Des perspectives suisses en 10 langues

Un «arbre artificiel» suisse pour produire de l’hydrogène vert

disque parabolique installé devant un bâtiment
Le prototype développé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne peut produire jusqu’à un demi-kilo d’hydrogène vert par jour. © Lionel Caloz 2022

Un réacteur solaire unique en son genre promet de surmonter les coûts élevés et les difficultés de transport associés au développement de l’hydrogène vert. La première installation pilote sera mise en service en Suisse en février 2024, mais cette innovation suscite également de l’intérêt à l’étranger.

Le disque parabolique installé sur le campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ne passe pas inaperçu. D’un diamètre de sept mètres et pointé vers le ciel, il fait penser à un radiotélescope. Cependant, il n’a pas été conçu pour détecter les ondes radio en provenance de l’espace, mais pour utiliser la lumière du soleil et l’eau afin de produire de l’hydrogène.

Il s’agit de la première démonstration de production d’hydrogène solaire à l’échelle d’un système, explique Sophia Haussener, directrice du Laboratoire de science et d’ingénierie des énergies renouvelables de l’EPFL. Cela signifie que, contrairement aux expériences en laboratoire, le prototype comprend tous les éléments nécessaires à une production continue d’hydrogène.

L’hydrogène est un combustible à zéro émission de carbone et peut être utilisé comme «batterie» pour stocker l’énergie renouvelable. Le défi consiste à pouvoir l’extraire du sous-sol de manière rentable ou à le produire à partir de sources renouvelables, en grandes quantités et à un coût acceptable. L’hydrogène est également l’un des principaux thèmesLien externe de la prochaine conférence internationale sur le changement climatique qui se tiendra à Dubaï (COP28). Cet article fait partie d’une série explorant le potentiel et les limites de l’hydrogène et le rôle de la science et de l’industrie dans la recherche du carburant vert de l’avenir.

Le système appelé Arb, du latin arbor (arbre), a été breveté par SoHHytecLien externe, une start-up de l’EPFL, et promet de surmonter deux des principaux problèmes qui entravent le développement de l’hydrogène vert: le coût élevé de la production et la difficulté de transporter ce qui est considéré comme le vecteur énergétique de l’avenir.

Arb est capable de produire de l’hydrogène à proximité de son lieu d’utilisation et à un coût similaire, voire inférieur, à celui de l’hydrogène dit gris, c’est-à-dire extrait du méthane et du charbon. Actuellement, 96% de l’hydrogène produit dans le monde provientLien externe de sources fossiles.

Autant d’atouts qui ont permis à SoHHytec de lever plus de trois millions de francs de fonds. Et surtout de convaincre les entreprises des secteurs de la métallurgie, de l’énergie et de la logistique de miser sur l’hydrogène renouvelable pour réduire leurs émissions de CO2. Après dix ans de recherche et développement, l’«arbre artificiel» est prêt à porter ses fruits.

Un peu comme la photosynthèse

La lumière du soleil est réfléchie par le miroir parabolique et concentrée dans le réacteurLien externe situé au point focal. À l’intérieur du réacteur, le courant électrique généré par le soleil sépare les molécules d’eau (H2O) en hydrogène (H2) et en oxygène (O2) par un processus similaire à la photosynthèse chez les plantes.

Réacteur solaire
L’absorption de la lumière du soleil et la production d’hydrogène ont lieu dans le réacteur. SoHHytec

Le système tourne sur lui-même et suit la position du soleil dans le ciel pour maximiser la production (voir la vidéo ci-dessous). Il peut produire de l’hydrogène même par temps nuageux ou la nuit en se connectant à une source d’électricité externe.

Ce qui le rend unique, c’est sa capacité à récupérer la chaleur et l’oxygène générés au cours du processus. La chaleur peut être utilisée pour chauffer l’intérieur des bâtiments ou pour préchauffer certains processus industriels, tandis que l’oxygène, souvent considéré comme un déchet, peut être utilisé dans les hôpitaux pour le traitement de l’insuffisance respiratoire.

SoHHytec affirme qu’Arb est plus efficace que les usines de production d’hydrogène vert conventionnelles utilisant l’énergie solaire ou hydroélectrique. En tenant compte de la récupération de la chaleur et de l’oxygène, le rendement avoisine les 80%, selon la start-up.

Contenu externe

Suffisamment d’hydrogène pour alimenter une voiture

L’hydrogène généré par Arb a une pureté de plus de 99% et est précomprimé dans le réacteur, ce qui le rend prêt à l’emploi, explique Saurabh Tembhurne, cofondateur de SoHHytec. Avec une production d’environ un demi-kilo d’hydrogène par jour, le prototype pourrait alimenter un véhicule à pile à combustible parcourant environ 70 kilomètres quotidiennement.

La réaction photochimique permettant de générer de l’hydrogène vert est connue depuis des décennies, mais sa mise en œuvre pratique a été freinée par plusieurs obstacles. Le système développé à l’EPFL représente un pas significatif vers des solutions énergétiques durables, écrit l’ingénieur mécanique Canan Acar de l’Université de Twente aux Pays-Bas dans un e-mail adressé à swissinfo.ch. Ce dernier effectue des recherches sur l’hydrogène vert depuis plus de quinze ans. Sa capacité de production locale, qui réduit la nécessité d’une logistique de transport étendue, augmente encore sa praticité et son évolutivité», explique-t-il.

La durée de vie d’Arb est estimée à une vingtaine d’années. Pour augmenter la production, il suffit d’augmenter le diamètre de la parabole ou de multiplier le nombre d’«arbres artificiels», comme l’illustre l’animation ci-dessous:

Première installation dans une entreprise métallurgique

À partir de février 2024, la première installation de démonstration sera opérationnelle dans une entreprise de construction métallique à Aigle, dans le canton de Vaud. Zwahlen & Mayr utilisera un véritable «jardin artificiel» pour autoproduire une partie de l’hydrogène dont elle a besoin pour fabriquer ses tuyaux en acier inoxydable.

Cinq modules Arb d’un diamètre de neuf mètres et d’une puissance totale de 20 mégawatts seront installés à côté de l’usine. L’entreprise espère ainsi couvrir environ 20% de ses besoins en hydrogène, explique Christian Charpin, directeur adjoint de Zwahlen & Mayr. La chaleur sera utilisée pour chauffer l’eau de l’usine, tandis que l’oxygène ira aux hôpitaux locaux.

SoHHytec entend exporter son innovation. Un projet en cours de finalisation en Californie prévoit la création d’un parc d’un millier d’Arb qui produira jusqu’à 2400 tonnes d’hydrogène par an. De telles installations peuvent, par exemple, fournir un carburant vert pour le transport lourd et alimenter environ 150 camions parcourant 500 km par jour.

Saurabh Tembhurne estime qu’en utilisant uniquement les rayons concentrés du soleil, le prix de production de l’hydrogène vert aux États-Unis pourrait baisser à environ 2,5 dollars par kilo. Un coût donc similaire à celuiLien externe de l’hydrogène issu du méthane (en Suisse, le prix est actuellement de 15 à 23 CHF par kilo). S’il y avait alors des hôpitaux prêts à acheter de l’oxygène, le coût de l’hydrogène baisserait encore plus, selon Saurabh Tembhurne.

SoHHytec est également en discussion avec des partenaires en Inde, notamment des producteurs d’électricité, des industries chimiques et des entreprises de transport qui souhaitent remplacer le diesel dans les camions et les trains par de l’hydrogène.

Plus

L’importance des conditions climatiques

Le succès de ce type de technologies est lié au contexte dans lequel elles sont mises en œuvre, note Canan Acar. Par exemple, l’efficacité et la viabilité des systèmes d’hydrogène solaire dépendent fortement des conditions géographiques et climatiques. «Les régions à forte irradiation solaire sont celles qui en bénéficient le plus, mais la viabilité peut être limitée dans les régions où l’ensoleillement est moins constant», souligne-t-il.

Les installations industrielles existantes ont besoin d’une adaptation technologique pour intégrer les systèmes Arb. Cela nécessite des considérations économiques et une planification minutieuse de la part des entreprises, affirme Canan Acar.

SoHHytec se concentre pour l’instant sur le secteur industriel. Les entreprises intéressées peuvent investir dans son infrastructure ou conclure un accord à long terme pour la fourniture d’hydrogène à un prix préétabli.

Toutefois, la start-up n’exclut pas la possibilité d’applications résidentielles à l’avenir. L’utilisation de l’hydrogène dans les habitations est encore peu courante et soumise à des réglementations locales strictes, explique Saurabh Tembhurne.

«Cependant, nous pourrions imaginer des disques paraboliques plus petits pour les maisons individuelles, avec lesquels les gens produiraient de l’énergie et de la chaleur dans leur propre jardin», ajoute-t-il.

Texte relu et vérifié par Sabrina Weiss; traduit de l’italien par Olivier Pauchard

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision