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Dans l’espace, la petite Suisse joue dans la cour des grands

Un joli jouet venu de Berne pour les premiers hommes sur la Lune

Mondlandung
L’astronaute Buzz Aldrin plante la voile solaire bernoise sur la Lune, juste avant le drapeau américain. Copyright © The Granger Collection, New York / The Granger Collection

Il y a 50 ans, l’Homme a marché sur la Lune pour la première fois. C’était un grand pas aussi pour l’Université de Berne: grâce à son expérience de vent solaire sur la Lune, une imprécision de la théorie du Big Bang a pu être corrigée.

Au décollage de la fusée Saturne V, les trois lettres U – S – A passent lentement devant les caméras de télévision. Et le 21 juillet 1969, les astronautes Neil Armstrong et Buzz Aldrin plantent le drapeau américain sur la Lune. Pour les États-Unis, l’événement constitue alors une publicité inestimable. Rien d’étonnant à ce qu’ils fêtent aujourd’hui ses 50 ans en grande pompe.

L’Université de Berne le célèbre également. En effet, son Institut de physique a contribué à la mission Apollo XI avec une expérience. En comparaison des près de 3000 tonnes de la fusée, elle paraît minuscule: seulement 454 grammes. Mais elle était tout sauf insignifiante. Buzz Aldrin a placé l’expérience bernoise avant même que le drapeau américain ne flotte: une simple feuille de 30 cm de large et de 140 cm de long, tendue sur un pied. Elle a capturé le vent solaire, c’est-à-dire des particules émises par l’astre du jour. Après 77 minutes, Neil Armstrong l’a enroulée et remise dans le vaisseau en laissant le pied. L’expérience fut un tel succès que la NASA, l’agence spatiale américaine, l’a répétée lors de quatre autres missions, avec des temps d’exposition de plus en plus longs. Le professeur de physique bernois Johannes Geiss, qui avait développé cette voile avec son équipe, est devenu célèbre dans le monde entier.


Zwei Männer
Jürg Meister (à gauche) et Peter Bochsler avec leur «vieille connaissance», la voile solaire bernoise, dans les sous-sols de l’Université de Berne. Adrian Moser

Jürg Meister et Peter Bochsler travaillaient alors à Berne, à l’Institut de physique. À 80 et 76 ans, ils sont de retour pour nous parler de cette époque et nous montrer des photos. On y voit de jeunes hommes avec des coiffures démodées manipulant un simulateur de vent solaire: les physiciens bernois de l’époque. J. Meister a contribué à développer la voile en tant que physicien expérimental. P. Bochsler n’était alors pas encore directement impliqué. En tant que professeur, il est devenu toutefois co-directeur de l’Institut, succédant ainsi à J. Geiss. J. Geiss lui-même a maintenant plus de 90 ans et s’est retiré de la vie publique.

J. Meister et P. Bochsler se rendent au laboratoire, un local sans fenêtre, situé au sous-sol de l’Institut et truffé d’appareils. Au milieu, l’éclairage fait briller la voile de vent solaire. Et plus exactement, l’exemplaire qui servait de réserve. J. Meister et P. Bochsler se placent près de la voile comme s’ils avaient affaire à une vieille connaissance. J. Meister montre comment la feuille est tirée vers le haut depuis une languette tendue: «exactement comme un store enrouleur pour fenêtre».

«Une idée si belle et simple»

Exposer une feuille d’aluminium au vent solaire sur la Lune et la rapporter: «C’était une idée si belle et simple», explique J. Meister. Les particules solaires, qui se déplacent à une vitesse de quelques centaines de kilomètres par seconde, donc beaucoup plus lentement que la lumière, percutent la feuille et y restent. En faisant ensuite fondre la feuille en laboratoire, on peut voir combien de particules de différents types ont été piégées.

Tout devait être construit de façon à être simple d’utilisation pour fonctionner à 100%. Le système comportait ainsi un pied, un tube télescopique avec un filetage ultrafin, qui a mené les mécaniciens de l’Université à leurs limites. Il y avait le rouleau dépliable, logé dans le pied avant utilisation. Et enfin la feuille elle-même, renforcée par une bande adhésive en Téflon pour qu’elle ne se déchire pas. J. Meister: «l’impératif de poids d’une livre a constitué un véritable casse-tête. Si l’expérience avait pu peser un kilo, tout aurait été beaucoup plus simple».

La NASA n’a rien laissé au hasard et a chargé l’astronaute Don Lind de tester le dispositif à Berne. Contrairement aux physiciens et ingénieurs, il connaissait le point de vue des astronautes: il savait ce qu’il était possible d’avoir en main avec des gants épais. J. Meister: «Il nous a donné toute une série de consignes que nous avons dû appliquer avec précision.» Les surfaces de la poignée ont ainsi été grenelées sur le pied et les composants importants colorés en rouge. «Mais notre voile plaisait à D. Lind, comme s’il s’était agi d’un joli jouet.»

Pourquoi Berne en particulier?

Pourquoi la seule expérience non américaine de la mission Apollo XI est-elle née à Berne? «Il ne s’agissait pas d’une coïncidence», explique Peter Bochsler. Les physiciens bernois s’étaient déjà auparavant penchés sur l’étude de météorites. Ils avaient ainsi fait leurs preuves pour des expériences avec de la roche lunaire. Enfin, le professeur Geiss était ami avec de nombreux scientifiques de la NASA et entretenait ses relations avec l’agence spatiale américaine «avec passion et une grande habileté», affirme P. Bochsler.

Ce fut Jürg Meister qui apporta la feuille aux États-Unis, dans son bagage à main. Lors des trois missions suivantes, il eut l’opportunité de vivre le lancement de la fusée lunaire, depuis une distance d’un kilomètre et demi: «C’était hallucinant et particulièrement bruyant. Les fréquences basses me pesaient sur l’estomac. Le devant de ma chemise vibrait. C’était comme si des œufs au plat grésillaient dans une immense poêle».

Lorsque Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont marché sur la Lune, il était trois heures du matin en Suisse. Les physiciens bernois ont suivi l’événement depuis un téléviseur à l’Institut. «Je n’étais pas nerveux», déclare Jürg Meister, «Je savais qu’il n’y aurait aucun problème avec la voile puisque nous l’avions testée des centaines de fois». De son côté, Peter Bochsler espérait simplement «qu’ils reviennent sains et saufs».

Une sélection: le jésuite lucernois Jean-Baptiste Cysat (1586–1657) découvre de nouveaux systèmes d’étoiles doubles; Jean-Philippe Loys de Cheseaux (1718–1751), savant de Lausanne, documente de nombreux amas stellaires et nébuleuses gazeuses; le Zurichois Rudolf Wolf (1816–1893) découvre que le cycle de l’activité des taches solaires correspond à celui du champ magnétique terrestre; le Glaronnais né en Bulgarie Fritz Zwicky (1898–1974) bouleverse l’astrophysique aux États-Unis avec ses théories sur les systèmes stellaires extragalactiques; Paul Wild (1925–2014), de l’Université de Berne, découvre plus de 90 astéroïdes et sept comètes; en 1967, la fusée «Zenit» développée par Hans Balsiger et Ernest Kopp est lancée dans l’espace; Johannes Geiss (né en 1926) met au point à l’Université de Berne l’expérience sur le vent solaire d’Apollo XI; en 1995, Michel Mayor et Didier Queloz de l’Observatoire de Genève découvrent 51b Pegasi) première planète en dehors de notre système solaire; en 1992, Claude Nicollier (né en 1944) va dans l’espace pour la première fois en tant qu’astronaute de la NASA; Markus Griesser (né en 1949) découvre dix astéroïdes dans la ceinture principale et en 2002, il découvre la petite planète Helvetia; Kathrin Altwegg (née en 1951) devient cheffe de file de la recherche spatiale suisse avec les missions Giotto et Rosetta.

Jürg Meister vit aujourd’hui non loin de Thoune. Après ses années à l’Université de Berne, il évalua les données d’une autre expérience Apollo en tant que jeune docteur en physique au Texas. De retour en Suisse, il fut embauché à Thoune dans une usine de munitions et travailla sur les munitions anti blindage. Aujourd’hui, il s’intéresse encore à tout ce qui vole. Il ne s’agit toutefois plus spécifiquement d’avions et de fusées: avec sa femme, il élève des papillons. Et à chaque fois qu’il regarde la Lune, il se dit: «Là-haut, il y a cinq pieds que j’ai tenus dans mes mains – c’est quand même spécial».

Les pérégrinations de Peter Bochsler l’ont mené en Israël. L’Amérique l’intéressait moins, «notamment en raison de l’implication des États-Unis dans la guerre du Vietnam». Après son retour à Berne, il s’est à nouveau penché sur l’étude du vent solaire. Plus tard, des instruments placés sur des sondes spatiales ont confirmé les résultats des expériences Apollo.

Correction de la théorie du Big Bang

À quelles découvertes les voiles ont-elles donné lieu? P. Bochsler explique que grâce à elles, il a notamment été possible de capturer le vent solaire pour l’étudier en laboratoire. Il n’est pas possible de mesurer le vent solaire directement sur la Terre parce que le champ magnétique et l’atmosphère de cette dernière le font dévier et l’interceptent. Auparavant, il n’était possible de trouver des traces de vent solaire que sur des météorites. Or, on ignorait pendant combien de temps ces dernières avaient été exposées au vent solaire avant de tomber sur la Terre. Les feuilles ont fourni pour la première fois des informations plus précises sur la composition du vent solaire et ont même apporté quelques surprises: les chercheurs ont ainsi découvert que l’hydrogène solaire se distingue fortement de l’hydrogène terrestre et de celui des météorites pour ce qui est du deutérium, la part de l’hydrogène lourd. P. Bochsler: «Nous étions soudainement en mesure de corriger des inexactitudes dans la théorie du Big Bang. Il s’agissait donc de questions extrêmement importantes.»

Un élan pour Berne

La voile à vent solaire a donné un élan considérable à la recherche spatiale bernoise et donc suisse. Le professeur Geiss a ainsi su exploiter sa notoriété pour développer son Institut, posant ainsi les bases d’autres envolées. Par la suite, les chercheurs bernois ont participé régulièrement à des projets internationaux. On se souvient ainsi de la sonde Rosetta, chargée d’étudier la comète Tchourioumov-Guérassimenko – en abrégé «Tchouri». Elle avait à son bord des appareils ultra-performants bernois qui pouvaient flairer la composition chimique du corps céleste mystérieux et qui ont notamment constaté que Tchouri sentait le fumier de cheval.

Des exoplanètes dans le viseur

L’Université de Berne fait partie des hautes écoles de premier plan dans la recherche spatiale au niveau mondial. Cette affirmation vient ni plus ni moins de Thomas Zurbuchen, directeur scientifique de la NASA. Joint par téléphone, il explique que les chercheurs à Berne et en Suisse sont parvenus à découvrir de nouveaux territoires, à les comprendre et à jouer un rôle important à cet égard. Il cite comme exemple la découverte d’exoplanètes, c’est-à-dire de planètes dans d’autres systèmes solaires. Le fait de se reposer sur ses lauriers aurait été une erreur, affirme-t-il: «Pour avoir un succès international, il faut attaquer et non pas simplement se défendre.»

T. Zurbuchen, qui a grandi dans l’Oberland bernois, incarne dans une certaine mesure la réussite de la recherche spatiale bernoise. Sa propre carrière ne se serait guère déroulée ainsi sans l’expérience légendaire de la voile solaire et la renommée de Berne. Au début des années 1990, il a travaillé à Berne – en tant que doctorant de Peter Bochsler – sur le développement d’un instrument pour une sonde solaire américaine. «Elle s’inscrivait directement dans la lignée de la voile Apollo», raconte T. Zurbuchen. En tant que premier chercheur de la NASA, il gère aujourd’hui un budget de près de sept milliards de dollars. Ses décisions ont des conséquences sur environ 10’000 scientifiques et ingénieurs.

Direction Mars?

Et maintenant? 50 ans après Apollo 11, tout le monde parle d’un retour sur la Lune et d’un voyage vers Mars, à commencer par la NASA. Ces projets sont contestés: Peter Bochsler et son ancien doctorant ne partagent pas le même avis à ce sujet. T. Zurbuchen connaît les objections, à savoir qu’il y a sur Terre d’autres problèmes plus urgents à régler, que les missions habitées sont associées à des risques importants et qu’elles sont en outre, très onéreuses. Mais c’est la nature même de l’Homme de vouloir aller jusqu’à l’horizon, jusqu’aux limites du possible. «Pourquoi voulons-nous aller sur Mars?», demande-t-il en répondant directement: «Parce que nous le pouvons.» Par ailleurs, il n’est jamais possible de prévoir l’utilité de tels projets. Au milieu du siècle dernier, lorsque les premières sondes ont été envoyées dans l’espace, personne ne pensait aux satellites qui sont aujourd’hui indispensables pour les prévisions météo ou qui enregistrent des données sur le climat: «Les meilleures mesures de CO2 du monde entier viennent de nous, de la NASA», affirme T. Zurbuchen. De plus, la recherche est fédératrice: «Il s’agit pour moi de l’un des arguments les plus importants en faveur de tels projets.»

Peter Bochsler connaît les arguments des partisans des vols spatiaux habités. Il concède que la pierre lunaire que les astronautes ont rapportée il y a 50 ans est d’une grande valeur scientifique: «Je fais partie de ceux qui s’en sont largement servis pour leurs analyses.» Il salue la NASA, qui a généreusement réparti les pierres lunaires entre les instituts de recherche du monde entier. Toutefois, P. Bochsler estime qu’autant de découvertes auraient sans doute pu être réalisées avec des sondes non habitées. Les coûts colossaux des projets habités, lancés souvent «uniquement pour une question de prestige», entraînent selon lui des coupes budgétaires forcées pour les autres projets qui pourraient servir la science de manière bien plus immédiate. Quand il voit des photomontages de colonies sur Mars, il se demande combien de «belles expériences» pourraient être réalisées avec le même budget dans le cadre de missions non habitées.

Quel est l’avis de Jürg Meister sur ces questions? Il s’oppose à un vol vers Mars: «La planète Mars est si éloignée: la plupart des gens ne savent même pas où elle est située dans le ciel». En revanche, tout le monde a une relation à la Lune. Il estime donc qu’il était parfaitement normal de s’y rendre une fois. «C’était justifié.» Mais il pense qu’il ne serait pas nécessaire de réitérer l’aventure: «Cela fait cinquante ans que nous savons à quoi ça ressemble là-haut».


Voici certains des projets spatiaux qui ont fait les gros titres.

1986: la sonde Giotto de l’Agence spatiale européenne (ESA) est lancée en direction de la comète de Halley. À son bord: un spectromètre de l’Université de Berne, qui a mesuré pour la première fois les particules de poussière et les gaz de la comète sur place.

1990: lancement de la mission Ulysses de l’ESA et de la NASA. La sonde a observé le Soleil pendant des années. L’appareil étudiant le vent solaire venait de Suisse.

1995: l’ESA et la NASA lancent l’Observatoire solaire SOHO dans l’espace, avec à son bord le spectromètre de masse ultrasensible Celias, de Berne.

2004: lancement de la sonde ESA Rosetta, qui arrive dix ans plus tard autour de la comète Tchourioumov-Guérassimenko (Tchouri) et qui la suit pendant deux ans. Les spectromètres construits par l’Université de Berne ont parfaitement fonctionné.

2016: la sonde spatiale ExoMars Trace Gas Orbiter est lancée en direction de Mars et depuis un an, le système de caméra CaSSIS développé à l’Université de Berne fournit des images en couleurs et haute résolution de la surface de Mars.

2018: la sonde spatiale BepiColombo de l’ESA et de l’Agence d’exploration aérospatiale japonaise est lancée en direction de Mercure. L’appareil qui doit établir un schéma en trois dimensions de la surface de Mercure a été conçu et fabriqué à l’Université de Berne.

2019: CHEOPS, le Satellite de caractérisation des exoplanètes (planètes hors du système solaire) devrait être lancé dans la seconde moitié de l’année. Il a été construit sous la direction de l’Université de Berne.


Cet article est paru pour la première fois dans la Revue SuisseLien externe.

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