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La Suisse a beaucoup à offrir à Joe Biden et aux démocrates du monde entier

Nationalgardisten im US-Kapitol
Soldats de la Garde nationale en pause à l'intérieur du Capitole à Washington, une semaine après l’assaut, le 6 janvier 2021, des partisans de Trump lors de l’étape finale de l’élection de Joe Biden. Keystone / Shawn Thew

La Suisse participe au sommet mondial de la démocratie voulu par le président américain Joe Biden. La Confédération, qui sait mieux que quiconque résoudre les conflits, trouver un consensus et partager le pouvoir, veut saisir l'occasion de se profiler.

Avec le Summit for DemocracyLien externe, agendé du 8 au 10 décembre, le président américain tient une promesse électorale.

Virtuel, l’événement n’en est pas moins important pour la Suisse. Ce sommet pourrait donner une impulsion importante pour qu’à l’avenir, les connaissances en matière de procédures démocratiques pèsent davantage dans la balance de la politique mondiale.

Les participants (chefs d’Etat et de gouvernement et diplomates) doivent s’engager lors du sommet à renforcer les droits humains et la lutte contre la corruption, l’autocratie et l’autoritarisme.

La Russie, la Chine, la Turquie ou la Hongrie ne sont pas invitées. En revanche, des pays comme l’Inde, l’Irak, le Kosovo et Taiwan seront présents.

Le rôle de la Suisse

La Suisse est un poids plume démographiquement. Mais avec ses formes de cogestion participatives aux trois niveaux de la Confédération, des cantons et des communes, elle est en quelque sorte un poids lourd de la démocratie.

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Les votations populaires régulières sont certes toujours perçues comme une curiosité au niveau international. En revanche, le prestige de la Suisse repose toujours sur des valeurs telles que la sécurité, la stabilité, la qualité de vie, la neutralité, la diplomatie des bons offices ainsi que la recherche et le développement.

Et même si c’est encore peu connu aujourd’hui, la promotion de la démocratie est un pilier central de la politique étrangère suisse. Et ce depuis 1999, respectivement 2003, avec l’inscription de l’article 54 dans la Constitution fédérale et la loi fédérale correspondante. Mais jusqu’à présent, il n’existe pratiquement pas de politique extérieure en matière de démocratie.

La Suisse affine son profil

Pour Simon Geissbühler, ambassadeur et chef de la division Paix et droits de l’hommeLien externe au ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE), le sommet de la démocratie arrive donc à point nommé. 

«La Suisse ne veut pas être un simple appendice du sommet Biden. Celui-ci nous donne au contraire une nouvelle impulsion pour regrouper nos activités actuelles dans ce domaine et nous engager de manière constructive et crédible avec notre modèle et notre savoir-faire.»

Selon Simon Geissbühler, il faudrait aussi mentionner ses manques, comme l’introduction très tardive du droit de vote des femmes.

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Discussion
Modéré par: Bruno Kaufmann

Comment un pays comme la Suisse peut-il rendre la démocratie plus inclusive?

La Suisse doit-elle être plus active dans la promotion de la démocratie dans le monde?

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Droits de l’homme et médiation

Lors du sommet, Simon Geissbühler et le président de la Confédération Guy Parmelin ne feront pas d’emblée la promotion des droits populaires de la Suisse. Ils mettront plutôt l’accent sur des valeurs et des institutions fondamentales qui, partout dans le monde, sont une condition préalable à une démocratie forte. «Le DFAE a beaucoup à offrir dans ce domaine», avance l’ambassadeur. Il cite les droits humains, la résolution des conflits, l’État de droit, la protection des minorités, la décentralisation et la participation locale.

Avec les élections présidentielles de l’année dernière, auxquelles ont participé plus de personnes que jamais auparavant, les États-Unis ont donné un signal important. Le démantèlement de la démocratie peut être stoppé.

Ils ont ainsi créé le récit positif tant attendu par beaucoup, à savoir que les Etats-Unis, en tant que démocratie la plus ancienne et la plus emblématique, est certes ébranlée, mais suffisamment robuste pour mettre un terme aux attaques de Donald Trump contre les valeurs fondamentales.

L’appel à l’action de Joe Biden en est la suite: une invitation, ou plutôt un appel contraignant, aux pays du monde entier à renforcer la participation des citoyens et citoyennes et à contrer les dangers de l’autocratie.

Le sommet mondial de la démocratie des 8, 9 et 10 décembre 2021 marque le début d’un processus qui présente des similitudes avec les conférences mondiales sur le climat COP (Conference of the Parties). Le premier sommet mondial sur la protection du climat a eu lieu en 1992, la 26e conférence s’est tenue récemment à Glasgow, en Écosse.

Comme pour le processus COP, les Etats invités au premier sommet mondial sur la démocratie sont désormais appelés à s’engager à prendre des mesures concrètes pour protéger les droits humains et la démocratie. La Charte universelle des droits de l’homme de l’ONU offre une base commune à cet engagement.

Lors du prochain sommet de la démocratie, dans un an, les Etats diront si et comment les mesures promises ont été mises en œuvre, et ce dans le sens d’un processus d’apprentissage global.

110 pays de six continents sont invités au premier sommet mondial de la démocratie: 39 pays d’Europe, 27 des Amériques, 21 d’Océanie, 17 d’Afrique et six d’Asie. Il est frappant de constater que presque tous les pays qui occupent les premières places dans les principaux classements internationaux sur la démocratie ont leur mot à dire lors du sommet.

Mais il y a aussi des exceptions. Ainsi, le président américain Joe Biden, qui a pris l’initiative de cette conférence, n’a pas invité des pays relativement démocratiques comme la Tunisie (42e au classement V-Dem), le Burkina Faso (57e) ou le Lesotho (61e).

Parallèlement, des Etats qui comptent parmi les moins démocratiques du monde peuvent s’y exprimer. C’est le cas de la République démocratique du Congo (137e au classement V-Dem), de l’Irak (124e) et des Philippines (108e).

Les pays les moins bien classés n’ont pas été invités, notamment les grandes puissances que sont la Chine (174) et la Russie (153). Elles ont d’ailleurs vivement critiqué le processus du sommet de la démocratie. Dans une tribuneLien externe publiée dans le magazine américain The National Interest, les diplomates des deux grandes puissances, Qin Gang et Anatoly Antonov, qualifient la rencontre de «produit d’une mentalité de guerre froide» et soulignent que la démocratie «peut être réalisée de différentes manières».

Bruno Kaufmann, swissinfo.ch

Le partage du pouvoir, atout suisse

Le politologue Daniel Bochsler ne peut qu’approuver le fait que la Suisse puisse se présenter avec assurance en ce qui concerne son expertise en matière de démocratie. «La Suisse laisse une très grande empreinte sur le plan international», estime Daniel Bochsler, qui enseigne et fait de la recherche à la Central European University de Vienne, à l’Université de Belgrade et au Centre pour la démocratie d’Aarau (ZDA).

Pour Daniel Bochsler, les plus grands atouts de la Suisse résident dans son savoir-faire dans les domaines de la médiation des conflits et des systèmes de partage du pouvoir.

«Le power sharing, c’est la Suisse à l’état pur! Son fédéralisme et sa concordance en matière de langues et de religions sont le modèle le plus réussi de toutes les sociétés d’après-guerre», affirme Daniel Bochsler avec conviction. Mais la Suisse ne peut pas simplement vendre sa Constitution et les droits populaires qui y sont ancrés à des pays qui souhaitent gérer un conflit. Au contraire, elle élabore aujourd’hui sur place, avec les acteurs, des solutions politiques qui intègrent les principaux groupes sociaux.

Des solutions de conflit sur mesure

L’universitaire cite l’exemple de la Fondation suisse pour la paix SwisspeaceLien externe dans le domaine de la médiation internationale et de la promotion de la paix.

Parmi ses instruments les plus importants, Daniel Bochsler mentionne les élections parlementaires et gouvernementales, un droit de veto pour les minorités lors de modifications de la Constitution et des lois ainsi que l’autonomie pour les groupes linguistiques et religieux. Les bases de la boîte à outils suisse sont le fédéralisme, la «formule magique» pour une composition stable du gouvernement ou la démocratie locale au niveau des communes.

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D’ailleurs, en raison d’une modification du paysage des partis, une révision de cette «formule magique» est actuellement en discussion en Suisse. Plus précisément, la taille du gouvernement. Selon une décision toute récente du Conseil national, la chambre du peuple du Parlement, le collège gouvernemental devrait passer de sept à neuf membres.

«En Suisse, de nombreux aspects du partage du pouvoir ne sont pas ancrés dans la Constitution. Ils résultent plutôt de conventions des élites politiques qui se sont lentement développées à partir du contexte historique», explique Daniel Bochsler.

C’est pourquoi de tels mécanismes spécifiques et historiques ne peuvent pas être exportés tels quels. En Suisse, la formule magique détermine la composition du gouvernement en fonction de la force des partis. Dans le contexte international, en revanche, la formule se base en premier lieu sur les groupes ethniques et culturels.

La tradition de la neutralité

Pour Tom CarothersLien externe, vice-directeur de recherche à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, l’accent mis sur la médiation a du sens. Et ce, compte tenu du fait que de nombreux pays sont aujourd’hui confrontés à une forte polarisation et à des divisions politiques. «En raison de sa longue tradition de neutralité, la Suisse se garde de donner l’impression, dans son travail international, de prendre parti politiquement ou de soutenir certains systèmes politiques», relève Tom Carothers.

«Mais la Suisse a beaucoup d’expérience pour apprendre comment une société divisée peut coopérer politiquement», poursuit l’Américain, expert reconnu de la promotion de la démocratie internationale.

Une dynamique contraignante

Tom Carothers appelle les pays participants à s’engager sérieusement lors du sommet en faveur de la coopération dans la promotion de la démocratie, plutôt que de se contenter de beaux discours. Pour l’expert, la clé d’une évaluation honnête des progrès réside dans la création d’une «véritable dynamique pour le processus du sommet».

Pour que la rencontre ne se transforme pas en palabres inutiles, Washington impose aux pays des conditions claires et contraignantes. Ils doivent s’engager à apporter des améliorations dans le respect des droits humains et la lutte contre la corruption et l’autocratie.

Celui qui ne remplit pas ses engagements n’est plus de la partie lors du sommet suivant qui, selon l’administration américaine, devrait avoir lieu dans un an.

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