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Le peuple suisse coule la réforme de l’imposition des entreprises

Christian Levrat et les membres du Parti socialiste jubilent: les Suisses ont balayé la troisième réforme de l'imposition des entreprises. Keystone

Contre toute attente, les Suisses ont dit ‘non’ dimanche à près de 60% à la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). La gauche a ainsi réussi son pari, elle qui avait lancé le référendum contre ce projet soutenu par le gouvernement, la majorité du Parlement et l'ensemble des milieux économiques. 

Au terme d’une campagne très virulente, le peuple suisse a largement rejeté dimanche la troisième réforme de l’imposition des entreprises. Alors que le dernier sondage annonçait un résultat serré dans les urnes, le peuple suisse a infligé un véritable camouflet à son gouvernement et notamment à son ministre des Finances Ueli Maurer. Le ‘non’ l’emporte avec 59,1% des voix et seuls quatre cantons (Vaud, Tessin, Nidwald et Zoug) sur 26 sont allés à contre-courant en approuvant du bout des lèvres cette réforme tant contestée. 

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Il s’agit de la première défaite électorale du Conseil fédéral et du Parlement depuis mai 2014. A l’époque déjà, c’est Ueli Maurer, alors à la tête du département de la Défense, qui avait perdu la bataille sur l’achat des avions de combat Gripen.  

Pour la gauche, qui avait fait de cette votation un enjeu majeur de la législature, le triomphe est total. A 11h47, alors que tous les bureaux de vote du pays n’étaient pas encore fermés, Christian Levrat, le président du Parti socialiste, se félicitait déjà de cette victoire sur Twitter:

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Après le virage à droite du Parlement observé depuis les élections législatives de 2015, les députés socialistes, à l’instar du Valaisan Mathias Reynard, veulent croire à un certain retour de balancier:

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Chez les partisans de la réforme, les réactions n’ont pas non plus tardé. «Le ‘non’ de la Suisse aux entreprises est un très mauvais signal. Le soutien à la place économique semble être devenu secondaire», a ainsi twitté le sénateur libéral-radical zurichois Ruedi Noser. 

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Pas d’autocritique

Quant à Ueli Maurer, il n’a pas souhaité s’appesantir sur les raisons de cette défaite dans les urnes ni se lancer dans un exercice d’autocritique. «Nous devrons mener une analyse approfondie au cours des prochaines semaines afin de ne pas répéter les mêmes erreurs la prochaine fois», s’est-il contenté d’indiquer en conférence de presse.

Le ministre des Finances a toutefois averti que ce ‘non’ allait engendrer une insécurité juridique, avec le risque que la Suisse disparaisse du radar des entreprises internationales. «Il existe un danger réel que ces sociétés ne viennent plus s’implanter en Suisse, voire même que certaines d’entre elles décident de s’en aller», a-t-il souligné.  

Ueli Maurer a toutefois précisé que la loi resterait pour l’heure inchangée et que les sociétés étrangères continueraient donc à bénéficier de régimes fiscaux spéciaux d’ici à ce que la nouvelle mouture de la réforme entre en vigueur.  

Adaptation aux standards internationaux 

La RIE III avait été lancée il y a deux ans par le gouvernement dans l’optique d’adapter le système fiscal suisse aux nouveaux standards internationaux élaborés par  l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) afin de lutter contre les pratiques fiscales qui permettent aux entreprises transnationales de réduire ou d’annuler leurs impôts. Divers régimes fiscaux suisses se trouvent déjà depuis une décennie dans le viseur de l’OCDE, de l’Union européenne et du G20, qui brandissent la menace de sanctions et de listes noires. 

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Le projet de réforme devait donc avant tout servir à supprimer ces pratiques fiscales, en particulier les régimes spéciaux appliqués par les cantons pour attirer les holdings, les sociétés mixtes et les sociétés de domicile, c’est-à-dire des entreprises qui sont actives à l’étranger et n’ont en Suisse que des activités administratives ou un siège fiscal. 

Pour éviter le départ de ces entreprises, qui fournissent 150’000 postes de travail en Suisse, pratiquement tous les cantons prévoient d’abaisser le taux d’imposition pour toutes les entreprises présentes sur leur territoire. Soumises au même taux d’imposition, les entreprises locales et multinationales seraient ainsi mises sur un pied d’égalité, ce qui ferait taire les critiques à l’étranger.

La réforme rejetée dimanche dans les urnes prévoyait que la Confédération compense à hauteur de plus d’un milliard de francs les cantons pour amortir les effets de cette baisse du taux d’imposition. Selon le Parti socialiste, la majorité des partis du centre et de la droite au Parlement ont cependant profité de l’occasion pour octroyer des cadeaux fiscaux aux entreprises. 

Craintes de pertes fiscales majeures

Malgré l’opposition de la gauche, la RIE III semblait pourtant il y a quelques mois encore pouvoir passer sans trop de difficulté l’écueil des urnes. Le projet était soutenu par toutes les grandes organisations économiques et par tous les partis du centre et de la droite, qui, l’automne dernier déjà, avaient lancé une campagne massive d’annonces. 

Mais au fil de la campagne, le scepticisme a pris de l’ampleur. Plusieurs personnalités en vue de partis bourgeois, parmi lesquelles l’ancienne ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf, se sont exprimées pour mettre en garde contre les conséquences financières et fiscales de cette nouvelle loi, approuvée en juin dernier par le Parlement.

La fronde a également été relayée par de nombreux représentants des villes suisses, de gauche mais aussi de droite. Seules des coupes drastiques dans les prestations ou un report de la charge fiscale sur les personnes physiques permettront de compenser les baisses d’impôts octroyées aux entreprises, ont-ils averti. 

Quel plan B?

Après le rejet de la RIE III, le Parti socialiste appelle à mettre «rapidement» sur la table un nouveau projet. Les détracteurs de la troisième réforme de l’imposition des entreprises proposent comme point de départ la mouture originelle du Conseil fédéral.

Le texte, porté à l’époque par Eveline Widmer-Schlumpf et «dénaturé» par le Parlement, devrait «être amélioré afin de comporter moins d’astuces», a réagi dimanche le député Roger Nordmann. Selon le président du groupe socialiste du Parlement , il est réaliste de mettre sous toit un nouveau projet «dans les six mois suivant le message du Conseil fédéral».

Ueli Maurer a quant à lui indiqué que la Suisse ne pourrait pas tenir les délais impartis vis-à-vis de l’OCDE. En 2014, la Confédération s’était engagée à mettre fin aux statuts spéciaux des multinationales étrangères d’ici le 1er janvier 2019. Or le ministre des Finances ne croit pas qu’il soit possible de mettre en oeuvre ce projet avant 2021. 

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Régimes fiscaux préférentiels

En Suisse, on compte quelque 24’000 entreprises bénéficiant de régimes fiscaux spéciaux. Il s’agit principalement de holdings, de sociétés mixtes ou de sociétés de domicile, qui pour la plupart n’exercent aucune activité productive ou commerciale sur le territoire helvétique.

Ces sociétés ne représentent que 7% de toutes les entreprises sises en Suisse, mais elles assurent environ la moitié des impôts prélevés par la Confédération sur les bénéfices des entreprises. La Confédération applique un taux effectif de 7,8% à toutes les entreprises.

Pour ce qui concerne les cantons, les holdings, les sociétés mixtes et les sociétés de domicile (ou sociétés de gestion) garantissent environ 21% des impôts sur les bénéfices versés par l’ensemble des entreprises. Dans les cantons, ces sociétés bénéficient de taux d’imposition très bas, ou sont même exemptées d’impôts.

Leur charge fiscale globale (Confédération, cantons et communes) oscille entre 7,8 et 12%. Pour les autres entreprises actives en Suisse, cette charge varie en revanche de 12% à 24%.

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