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Les défis que la Suisse doit relever à Strasbourg

Les parlementaires suisses sont particulièrement actifs au sein de l'Assemblée du Conseil de l'Europe. Reuters

En prenant la présidence tournante du Conseil de l'Europe, la Suisse devra aborder les relations de l'instance strasbourgeoise avec Moscou et Bruxelles. Les deux dossiers influencent le projet de réforme du Conseil que Berne veut favoriser.

Si tout le monde souligne l’importance cardinale de la Cour européenne des droits de l’homme, l’enthousiasme s’étiole sérieusement quand il s’agit d’évaluer les autres institutions du Conseil de l’Europe. Cette instance que la Suisse préside ces six prochains mois doit pourtant relever un défi majeur pour l’avenir du continent européen.

«Comme l’a écrit l’ancien doyen du MIT (Massachusetts Institute of Technology), Lester Thurow, il y a une dizaine d’années, si l’Europe veut rester un acteur important du monde, elle doit trouver une association efficace avec la Russie et ses pays environnants», se rappelle le professeur genevois Dusan Sidjanski, conseiller du président de la Commission européenne, Manuel Barroso.

L’enjeu russe

Une question de plus en plus présente à Bruxelles, selon Nicolas Levrat, directeur de l’Institut européen de l’Université de Genève: «Un des enjeux importants, on commence à s’en rendre compte du coté de la Commission européenne, c’est la relation avec la Russie qui justement est membre du Conseil de l’Europe.»

Récemment, l’ambassadeur suisse auprès du Conseil de l’Europe est allé dans le même sens. «Nombreux sont ceux qui considèrent que l’on a besoin du Conseil de l’Europe uniquement pour garder le lien avec la Russie et la Turquie (membre du Conseil depuis 1950, ndlr) ou pour sensibiliser les candidats à l’adhésion à l’UE à l’importance des droits de l’homme et de la démocratie», déclarait Paul Widmer dans les colonnes de la NZZ am Sonntag.

Or «les citoyens russes fournissent à eux seuls 25% des requêtes auprès de la Cour européenne des droits de l’homme», relève Giorgio Malinverni, le juge suisse du Tribunal de Strasbourg.

Mais c’est aussi la Russie qui bloque le projet de réforme du Conseil, un chantier que la Suisse veut justement pousser lors de sa présidence.

Transition démocratique

Le Conseil de l’Europe va donc poursuivre sa mission principale, qui s’est développée durant les années 90. «Le Conseil de l’Europe a eu un rôle historique pour aider les anciens pays communistes à opérer leur transition démocratique, y compris la Russie. D’importants travaux ont été accomplis par l’Assemblée parlementaire et toutes sortes de programmes de coopération gouvernementale», rappelle Nicolas Levrat.

Qui poursuit: «Dans le cadre de l’Union européenne, les fameux critères de Copenhague permettant de déterminer si un Etat était apte à rejoindre l’Union européenne ou non étaient remplis pour autant que le Conseil de l’Europe les valide. Le Conseil de l’Europe a joué là le rôle d’antichambre de l’Union européenne.»

«Valable dans toute l’Europe, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg tend à uniformiser le droit de ses pays membres en faisant émerger un droit européen commun», renchérit Giorgio Malinverni.

Cette fonction normative est peu spectaculaire, mais essentielle. «L’Europe peut continuer à être pionnière dans les normes adoptées par la communauté internationale. Au G20 – l’organisation émergente qui va modifier le rôle des anciennes organisations internationales comme l’ONU – presque toutes les propositions sont provenues de l’Union européenne», relève Dusan Sidjanski.

Après Lisbonne

Cela dit, le moteur de la construction européenne se situe bien à Bruxelles, non à Strasbourg. Un rôle encore plus évident avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre prochain.

«Avec l’entrée en vigueur de ce traité, il est prévu que l’Union européenne en tant que telle adhère à la Convention européenne des droits de l’homme. Les actes de la Commission européenne seront ainsi couverts par la Convention», relève Nicolas Levrat.

Et le professeur de pointer le problème que soulève cette question: «Seuls les Etats peuvent adhérer à la Convention. Or l’UE n’est pas un Etat. Ce défi pourrait donc déjà surgir lors de la présidence suisse du Conseil de l’Europe.»

Impact sur la Suisse

Une présidence qui permet aussi de rappeler les retombées positives du Conseil de l’Europe pour la Suisse.

«L’appartenance de la Suisse au Conseil est très utile pour nos réseaux de diplomatie informelle. Les parlementaires suisses y sont d’ailleurs particulièrement actifs. Les collègues des pays membres de l’UE le sont moins, peut-être parce que ceux qui sont les plus motivés vont au parlement européen de l’UE», estime Nicolas Levrat.

De l’avis général, les parlementaires suisses les plus actifs sont le radical (droite) Dick Marty, auteur de célèbres rapports sur les prisons secrètes de la CIA, et le député socialiste Andreas Gross, vice-président de l’Assemblée parlementaire et président du groupe socialiste au sein de ce parlement.

«Le Conseil de l’Europe est le seul lieu où la Suisse participe à la construction de l’Europe, où elle peut comprendre la position des Européens et se faire comprendre d’eux», rappelle le Zurichois. Avant de souligner: «Le Conseil de l’Europe est l’expression d’une Europe fédéraliste.»

Le fédéralisme à l’européenne

Un esprit qui influence l’UE, selon Nicolas Levrat. «Une série de travaux et de conventions d’inspiration fédéraliste infusent petit à petit dans l’Union européenne», relève le chercheur.

Cette dynamique fédéraliste ouvre-t-elle la voie à une adhésion de la Suisse à l’UE? Rien n’est moins sûr, selon Nicolas Levrat: «Les fédéralistes européens préconisent un rôle centralisateur de Bruxelles.»

Les Eurosceptiques helvétiques ont donc encore du grain à moudre. En attendant, l’intégration européenne de la Suisse se poursuit via une autre structure du Conseil de l’Europe: le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe.

«C’est une instance efficace où la Suisse fait entendre sa voix. Elle collabore très bien avec le Comité des régions de l’UE», relève Nicolas Levrat.

Selon Dusan Sidjanski, «le Congrès favorise la création des régions transfrontalières, un domaine où la Suisse fait figure de pionnier. La région de Bâle (qui s’étend en France et en Allemagne) est un exemple qui montre la voie à suivre.»

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Valeurs. Le but premier du Conseil de l’Europe est de créer sur tout le continent européen un espace démocratique et juridique commun, en veillant au respect de ses valeurs fondamentales: les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit.

Conventions. L’action du Conseil de l’Europe se concrétise souvent par des conventions visant à harmoniser les législations nationales et à les aligner sur les normes de l’Organisation. Il y en a aujourd’hui plus de 200.

Bélarus. Fondé en 1949, le Conseil de l’Europe rassemble 47 Etats et un pays candidat, le Bélarus, dont le statut d’invité spécial a été suspendu pour non-respect des droits de l’homme et des principes démocratiques.

Observateurs. Le Conseil de l’Europe compte 5 Etats observateurs: Vatican, Etats-Unis, Canada, Japon et Mexique.

Strasbourg. Le Conseil de l’Europe est distinct de l’Union européenne, qui regroupe 27 Etats. Son siège est à Strasbourg, dans le nord-est de la France.

Le Comité des Ministres

L’Assemblée parlementaire (APCE)

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe

La Cour européenne des droits de l’homme

La Conférence des organisations internationales non gouvernementales (OING)

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