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Un drame relance la question des naturalisations

A Locarno, la marche silencieuse de dimanche a réuni des milliers de personnes. Keystone

La mort d'un jeune homme frappé sauvagement par trois autres jeunes durant le carnaval de Locarno met en émoi non seulement le Tessin, mais tout le pays.

Le motif de ce crime n’est pas encore connu et les enquêteurs restent pour l’heure très discrets. L’origine balkanique des trois auteurs – inutile de le nier – a marqué l’opinion publique et relance la question des naturalisations.

«Nous ne serons désormais plus les mêmes». Ces paroles du maire de Locarno Carla Speziali résument avec une très grande sobriété le sentiment profond de la population.

Un sentiment qui mêle effroi, incrédulité, rage et douleur. Un sentiment palpable dimanche après-midi, au cours de la marche silencieuse à laquelle ont pris part des milliers de personnes.

«Ce qui est arrivé vendredi a laissé des marques profondes en chacun d’entre nous. A partir de maintenant, nous ne serons plus les mêmes. Je vous invite à observer un moment de silence», a déclaré Carla Speziali devant l’hôpital de Locarno, la voix suffoquée par l’émotion.

Quelques jours après le brutal passage à tabac, les réactions sont contrastées. Tout le monde demande justice, mais pas de la même manière. Le maire de Locarno invite toutefois à ne pas instrumentaliser la mort du jeune homme.

Une tragédie incompréhensible

L’origine balkanique des trois jeunes agresseurs – dont deux sont naturalisés suisses – a indubitablement donné encore plus d’écho à ce drame. L’un des auteurs aurait par ailleurs déjà été en délicatesse avec la justice pour des faits mineurs.

Personne ne peut dire encore avec certitude ce qui est passé par la tête de ces trois jeunes, deux apprentis et un vendeur. La magistrature reste pour l’heure très discrète sur cette affaire, notamment en ce qui concerne la reconstitution des faits.

Il est clair que rien ne justifie ce crime: le jeune homme a été tout bonnement massacré et abandonné, mourant, dans une rue de la vielle ville où déambulaient encore quelques passants. Personne ne semble s’être aperçu de rien.

Les trois jeunes ont pu poursuivre les festivités dans une autre localité, sans être inquiétés. Ce n’est que quelques heures plus tard qu’ils ont pu être appréhendés par la police dont le travail n’a pas été facilité par la présence des nombreux masques de carnaval.

Les ex-Yougoslaves dans le colimateur

Cette tragédie a secoué tout le Tessin. Le canton demande des sanctions exemplaires, mais invite également à ne pas céder à des dérives racistes et à ne pas mettre toute la population balkanique dans le même panier.

Deux partis de la droite nationaliste – l’Union démocratique du centre (UDC) et la Ligue des Tessinois – demandent l’expulsion des agresseurs au travers de la révocation immédiate de leur citoyenneté suisse. La Ligue dénonce la trop grande facilité avec laquelle les naturalisations sont accordées et le manque d’intégration des personnes provenant d’autres cultures.

Pour l’UDC, il n’est finalement pas important de savoir si ces trois jeunes sont des Suisses naturalisés ou tout simplement des Slaves. «L’essentiel, c’est que leur violence est d’origine slave», conclut le parti.

Pour le ministre tessinois de l’Intérieur Luigi Pedrazzini, «il est injuste de généraliser et de dire que tous les Croates ou tous les Bosniaques sont violents ou dangereux. Mais il est d’autre part erroné de faire semblant qu’il n’existe pas de problèmes avec quelques citoyens de l’ancienne Yougoslavie.»

Pas de chasse aux sorcières

De larges milieux lancent en revanche des appels pour ne pas jeter l’opprobre sur une communauté tout entière et pour ne pas rallumer une dangereuse chasse aux sorcières, chasse déjà bien présente sur quelques blogs tessinois. Les procès sommaires sont en effet dangereux.

«Il est nécessaire que la justice puisse faire son travail, afin d’établir avec précision ce qui s’est passé, observe le président de la Commission pour l’intégration et la lutte contre le racisme Fulvio Pezzati. Sauter aux conclusions sans connaître les faits est une erreur.»

swissinfo, Françoise Gehring, Locarno
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

La loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse prévoit la possibilité de retirer la nationalité.

L’article 48 stipule: «L’office peut, avec l’assentiment de l’autorité du canton d’origine, retirer la nationalité suisse et le droit de cité cantonal et communal à une double national si sa conduite porte une atteinte grave aux intérêts ou au renom de la Suisse.»

Dans les faits, le retrait de la nationalité ne se conçoit que dans des cas d’une extrême gravité, par exemple pour une personne condamnée pour crimes de guerre.

En ce qui concerne les citoyens étrangers, la Loi fédérale sur les étrangers prévoit une série de mesures: interdiction d’entrée en Suisse, révocation des permis de séjour et non renouvellement de ces permis.

L’Union démocratique du centre a lancé une initiative intitulée «Pour le renvoi des étrangers criminels». La procédure en est encore au stade de la récolte des signatures.

Alors que la Suisse est encore secouée par le drame, la famille de Damiano Tamagni donne une leçon de dignité.

Dans une lettre aux médias, elle appelle «au respect de Damiano et de notre grande douleur, à ne pas instrumentaliser sa mort tragique pour nourrir la haine et le racisme».

«Nous pensons que les assassins de notre fils doivent être punis de manière durable et exemplaire en tant que personnes, indépendamment de leur origine. Nous aimerions que la mort de Damiano contribue à mettre fin à cette culture de violence gratuite qui règne de l’école aux manifestations sportives.»

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