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Des milliers de chrétiens célèbrent Noël en Arabie

Pour Mgr Paul Hinder, ce n’est pas en rejetant les musulmans de Suisse que la situation des chrétiens d’Arabie s’améliorera. ZVG

Le capucin suisse Paul Hinder est vicaire apostolique de la Péninsule arabique et «règne» sur 2 millions de catholiques sur 3 millions de km2. La liberté religieuse est relative dans le plus gros vicariat du monde, mais les églises y sont pleines à craquer, surtout à Noël.

Comme chaque année, la célébration de Noël réunit quelque 15’000 catholiques assistant aux diverses messes organisées dans la cathédrale St-Joseph d’Abou Dhabi, siège de l’évêque. Les chrétiens, en grande majorité d’origine asiatique, ne forment que 2,7% de la population de la région, mais ils y remplissent les églises.

Le vote des Suisses sur l’interdiction des minarets a bien sûr fait des vagues dans la péninsule, mais Monseigneur Paul Hinder estime qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’ampleur des éventuels dégâts sur l’existence des chrétiens. Une existence qui est déjà difficile.

swissinfo.ch: Vous êtes issu d’un ordre religieux, et un capucin qui se transforme en évêque-diplomate, cela ne court pas les rues?

Mgr Paul Hinder: Je n’ai jamais cherché à devenir évêque, mais bien plutôt à l’éviter! Malgré cela, j’aurais eu des difficultés à refuser cette nomination, sur le moment.

Au départ, j’avais une idée de ce qui m’attendait, car je connaissais la région. Mais le défi a dépassé toutes mes prévisions: je suis littéralement inondé de travail et je me déplace sans cesse dans ce vaste territoire qui compte une multitude de catholiques, en majorité asiatiques mais aussi beaucoup d’autres.

Le plus difficile, pour moi, a été la langue. Je n’ai malheureusement pas le temps d’apprendre l’arabe. Par contre j’ai dû me mettre à l’anglais, langue que j’utilise avec les autorités et la quasi-totalité des fidèles, qui sont étrangers.

swissinfo.ch: Ces églises pleines doivent vous changer de ce qui se passe en Europe et en Suisse…

P.H.: …c’est vrai que, à la différence de l’Europe, l’Eglise est très florissante ici. La dévotion des fidèles m’a impressionné et c’est du reste aussi une aide pour moi-même.

Cette église polychrome est d’une grande richesse de nations, de races, de traditions (il y a beaucoup de catholiques orientaux, dont certains que je ne connaissais même pas).

Mais cela implique aussi une certaine complexité et le manque d’espaces, qui est en lui-même pesant, peut devenir source de tensions entre communautés. Mais je me réjouis de voir tous ces gens qui acceptent de vivre avec une certaine sérénité dans ces pays où la liberté est limitée.

swissinfo.ch: Les chrétiens sont-ils persécutés?

P.H.: Dans le sens ordinaire du mot, pas du tout, en tout cas pas dans ma région. Mais il y a une persécution un peu plus subtile, qui fait que certains, dans certaines régions, doivent se cacher et ne peuvent se déclarer ouvertement chrétiens.

Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas exister, on peut exister, avec des difficultés, et on peut pratiquer. Simplement, on le fait d’une façon plus privée. Ce n’est pas idéal mais cela m’impressionne chaque fois que je (re)découvre des conditions de liberté religieuse très précaires.

Moi-même, je peux me déplacer dans tous les pays, mais il me faut partout un visa, parfois procurable à l’aéroport d’arrivée. Je voyage en général en portant un col romain, parfois complètement en civil, selon où je vais.

swissinfo.ch: Quelles sont les contraintes les plus pesantes?

P.H.: Nous avons des contraintes architecturales et les clochers ne sont évidemment pas autorisés. Mais ce n’est pas le plus important pour moi: ce dont j’ai particulièrement besoin, ce sont des lieux de culte et des locaux pour former les enfants et les adultes qui sont engagés dans les paroisses. Car nous sommes obligés d’organiser nos activités «publiques» sur des territoires qui nous sont attribués.

Le diocèse compte 18 paroisses dans 5 des 6 pays de la péninsule arabique (pas d’église en Arabie Saoudite). J’ai eu la joie d’inaugurer deux nouvelles églises depuis mon arrivée, une grande église à Doha (la première du Qatar) et une autre a été inaugurée avec les autorités locales au début décembre à Al Aïn, oasis et 2e ville de l’émirat d’Abou Dhabi.

swissinfo.ch: Vous avez bien sûr suivi les effets de la votation du 29 novembre. Comment réagissez-vous au fait que beaucoup de chrétiens ont voté pour l’interdiction des minarets?

P.H.: Comme toute la hiérarchie catholique, je suis convaincu que cela va contre les principes démocratiques. Mais je dois avouer que je comprends un peu les peurs de beaucoup de gens.

Je ne pense pas qu’ils aient voté tout simplement contre l’islam en tant que tel ou contre les musulmans. Mais c’est vrai qu’il y a 23% d’étrangers en Suisse et certains ont des difficultés à digérer toutes ces religions et cultures parce qu’ils ont une peur très profonde de perdre leur identité. Et ce même si, paradoxalement, on peut se demander s’ils ont encore une identité chrétienne.

Nous nous sommes tous trompés sur la réalité de ces sentiments et je suis convaincu que cela n’aurait pas dû se passer ainsi mais, maintenant, il faut vivre avec cette réalité, en espérant que les chrétiens d’Orient n’en souffrent pas.

swissinfo.ch: Pensez-vous que l’image de la Suisse soit touchée?

P.H.: Il y a bien sûr des réactions fortes ici dans les pays arabes, et même parfois une certaine désinformation dans les médias (je n’ai pas été sollicité personnellement par les médias locaux pour l’instant). Mais je ne pense pas qu’on puisse en juger maintenant, on verra.

Pour le moment, l’image de la Suisse est certainement ternie dans certains pays (et pas seulement musulmans), où certains découvrent que cette image n’est pas tout à fait aussi blanche qu’ils le croyaient. Mais je doute que cela dure car la Suisse a d’autres qualités qui sont reconnues.

Quant au reste de l’Europe, je suis convaincu que les électeurs auraient donné une réponse similaire, sinon pire, dans la plupart des pays, s’ils avaient la possibilité de voter. Mais ça, c’est une autre question.

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

Le Vicariat apostolique d’Arabie regroupe 6 pays de la péninsule arabique sur 3 million de km2, comptant autour de 2 millions de catholiques (4 % de la population totale) en 2009.

L’évêché compte 18 paroisses dans 5 pays sur 6 (aucune église en Arabie Saoudite): Yémen (4), Bahreïn (2), Qatar (une grande église vient d’y remplacer une salle provisoire), Emirats Arabes Unis (7), Sultanat d’Oman (4).

Une soixantaine de religieux sont présents.

Né en 1942 à Stehrenberg (Thurgovie), il entre au noviciat chez les capucins en 1962 et est ordonné prêtre en 1967.

Il exerce diverses fonctions notamment en Suisse et en Italie (avec des séjours réguliers dans divers pays de l’Europe, au Canada et au Moyen Orient), avant d’être nommé par Jean Paul II évêque auxiliaire (2004), puis vicaire apostolique (2005) du Vicariat d’Arabie.

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