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Baise-moi: d’accord, mais pas comme ça!

Parfum de soufre à Locarno: «Baise-moi», le premier film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Tri, classé «X» en France, est en compétition à Locarno.

Rappel des faits: cet été, le Conseil d’Etat français a apposé la mention «X» à «Baise-moi», le reléguant dans le réseau des salles dites spécialisées. Comme ce réseau est quasiment inexistant de nos jours, cela équivaut donc à une véritable censure. A Locarno, on affirme que ce choix de programmation a été fait bien avant que l’affaire n’éclate… Quoi qu’il en soit, la projection de «Baise-moi» est devenue un événement.

A l’origine, un roman publié en 1995 par Virginie Despentes. C’est crû, c’est trash, et la demoiselle, alors âgée de 25 ans, ouvre alors une voie que d’autres vont s’empresser de suivre. Une voie qu’on peut résumer ainsi: être femme et néanmoins parler cul. Avec violence si possible. Rien d’alarmant; mais avec le passage à l’écran, tout prend une autre dimension.

Que nous raconte donc Virginie Despentes? Nadine (Karen Bach) et Manu (Raffaëlla Anderson) sont deux jeunes filles qui vivent mal. L’une se prostitue, fume de l’herbe et se masturbe à ses nombreux moments perdus. L’autre zone. Un jour, toutes deux se font violer. Et quelques temps plus tard, chacune va trancher le fil ténu qui les relie encore à la société: l’une tue sa room-mate, l’autre abat son frère. Comme ça, juste parce qu’elles sont à bout.

Suit une cavale où se mêlent sperme et sang, baise pour rire, et meurtres pour rire également. Plus de frein, plus de morale, plus de limites. Une fuite en avant pour masquer le vide: toutes deux savent que tôt ou tard, l’aventure finira, et mal.

Dans «Baise-moi», on voit des sexes. En gros-plan. Des sexes masculins, des sexes féminins qui s’agitent avec une certaine frénésie. Intégrer des scènes de sexe réel dans un film non pornographique, c’est sans doute ce qui a le plus outragé les censeurs, et c’est pourtant ce qui est le moins choquant dans l’affaire. Car sur ce plan, la démarche des deux réalisatrices est novatrice, et pourquoi pas, légitime.

Et cela même lorsqu’il s’agit de la terrible scène de viol du début… Car leur intention est-elle vraiment différente de celle d’un Spielberg, cherchant avec maniaquerie à rendre toute l’horreur de la guerre dans «Faut-il sauver le Soldat Ryan?» Juste un effet de réalisme, qui donne une cohérence réelle à l’esprit du film.

Il y a longtemps que le cinéma nous a habitués à des scènes de crime, de torture. Des violences étalées, décortiquées à l’écran sans pour autant que le cinéaste responsable ne s’attire les foudres des censeurs. Y aurait-il donc des crimes montrables, et d’autres qui ne le seraient pas? Evidemment, on pourrait suggérer plutôt que montrer. Mais il y a bien longtemps que ce vieux précepte n’est plus dans l’air du temps.

Non, le problème ne vient pas de l’exposition des sexes. Il réside premièrement dans le fait que les deux réalisatrices saisissent un prétexte psychologique et social, dramatique au demeurant, pour assouvir leur perversion, cette étrange attirance pour le sexe allié au sang, attirance dans laquelle elles se complaisent sans aucune distanciation.

Il réside deuxièmement dans la malhonnêteté du scénario. L’idée implicite que le viol subi par Nadine et Manu légitime leur conduite ultérieure, leur octroie le droit de prendre leur pied dans les tripes et la chair, de flinguer, de bousiller, et cela dès qu’un être humain ne leur convient pas: trop lourd, trop flic, trop bourgeois, trop riche… Le «délit de sale gueule» n’est pas loin. De ce point de vue-là, et de ce point de vue-là seulement, ce film fort est vénéneux, dangereux peut-être.

Bernard Léchot

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