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Conseil des droits de l’homme: des paroles, mais aussi des actes

A military guard watches as Filipino indigenous people raise their clenched fists during a rally
Un garde militaire observe des Philippins manifester la semaine dernière lors d'un rassemblement à l'extérieur d'une installation militaire à Manille. Copyright 2018 The Associated Press. All rights reserved.

Chaque année au mois de mars, Genève accueille la principale session du Conseil des droits de l’homme (CDH). Un événement majeur qui attire des dirigeants, des groupes de pression et des citoyens ordinaires du monde entier. Un organe de l’ONU décrié qui produit pourtant des effets sur le terrain.

Sa sessionLien externe de printemps dure quatre semaines et des milliers de personnes y assistent, des présidents ou ministres des affaires étrangères escortés de leurs gardes du corps, jusqu’aux minuscules organisations non gouvernementales qui espèrent mettre à l’ordre du jour le sort des plus pauvres, oubliés et persécutés du monde.

En route pour le début de la session, je me suis retrouvé dans le train à côté d’un ancien voisin bernois. Quand je lui ai dit où j’allais, il est parti dans un éclat de rire: «Oh ça, je l’ai vu à la télé, c’est une blague.»

Des renards gardant le poulailler?

Soulignant que les 47 États membresLien externe élus du Conseil comprenaient l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Venezuela et les Philippines, il a suggéré que la composition actuelle du meilleur chien de garde des droits humains au monde est comme un poulailler gardé par des renards.

Je vois ce qu’il veut dire. Malheureusement, il s’agit d’un problème que l’ONU s’efforce de résoudre, avec un succès discutable, depuis de nombreuses années.

Il y a plus d’une décennie, l’ONU, sous la direction de Kofi Annan, a entrepris un important programme de réformes. En tête de liste se trouvait la Commission des droits de l’homme de l’ONU, largement critiquée comme étant trop politisée et inefficace.

Le résultat a été la création en mars 2006 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, avec 47 États membres élus par leurs pairs au sein de l’Assemblée générale de l’ONU. Chaque candidat devait présenter un bon dossier et montrer son engagement à l’égard des droits de la personne. Chaque membre élu peut théoriquement être expulsé pour violations graves.

«Dans le cadre de ce nouveau système, m’avait dit Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights WatchLien externe à l’époque, les pays qui ont de mauvais antécédents en matière de droits humains comme l’Arabie saoudite n’auront plus jamais de siège au Conseil.»

Un optimisme déplacé

Il est clair que cet optimisme était quelque peu déplacé. Le processus pour devenir membre du Conseil est peut-être plus rigoureux qu’il ne l’était sous l’ancienne Commission, mais les régimes autoritaires et leurs alliés continuent de se soutenir et de se protéger les uns les autres au sein de l’organe onusien.

«Il a ses limites, convient John Fisher, l’actuel directeur de Human Rights Watch à Genève. Il y aura toujours des considérations politiques. En même temps, c’est le seul endroit où les gouvernements du monde peuvent se rencontrer et condamner les violations d’une seule voix.»

Et c’est pourquoi, année après année, des défenseurs des droits humains du monde entier viennent à Genève, apportant avec eux des cas soigneusement documentés de persécutés, d’abus et de violations. Parfois, leurs efforts sont vains, mais parfois, avec le soutien actif de certains Etats membres, des mesures sont prises.

John Fisher souligne que l’année dernière, malgré l’adhésion de certains pays dont le bilan en matière de droits humains est très douteux, le Conseil a décidé de mesures importantes, notamment l’établissement d’une mission d’enquête sur le Myanmar, d’une enquête sur la recrudescence de la violence en République démocratique du Congo et, après de longs débats, d’une équipe d’experts chargés d’enquêter sur les crimes de guerre présumés au Yémen.

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John Fisher a également été frappé par le soutien des citoyens ordinaires pour les travaux du Conseil dans les pays concernés. «J’étais aux Philippines en septembre dernier [à la suite des préoccupations exprimées au Conseil sur les exécutions extrajudiciaires sous la présidence de Rodrigo Duterte], et j’ai été surpris de constater l’ampleur de leur prise de conscience.»

Le défenseur des droits humains convient qu’il est difficile de mesurer avec précision l’efficacité du Conseil, mais il souligne qu’à la suite des préoccupations exprimées, le président Duterte a transféré certains pouvoirs de l’unité de police qui serait responsable des meurtres, et le nombre de décès a ensuite diminué: «Donc ça a eu un effet sur Duterte. Malheureusement, il a depuis retransféré ce pouvoir, et les meurtres ont repris de plus belle.»

L’impact sur la politique intérieure

John Fisher assiste régulièrement aux sessions du Conseil des droits de l’homme depuis de nombreuses années, mais qu’en est-il des défenseurs des droits humains qui viennent à Genève pour la première fois?

L’Australien Daniel Webb est directeur au Human Rights Law CentreLien externe de Melbourne. Il est à Genève pour observer les actions de son pays, nouvellement élu au CDH: «Je veux observer, chercher à influencer et suivre les positions prises par notre gouvernement pour les confronter aux politiques appliquées en Australie.»

Et ses impressions jusqu’à présent? «Il y a une menace vraiment insidieuse de la part de pays qui se vantent et disent beaucoup de choses grandioses, mais qui, au niveau national, abandonnent parfois ces principes pour des raisons de politique intérieure.»

Daniel Webb met l’Australie dans ce groupe, soulignant la pratique du gouvernement qui consiste à détenir les demandeurs d’asile dans des installations à l’étranger: «Notre gouvernement a fait une merveilleuse promesse volontaire de respecter l’universalité des droits humains, et j’ai pensé: ‘cela semble merveilleux’. Mais j’ai vu le centre de détention offshore sur l’île de Manus pour les personnes cherchant l’asile en Australie.»

Qu’est-ce qu’on ne saurait pas?

Néanmoins, le CDH fait du bon travail, estime-t-il: «C’est incroyable de lire les enquêtes des experts indépendants et la façon dont le Conseil extrait des faits et des informations de lieux incroyablement fermés et les met à la vue de tous. Je frémis à l’idée du manque d’informations sur la situation au Myanmar, ou en Erythrée, s’il n’y avait pas ce système.»

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C’est peut-être cela la plus grande force du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ses enquêtes Lien externeminutieuses ne conduisent pas toujours, ni même souvent, à des changements immédiats, mais personne ne peut dire qu’il ne savait pas. Les preuves des violations sont préservées et peuvent à terme donner lieu à des poursuites judiciaires pour crimes de guerre.

John Fisher souligne en particulier la détermination tenace du CDH à renouveler le mandat de la Commission d’enquête sur la Syrie, malgré la paralysie du Conseil de sécurité de l’ONU: «Le CDH a fait tout ce qui était en son pouvoir pour rassembler des preuves et maintenir la Syrie sous les projecteurs du monde entier. Pour qu’un jour, les criminels de guerre aient des comptes à rendre.»

(Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand)

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