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Recherches policières sur Internet: enquête ou pilori?

La police municipale de Zurich a choisi Internet pour identifier les auteurs des violences du 1er Mai. Keystone

Il y a quelques jours, la police municipale de Zurich a publié sur Internet des photos d’inconnus soupçonnés d’avoir commis des délits dans le cadre de la Fête du 1er Mai. Cette méthode est largement saluée. Mais certaines personnes, comme l’avocat Markus Bischoff, s’en émeuvent. Interview.

Face à cette manière de mener des recherches sur Internet, l’avocat Markus Bischoff, qui est par ailleurs membre du parlement cantonal zurichois sous les couleurs du la «Liste alternative» (gauche), fait partie des sceptiques. Il s’en explique auprès de swissinfo.ch.

swissinfo.ch: Cette nouvelle méthode d’enquête adoptée par la police municipale de Zurich est visiblement couronnée de succès, puisque plusieurs suspects ont déjà pu être identifiés. Pourquoi êtes-vous donc réticent?

Markus Bischoff: Le succès ne justifie pas encore les moyens. On doit prendre en considération le fait qu’il n’a pas été établi si ces gens sont ou non coupables. Leur présentation sur Internet a véritablement l’effet d’une mise au pilori. Par ailleurs, nous savons qu’une fois qu’une photo est publiée sur Internet, elle y reste, même si la police la retire de son site.

Pour procéder de la sorte, le délit doit être grave et l’intérêt public prépondérant. Par exemple, un détenu qui s’évade durant une permission et dont on sait qu’il a déjà commis différents crimes. Le risque est alors clairement plus élevé et on doit réagir plus rapidement. Dans ce cas, la police a certainement le droit de publier une photo sur Internet, si elle n’est pas en mesure d’obtenir un succès autrement.

Cela me dérange aussi que des individus cassent tout le 1er Mai. Mais ces délits ne sont pas graves au point de justifier une recherche en ligne. On risque de voir sur Internet, d’ici cinq ans, chaque petit voleur à la tire.

swissinfo.ch: N’est-ce pas une vision totalement utopique?

M. B.: Aux Etats-Unis, j’ai lu dans le journal local d’une petite ville qui était en prison et pour quel délit, qui avait roulé trop vite, etc. Cela pourrait également arriver chez nous.

Cela ne peut pas être dans l’intérêt des gens. Chacun a le droit de faire une fois une erreur. Et peut-être doit-on payer pour ça. Mais si l’on cloue en plus cette personne au pilori, cela reste très longtemps dans l’esprit du public. C’est dévastateur et ne sert à mon avis pas la paix juridique.

swissinfo.ch: La police municipale zurichoise justifie sa démarche par le nouveau Code fédéral de procédure pénale. Mais là non plus, vous n’êtes pas d’accord. Pourquoi?

M. B.: Il existe aussi des avis critiques par rapport au Code de procédure pénale, qui le considèrent comme une ingérence grave. Il faut bien réfléchir avant d’y avoir recours. Selon moi, jeter des pierres ou provoquer des dommages matériels ne relève pas du Code de procédure pénale, même si ces délits sont punissables.

swissinfo.ch: En 2009 à Kreuzlingen, trois jeunes en avaient tabassé deux autres à la gare. La vidéo avait été mise sur Internet. Dans un tel cas, le recours à Internet se justifie-t-il?

M. B.: Il s’agit là d’un délit contre la vie et l’intégrité physique. Une publication sur Internet est donc justifiée. Mais là aussi, la police doit d’abord essayer de résoudre le cas par d’autres moyens.

swissinfo.ch: Le ministre de la Défense Ueli Maurer a déclaré en 2009 qu’il ne fallait plus accorder l’anonymat aux semeurs de troubles. Notamment parce que l’on ne peut pas demander aux employeurs d’accepter qu’un collaborateur passe ses week-ends à provoquer le chaos dans et autour d’un stade et réapparaisse le lundi en cravate au travail. Qu’en pensez-vous?

M. B.: Ouais… c’est une jolie phrase. Mais nous savons que les auteurs présentent différents visages. Ils peuvent même être resocialisés – et cela même sans procédure pénale. La participation à des bagarres ou aux violences du 1er Mai porte en elle un caractère très immature. Beaucoup de ses auteurs, surtout les jeunes adultes, testent ainsi les limites. Et il est aussi important que tout ne soit pas tout de suite publié sur Internet.

swissinfo.ch: Mais vous comprenez les gens qui disent qu’on ne peut tolérer que des voleurs à l’étalage, des casseurs, des chauffards ou des hooligans transgressent la loi juste pour le plaisir et que les victimes et les contribuables doivent ensuite passer à la caisse.

M. B.: Celui qui est responsable au niveau pénal est puni. Mais cela ne signifie pas que tous ceux qui sont montrés sur Internet soient coupables. Il y a la présomption d’innocence.

swissinfo.ch: Le préposé zurichois à la protection des données, Marcel Studer, n’a pas fait d’objection à la publication des images du 1er Mai sur Internet. Pas plus que les deux criminologues Daniel Jositsch et Martin Kilias. Ces derniers y voient un moyen efficace de briser l’anonymat autour de tels délits. Alors encore une fois, pourquoi êtes-vous aussi sceptique?

M. B.: Ces deux criminologues sont candidats aux prochaines élections fédérales et doivent donc soigner leur popularité. Mais c’est une question de proportions, puisqu’il s’agit de délits relativement limités et d’un empiètement relativement important sur la protection de la personnalité.

Ce genre d’actes est toujours commis par des délinquants qui sont impopulaires, comme ceux qui participent aux émeutes du 1er Mai. On obtient donc toujours rapidement un large consensus contre eux.

Un Etat de droit doit veiller à ne pas dépasser certaines limites. Il est temps de lancer un débat, de regarder la loi de plus près, car il existe différentes interprétations de la manière dont celle-ci doit être appliquée. A mon avis, on devrait conserver la pratique actuelle, qui est relativement restrictive.

Les peines que les tribunaux prononcent actuellement sont plus lourdes qu’autrefois. Aujourd’hui, on aimerait résoudre tous les problèmes de société avec le droit pénal, qui devient une méthode d’éducation pour la population et cela me cause du souci.

1er Mai. La police municipale de Zurich a filmé et photographié plusieurs personnes ayant participé aux violences du 1er Mai dans Stadtkreis 4. Les premières recherches n’ayant rien donné, le Ministère public a décidé de publier 13 photos sur Internet.

Publication. Avant la publication, qui a eu lieu le 18 juillet, la police municipale a fait savoir que les photos des auteurs présumés ne seraient pas publiées au cas où ceux-ci s’annonçaient volontairement. Mais personne n’a utilisé cette possibilité.

Identifications. Sept des treize auteurs présumés ont été identifiés. Cinq personnes se sont annoncées spontanément à la police après la publication. Les photos des personnes identifiées ont été retirées du site de la police.

Droit modifié. Jusqu’à présent, la police municipale zurichoise n’avait eu recours à Internet que pour des crimes graves, comme des homicides ou des vols avec violence. Mais depuis le début de l’année 2011, la nouvelle Ordonnance de procédure pénale permet de le faire aussi pour des délits moins graves.

Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard

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