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La formule magique redessinée

Les sept sages (et la chancelière, à g.) qui composent le nouveau gouvernement suisse. Keystone

Après 44 ans, la répartition des forces a changé au Conseil fédéral. Avec Christoph Blocher, l’UDC (droite dure) ravit un siège aux démocrates-chrétiens.

Ruth Metzler s’en va donc. Et le radical Hans-Rudolph Merz remplace Kaspar Villiger. Bref, le gouvernement vire à droite.

Grand vainqueur des législatives du 19 octobre, l’Union démocratique du centre (UDC) a réussi son pari. Dominé par ses faucons, le parti de la droite dure décroche son second siège au Conseil fédéral. Et il y place son leader charismatique, Christoph Blocher.

Député au Parlement fédéral et entrepreneur milliardaire, le tribun zurichois brûle la politesse à la démocrate-chrétienne sortante Ruth Metzler.

Battue au 3e tour, la jeune ministre de la Justice est le deuxième conseiller fédéral de l’histoire à quitter l’exécutif fédéral contre son gré.

Dans un discours très digne, Ruth Metzler a déclaré se plier à la volonté de l’Assemblée fédérale (les deux Chambres du Parlement), malgré la douleur personnelle qu’elle éprouve.

A 63 ans, Christoph Blocher est le 19e conseiller fédéral zurichois. Et le tout premier démocrate du centre zurichois à accéder au Conseil fédéral (gouvernement).

«Je n’aurai pas la naïveté de céder à l’illusion: j’ai été élu pour toute une série de raisons», a lancé le Zurichois fraîchement élu devant l’Assemblée fédérale.

Et Christoph Blocher de poursuivre: «Je pense que le système de la concordance, qui voit quatre partis de sensibilités différentes représentés au gouvernement, peut déboucher sur des solutions qui sont fiables. Je prends l’engagement de tout faire pour mériter la confiance qui m’a été accordée».

Un toilettage en règle

Pour le second siège radical, la succession de Kaspar Villiger consacre un autre homme.

Il aura fallu deux tours seulement à l’Appenzellois Hans-Rudolph Merz pour battre sa rivale, la Bernoise Christine Beerli.

Après 44 ans de bons et loyaux services, la fameuse «formule magique» a donc subi son premier toilettage.

Concrètement, un démocrate du centre (dorénavant 2 sièges sur 7) remplace un démocrate-chrétien (1), aux côtés des deux radicaux et des deux socialistes.

Socialistes et démocrates-chrétiens jugent que les élections de Christoph Blocher et de Hans-Rudolf Merz rompent l’équilibre du gouvernement.

Certains vont même plus loin. Ils estiment qu’elles constituent un changement de régime politique.

La Suisse est en train de passer dans un autre système politique, comparable à celui que connaît la France ou la Grande-Bretagne, assure le député (conseiller national) démocrate-chrétien genevois Jean-Philippe Maitre.

Pour le conseiller national radical vaudois Yves Guisan, le Conseil fédéral est désormais clairement à prédominance néolibérale et anti-européenne.

«C’est Zürich über alles!, lance le député socialiste tessinois Franco Cavalli. Et, pour la première fois de l’histoire suisse, nous avons un Premier ministre en la personne de Christoph Blocher.»

Une expérience à tenter

De leur côté, la majorité des radicaux et les milieux de l’économie saluent les compétences des deux nouveaux élus.

L’élection de Christoph Blocher au gouvernement relève d’une certaine logique, explique le député Jacques-Simon Eggly.

Aux yeux du libéral genevois, «cette expérience mérite d’être tentée». Mais, pour lui, il s’agit de la dernière qui soit possible dans le système politique helvétique actuel. Un système fait, à la fois, de concordance et d’opposition.

Les radicaux saluent en Hans-Rudolf Merz un homme à «la pensée libérale» doté d’expériences de direction. En passant, la présidente du parti, Christiane Langenberger souligne aussi la nature de chef d’entreprise de Christoph Blocher.

Ces deux nouveaux conseillers fédéraux renforceront la Suisse et son économie, reprend en cœur economiesuisse.

Et le directeur d’economiesuisse de dire: «Le gouvernement peut désormais compter sur de fortes personnalités, disposant de larges compétences en matière de politique économique».

Une politique de confrontation

Du côté des syndicats, la mauvaise humeur domine largement. L’Union syndicale suisse (USS) déplore le choix de l’Assemblée fédérale qui a misé sur la confrontation sociale.

Cette double élection (Christoph Blocher et Hans-Rudolph Merz) «signifie un changement fondamental dans la politique suisse», constate le président de l’USS.

Pour Paul Rechsteiner, «la majorité bourgeoise a décidé de tourner le dos à une politique d’équilibre entre les forces en présence».

L’USS assure qu’elle continuera à s’engager à tous les niveaux dans la recherche de solutions, «dans l’intérêt d’une Suisse sociale». Car, avertit la centrale syndicale, «une politique de la confrontation aura pour effet de paralyser le pays».

La rue s’est, elle aussi, exprimée. Mercredi dans l’après-midi et la soirée, l’élection de Christoph Blocher et Hans-Rudolf Merz a déclenché des manifestations spontanées de mécontentement.

Plusieurs milliers de personnes se sont notamment retrouvées à Berne, Zurich et Genève. Elles ont extériorisé inquiétude ou colère dans un calme relatif.

Parmi les slogans, on pouvait lire ou entendre: «Moins de Blocher et plus de femmes!», «Colère des femmes: plus jamais de 10 décembre», ou encore: non à «la montée du fascisme!».

Inquiétude pour l’humanitaire

Le conseiller aux Etats (sénateur) radical tessinois, Dick Marty regrette de voir accéder au gouvernement une personne qui fait appel à «l’un des sentiments les plus bas de l’être humain, à savoir le racisme».

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) ne cache pas son inquiétude à propos de la tradition humanitaire de la Suisse.

A l’opposé, l’Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) se dit rassurée par l’élection de son fondateur Christoph Blocher au Conseil fédéral.

Si la démission du tribun zurichois de sa présidence est une perte pour l’association, l’ASIN se voit comme le dernier havre pour les patriotes purs et durs.

Selon son directeur Hans Fehr, les opposants à l’ouverture de la Suisse ne se sentiront peut-être plus représentés par l’UDC à 100%. L’association gagnera donc en importance à long terme.

Autre réaction, celle d’alliance F, la fédération des organisations féminines de Suisse.

C’est «un jour noir» pour les femmes. L’éviction de Ruth Metzler et la non-élection de Christine Beerli marquent le retour «à la domination des hommes dans la politique».

Première réunion fixée

A l’étranger, la Commission européenne se refuse à tout commentaire sur l’élection de Christophe Blocher.

«Nous espérons seulement que nous serons capables de travailler ensemble avec le nouveau gouvernement suisse sur les questions qui doivent être conclues pour que l’on puisse développer nos relations», indique un porte-parole.

Le visage du gouvernement au 1er janvier 2004 est donc connu. Il sera composé des socialistes Moritz Leuenberger (211 voix) et Micheline Calmy-Rey (206), des démocrates du centre Christoph Blocher (121) et Samuel Schmid (167), des radicaux Pascal Couchepin (178) et Hans-Rudolf Merz (127), ainsi que du démocrate-chrétien Joseph Deiss (138).

Le sept «sages» siègeront ensemble pour la première fois dimanche soir afin de se répartir les départements.

swissinfo et les agences

– Le nouveau Conseil fédéral est composé de Moritz Leuenberger et Micheline Calmy-Rey (socialistes), Christoph Blocher et Samuel Schmid (démocrates du centre), Pascal Couchepin et Hans-Rudolf Merz (radicaux), ainsi que du démocrate-chrétien Joseph Deiss.

– La jeune conseillère fédéral (39 ans) Ruth Metzler a été battue par Christoph Blocher au 3e tour. C’est la première fois qu’un ministre n’est pas réélu depuis 131 ans.

– L’an prochain, en lieu et place de Ruth Metzler, le président de la Confédération sera Joseph Deiss, désormais unique représentant du PDC au gouvernement.

– Avec l’élection de Christoph Blocher et Hans-Rudolph Merz, on assiste à un virage à droite de l’exécutif fédéral. Syndicats, féministes et partis de gauche laissent transparaître leur inquiétude. Les milieux économiques et la droite se montrent plutôt satisfaits.

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