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La Suisse «coupée en deux» par l’assurance maladie

Le refus des électeurs de la caisse unique a été plus important que prévu. Keystone

Au lendemain du refus des Suisses de l'initiative pour une caisse maladie unique, la presse nationale pointe du doigt le fossé entre Alémaniques et Romands. Lancée par certains des perdants francophones, l'idée d'une caisse publique régionale n’est cependant pas considérée comme la solution idéale.

«La Tribune de Genève» dénonce la «gifle» infligée par la Suisse germanophone à la Suisse romande. Ce qui était «attendu», selon «Le Temps», qui pointe une fois de plus le «Röstigraben», ou barrière des röstis, qui divise les deux communautés culturelles. En l’occurrence, la votation se traduit par l’expression de la méfiance des Alémaniques envers une caisse maladie unique «perçue comme une grande machine étatique».

Le «Bund» et le «Tages-Anzeiger» se font l’écho de la faveur des Romands pour le service public, alors que la majorité alémanique affiche sa méfiance face à un assureur étatique «fictif»: «Beaucoup de Suisses se fâchent, certes, contre l’attitude des caisses et l’augmentation constante des primes, mais, en tout cas en Suisse allemande, la crainte d’être livré à une seule caisse est suffisamment forte pour s’en tenir à la diversité du système actuel. La majorité ne veut pas se lancer dans une cure radicale à plusieurs milliards».

Le «Corriere del Ticino», publié dans un canton qui a aussi dit « non », estime pour sa part que, en Suisse allemande, «il règne un rapport plus direct avec les assureurs et une confiance plus grande dans la libre concurrence». Mais pour le quotidien italophone, le résultat de la votation représente «une indication claire pour la politique»: «pour améliorer la santé,  il ne faut pas la mettre sens dessus dessous, mais insister de manière pragmatique avec les réformes».

Un fossé pas seulement culturel

Si le regard des assurés suisses est très différent, ce n’est pas uniquement pour des raisons culturelles, tempère «Le Temps». «En Suisse romande, la mauvaise humeur est marquée en raison de primes en moyenne plus élevées et d’un rapport conflictuel avec les caisses qui pratiquent la sélection des risques. Beaucoup d’électeurs bourgeois ont voté pour l’initiative pour dire leur ras-le-bol. Un sentiment qui reste marginal outre-Sarine. Concerné comme Vaud et Genève par l’affaire des primes payées en trop, le canton de Zurich a largement rejeté le texte.»

L’«Aargauer Zeitung» relève aussi la «mauvaise humeur des Romands»: «Pendant des années, ils ont payé des primes trop élevées pour subventionner des primes moins chères en Suisse allemande et renforcer ainsi la concurrence.» De même, «Le Matin» dénonce «un vrai ras-le-bol du système de santé actuel» côté romand.

La «Neue Zürcher Zeitung» rappelle que, après 2003 et 2007, c’est la troisième fois que la gauche fait naufrage en proposant une assurance maladie étatique. «Mais cela ne signifie pas que les Suisses sont satisfaits du système actuel. Beaucoup s’inquiètent des hausses de primes qui ne sont pas seulement l’expression de la croissance démographique et des progrès de la médecine, mais aussi de l’attitude des caisses. Pour autant, ils ne veulent pas se lancer dans des expériences risquées, mais privilégient les adaptations graduelles du système.»

Caisse romande? Une idée «discutable»

«Le Temps» se fait l’écho de l’éventualité d’une initiative émise par des politiciens romands visant à mettre en place des caisses maladie cantonales, voire une caisse romande. Le quotidien basé à Genève estime que «la démarche est discutable dans un pays où le fédéralisme et le respect de la volonté populaire constituent le ciment d’une identité commune.»

Pour «La Liberté», c’est carrément une idée «étrange». «Une application à la carte des décisions du peuple et des cantons serait-elle tolérable? L’instauration d’une caisse maladie publique régionale devrait, le cas échéant, recevoir l’aval des Chambres fédérales. C’est loin d’être gagné. Les assureurs et leurs relais parlementaires ne laisseraient pas ouvrir la brèche, qui poserait en sus de gros problèmes institutionnels.»

Le quotidien fribourgeois poursuit en privilégiant la politique des «petits pas» défendue par le ministre suisse de la Santé Alain Berset qui, «ne perd jamais de vue que chaque petit pas ne peut être franchi que s’il est admissible par une majorité du pays. Une voie étroite, certes moins spectaculaire que celles prônées par les ministres de la parole, mais la seule praticable.»

«La Tribune de Genève» qualifie ce combat de «vaine croisade des mauvais perdants». Le quotidien adopte un point de vue constructif, estimant que «l’épée de Damoclès de l’initiative» a permis d’exercer suffisamment de pressions sur le Parlement pour faire passer des lois visant à restreindre la chasse aux bons risques et mieux encadrer les caisses maladie.»

 Maintenir la pression sur les assureurs

Pour la «Südostschweiz», «la leçon est positive». «Après la gifle (avec 62%, le «non» a été plus important que prévu), les auteurs de l’initiative peuvent se prévaloir d’une maigre consolation. En fait, ce sont eux les vrais gagnants puisqu’ils ont réussi, deux jours avant la votation, à faire pression et à obtenir l’aval du Parlement en faveur d’une loi sur la surveillance des caisses maladie, ce qui semblait être un doux rêve il y a encore deux ans.»

«Le Temps» conclut lui aussi que, «quel que soit son sort, la future initiative a au moins le mérite de maintenir la pression sur les assureurs et leurs relais au parlement, qui ont montré qu’ils mettent plus d’entrain a réformer quand le peuple a le dernier mot.»

«24 Heures» estime de son côté que le résultat de la votation ne signifie «pas pour autant une victoire du statu quo: avec une population qui vieillit de plus en plus et une hausse constante des coûts, une solution doit être trouvée à la progression inexorable des primes».

 Mais les Suisses ne peuvent pas se contenter indéfiniment de réformes interminables, et «Le Matin» d’avertir qu’«il est rare que les promesses et la patience suffisent à guérir un malade».

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