein boom en dehors des pistes, sur toutes les surfaces enneigées avec une pente suffisante.

Est-ce que Paul Burri observe cette mode? Chaque année, il fabrique entre 200 et 300 luges. Cet hiver, il a dépassé les 1000. Mais avec son habituelle modestie, il indique qu’il s’agit d’un «hasard», étant donné qu’une grosse commande a entraîné cette augmentation. Mais les autres fabricants de luges du pays n’ont pas non plus à se plaindre. En plus des «traditionalistes» comme Burri, il y a des entrepreneurs qui s’attaquent au marché du luxe avec des séries limitées exclusives revêtues de laiton. Au final, les luges «made in Davos» sont également plus demandées. À l’époque, en 1954, la production de luges avait été stoppée. Mais grâce à Paul Ardüser, un habitant d’Arosa fabrique de nouveau des luges. Et le plus grand fabricant ­suisse, 3R AG basé à Sulgen, vend chaque saison jusqu’à 5000 luges de tous types. Le gérant de 3R, Erwin Dreier, ne pense pas que la luge Davos va tomber dans l’oubli: «En effet, il s’agit d’une construction du patrimoine culturel suisse.»

Revenons à Paul Burri. Il travaille avec la fierté d’un artisan qui sait qu’il peut «construire une luge de façon entièrement autonome». Il scie soigneusement les pièces en bois désormais sèches en deux moitiés pour obtenir ainsi deux patins courbés identiques. Il choisit un bois particulièrement joli pour les supports de la luge entre les patins et la surface d’assise. Il découpe les lattes au jugé, avec précision. D’une main sûre, il plie les rails en acier et les visse sur les patins en bois. Chaque luge est fabriquée ainsi. La montagne de luges continue à s’agrandir dans la petite exploitation. Et devant cet amoncèlement, Burri explique que les luges existeront toujours.

La luge, ce compagnon de transport traditionnel, déteint aussi sur son constructeur. Burri ne suit pas les modes. Est-ce qu’il propose son produit de qualité sur internet? Non. Est-ce que chez lui, on peut commander une luge par e-mail? Non, pas possible. Les gens savent où le trouver: «J’habite à Lohnstorf.» Il est donc conseillé de ­toquer à la porte de la petite menuiserie située dans la petite rue que Burri ­descendait autrefois en luge.

Cet article est tiré du dernier numéro de la Revue Suisse. Publié par l’Organisation des Suisses de l’étranger (ASO), le magazine officiel des Suisses de l’étranger est publié six fois par an en quatre langues – sur papier, sur Internet et sous forme d’application. Lire gratuitement sur www.revue.chLien externe.​​​​​​​

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