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Transformer le peuple en ministre des Affaires étrangères

La mission militaire suisse au Kosovo est notamment dans le collimateur de l'ASIN. Keystone Archive

L'Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) entend changer le cap de la politique extérieure avec une initiative populaire. Le pouvoir du Parlement et du gouvernement serait amoindri au profit du peuple.

Les adversaire de l’ASIN mettent en garde: la marge de manœuvre de la Suisse sur la scène internationale serait presque réduite à zéro.

L’ASIN entend multiplier les initiatives populaires. La première vise à renforcer les droits populaires en matière de politique étrangère. En clair, ce texte réclamera le référendum obligatoire, et donc la double majorité (peuple et cantons), pour les «jalons importants» en matière de politique étrangère.

Il sera lancé entre fin février et début mars, a indiqué le directeur de l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) Hans Fehr, à l’occasion de la présentation du «livre noir de la neutralité suisse», lundi à Berne.

Le référendum obligatoire réclamé par l’initiative aurait permis de faire échouer l’accord bilatéral de Schengen/Dublin. Selon Hans Fehr, il pourrait être utilisé aussi bien contre des traités, comme le futur accord sur l’élargissement de la libre-circulation à la Roumanie et à la Bulgarie, que contre des crédits dépassant le milliard de francs.

Autres initiatives

L’initiative vise aussi à atténuer le principe de la primauté du droit international. L’organisation examine également la possibilité de lancer une initiative contre les engagements de l’armée à l’étranger.

Hans Fehr juge «assez grande» la probabilité que l’ASIN présente un tel texte. Le cas échéant, le lancement devrait avoir lieu «à partir de 2009». Un troisième texte pourrait réclamer que la Suisse quitte l’ONU pour éventuellement y adhérer une nouvelle fois plus tard «à certaines conditions».

Ministres attaqués

Dans son livre noir, l’ASIN recense les «très nombreuses infractions à la neutralité» depuis l’adhésion de la Suisse à l’ONU en 2002. «Etre présents sur la scène internationale est devenu plus important que gagner», dénonce-t-elle.

Et de s’attaquer une nouvelle fois à la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey ainsi qu’au ministre de la défense Samuel Schmid.

La critique est violente à l’égard de la socialiste. «Le besoin indomptable de la ministre des Affaires étrangères de se mettre en scène sur le plan international entraîne une politique extérieure imprévisible, versatile et souvent contraire à la neutralité», selon Hans Fehr.

Les partisans de la neutralité armée et du système de milice ne sont pas plus tendres avec Samuel Schmid auquel ils ne peuvent plus apporter leur soutien. «Il n’est pas le sauveteur de la neutralité», a ironisé Hans Fehr.

Le ministre de l’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste) trône d’ailleurs en bonne place à côté de Mme Calmy-Rey sur l’affiche de l’ASIN qui représentent ces «deux hommes de main de l’ONU détruisant la neutralité» au volant d’un rouleau compresseur, labelisé ONU, écrasant la Suisse.

Une initiative «complètement folle»

Les propositions de l’ASIN reçoivent un accueil plus que froid parmi les députés qui ne font pas partie de l’UDC. L’idée de soumettre les dossiers de politique étrangère à la double majorité du peuple et des cantons pose particulièrement problème.

«Nous ne pourrions tout simplement plus coopérer avec d’autres Etats. La Suisse serait bloquée, même pour des accords très simples qui ne sont contestés par personnes», déclare à swissinfo le député socialiste Mario Fehr, membre de la Commission de politique extérieure (CPE) de la Chambre basse.

«La Suisse dispose déjà d’un système très complet avec des consultations obligatoires ou facultatives des citoyens, poursuit-il. Par exemple, la Suisse ne peut pas adhérer à l’Union européenne sans une double majorité. Dans aucun autre pays le peuple n’a un pouvoir aussi étendu en matière de politique étrangère. Cette initiative de l’ASIN est complètement folle!»

Cet avis est partagé par le député socialiste Jean-Claude Rennwald, lui aussi membre de la CPE. «Nous disposons d’un système tout à fait convaincant, puisque la double majorité est déjà requise si la Suisse veut adhérer à une organisation supranationale», déclare-t-il.

Ce que la Suisse a fait à l’ONU

«Il est clair que ce que vise l’ASIN, ce sont les accords bilatéraux avec l’UE. Ce n’est qu’une tentative de plus pour empêcher l’ouverture de la Suisse vers l’Europe et vers le monde», conclut Jean-Claude Rennwald.

Présidente du Nouveau mouvement européen et membre de la CPE, la députée radicale (PRD / droite) Christa Markwalder est du même avis que ses collègues socialistes. «Introduit en 1920, le référendum sur les traités internationaux a déjà été utilisé à plusieurs reprises, explique-t-elle. Cet instrument est suffisant.»

Quant à l’idée de quitter l’ONU, Christa Markwalder la juge durement. «L’ASIN ne peut visiblement pas vivre avec ses défaites politiques. Elle ne veut pas voir ce que la Suisse a pu réaliser au sein des Nations Unies. Elle méconnaît également la réalité actuelle, c’est-à-dire la mise en réseau de la Suisse aux niveaux politique et économique.»

swissinfo avec les agences

L’Action pour une Suisse indépendante et neutre a été créée le 19 juin 1986 pour lutter contre l’adhésion de la Suisse à l’ONU. A l’origine, l’organisation comptait environ 2000 membres; ils sont aujourd’hui plus de 46’000.

L’ASIN s’est surtout fait connaître avec sa campagne contre l’entrée de la Suisse dans l’Espace économique européen (EEE). Elle avait alors doublé le nombre de ses membres, passant de 8000 à 16’000.

Mais au cours des ses 20 ans d’existence, elle a aussi connu des défaites. Parmi les objets qu’elle a combattus mais qui ont été accepté par le peuple: la participation de la Suisse à l’Espace Schengen/Dublin, l’extension de l’accord de libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l’UE, l’adhésion de la Suisse à l’ONU ainsi que l’envoi de soldats suisses armés dans des missions de paix à l’étranger.

L’ASIN se définit comme une association interpartis et pas comme une simple filiale de l’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste). Ses dirigeants sont cependant presque tous les personnalités de premier plan de l’UDC. A l’origine, elle comptait en revanche aussi des membres de partis politiques du centre droit.

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