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En Libye, Kadhafi mobilise son arsenal répressif

La télévision publique a demandé aux admirateurs du colonel de sortir dans la rue pour montrer leur amour et leur attachement au guide. Keystone

Alors que le pays a commencé mercredi à vivre ses premières révoltes, et qu’une journée de colère est prévue jeudi, le colonel Kadhafi met en route son rouleau compresseur répressif. L’importance des moyens mobilisés sont révélateurs de l’inquiétude du régime.

Le silence… Inquiétant. Hier, nous avons tenté en vain d’atteindre des Libyens qui s’étaient exprimés dans les colonnes du quotidien La Liberté au sujet de la journée de la colère d’aujourd’hui, jeudi. Une journée organisée grâce à Facebook et qui vise à déboulonner le colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans à Tripoli. Mais aucun d’entre eux n’a répondu.

Et pour cause. Selon nos informations, les autorités libyennes qui filtrent toutes les communications téléphoniques et observent les mouvements sur internet ont procédé à une vaste rafle de toutes les personnes ayant reçu des appels de l’étranger, qui ont consulté Facebook, qui ont envoyé des messages sms ou qui ont posté sur le net des images des violentes manifestations de mardi soir à Benghazi, la deuxième ville de Libye.

Autre signe qui ne trompe pas: la télévision publique, qui a diffusé des images des manifestations pro-Khadafi, a demandé aux admirateurs du colonel de sortir dans la rue aujourd’hui pour montrer leur amour et leur attachement au guide. Le point de la situation avec Khaled Salah, président de la ligue de solidarité libyenne basée à Genève.

Avez-vous des informations sur ce qui se passe actuellement en Libye?


Khaled Salah: Les services de sécurité libyens, appuyés par des personnes en civils, raflent des centaines de personnes à Benghazi et à Tripoli. La police intervient de nuit comme elle a fait avec le grand homme de littérature Idriss Al Mismari. Il a participé aux manifestations de mardi soir de Benghazi avant d’être arrêté hier matin dans sa maison. La police a tabassé ses enfants, sa femme. Elle saccagé sa maison.

La situation est explosive dans la ville Al-Beïda où 300 jeunes ont brûlé le poste de police et dressé des barricades en ville. Selon nos informations, il y a eu plusieurs blessés lors des affrontements. Un jeune de 17 ans aurait été tué par balles par les forces de la répression. Les sbires de Kadhafi ont peur de la mobilisation pour la journée de la colère. Ils ont maté ceux qui sont sortis manifester pour mieux terroriser la population. Mais cette dernière est déterminée et animée par le courage de la rue tunisienne et égyptienne.

Dans ce climat de terreur, est-ce que les Libyens auront encore le courage de manifester aujourd’hui?


K.S.: A Benghazi, les familles de prisonniers tués en 1996 dans une fusillade dans la prison d’Abou Salim manifestent chaque samedi depuis des années. Mais loin des caméras du monde. Pour ce 17 février de la colère, on espère que les Libyens seront au rendez-vous de l’histoire pour tourner la page d’un des pires dictateurs de la planète.

En 42 ans de pouvoir, il a effacé toute dignité de son peuple. Il a fait d’une nation de six millions d’habitants des aliénés, des gens fliqués, traqués, terrorisés. Mais ce qui est arrivé au Caire va pousser les gens à sortir pour cette journée de mobilisation à l’occasion du cinquième anniversaire du soulèvement de Benghazi. Le 17 février 2006, la police y avait tué 14 personnes, après que des manifestants eurent attaqué le consulat d’Italie pour dénoncer la publication de caricatures de Mahomet.

Serait-il possible de déboulonner facilement Kadhafi?


K.S.: Le régime a mobilisé depuis plusieurs semaines les comités révolutionnaires, la police et des milliers de pro-Kadhafi pour tuer tout mouvement révolutionnaire. Ici, celui qui appelle à la démocratie est un traître au service de l’Occident.

Les administrations ont donné congé à leurs employés pour aller soutenir le colonel. Kadhafi a même offert aux Libyens l’équivalent de 16’000 francs et une voiture à toute personne qui casse la figure à ceux qui sortiront pour la journée de la colère. Les autorités encouragent les voisins à dénoncer ceux qui lisent les messages de mobilisation sur Facebook. L’internet a été coupé pour les particuliers.

Désormais il faut aller dans les administrations clandestinement pour poster des messages et des vidéos. Heureusement qu’au sein du régime, des gens veulent le changement. Là, est notre chance. Même si les services secrets ont raflé les personnes qui se connectent sur les réseaux sociaux et ceux qui diffusent les appels à la mobilisation.

La communauté libyenne va-t-elle manifester en Suisse? Oui, samedi à Genève. Un grand rassemblement est prévu à 14 h sur la place des Nations. Aujourd’hui, une grande marche se déroulera à Londres où vit une importante communauté libyenne. On espère que les pays occidentaux, l’Amérique en tête, ne vont pas sacrifier la révolution libyenne au détriment des affaires dans le domaine pétrolier et gazier que leur fait miroiter le dictateur Kadhafi.

Et les médias étrangers?


K.S.: Aujourd’hui, il n’y a pas de médias libres en Libye et le régime a interdit à des journalistes d’aller à Benghazi. Ensuite, à la différence de la Tunisie et de l’Egypte, ni Al-Jazira ni CNN ne sont présentes à Tripoli. La révolution aura probablement lieu à huis clos. Et si elle réussit, ce sera un petit miracle. Mais j’ai confiance dans l’envie de changement des Libyens, qui scandent: «Kadhafi dehors, dehors, la Libye enfin libre.»

Appels. Amnesty International, Londres et l’Union européenne ont appelé à éviter le recours à la force, tandis que les Etats-Unis ont demandé à Tripoli de «prendre des mesures spécifiques qui répondent aux aspirations, aux besoins et aux espoirs de leur peuple».

Anniversaire. La journée de jeudi marque le cinquième anniversaire d’affrontements survenus à Benghazi au cours desquels les forces de sécurité avaient tué plusieurs manifestants qui attaquaient le consulat italien.

Record. Au pouvoir depuis 1969, un record en Afrique, Mouammar Kadhafi contrôle la Libye d’une main de fer.

Pétrole. Même si certains Libyens se plaignent du chômage, des inégalités et du manque de libertés, la Libye est un pays exportateur de pétrole et le pouvoir semble pouvoir puiser dans la manne énergétique pour satisfaire d’éventuelles revendications sociales.

Régime. Kadhafi affirme que la Libye n’a pas besoin d’importer le concept occidental de démocratie car elle s’appuie sur son propre système fondé sur la «troisième théorie universelle». Son régime substitue à la démocratie représentative un système direct via des institutions appelées comités populaires.

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