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Harald Cropt, un lutteur suisse atypique

Harald Cropt pose fièrement devant le vignoble familial du Chablais vaudois. swissinfo.ch

Ce week-end à Frauenfeld, 281 lutteurs s’affrontent pour le titre suprême de «roi de la lutte suisse». Parmi les prétendants, Harald Cropt, un colosse de couleur qui ne passe pas inaperçu dans ce bastion des valeurs traditionnelles. Rencontre.

Les préjugés ont encore la peau dure. Celle d’Harald Cropt est brun caraïbe, ascendance haïtienne. Madeleine, sa mère, est arrivée en Suisse dans ses jeunes années, pour y étudier la médecine. Elle rencontra Philippe, vigneron vaudois solidement ancré dans son terroir, alors qu’elle travaillait durant l’été dans un hameau du Chablais vaudois. Ensemble, ils eurent un fils, prénommé Harald. Une histoire métissée comme il en existe des milliers. Presque banale.

Sauf qu’à l’âge de 14 ans, alors qu’il s’était essayé, sans succès, à pratiquement tous les sports à la portée des jeunes du coin, Harald découvrit la lutte suisse. La sciure, il y est tout de suite tombé dedans: «La lutte est un combat fraternel, sans rivalité. En dehors du ring, on est tous copains. Le vainqueur aide le perdant à se relever et lui essuie la sciure sur le dos. Les Suisses allemands disent d’ailleurs que ce n’est pas un sport, mais un jeu.»

Avec son gabarit impressionnant – 1,93 mètre pour 125 kg – Harald Cropt est vite devenu la terreur des fêtes de lutte de Suisse romande, région qui forme l’une des cinq associations du pays. En 2004, il participe pour la première fois, en tant que remplaçant, à la fête fédérale de lutte, compétition suprême organisée tous les trois ans, la seule à couronner un «roi» de Suisse.

Au service de la lutte

En 2007, à Aarau, il entre de plein pied dans la plus grande arène éphémère jamais construite en Suisse. Sportivement, le bilan est mitigé. Au terme des passes du samedi, Harald Cropt rate la qualification pour la deuxième journée de 0,25 points. Mais humainement, l’expérience est inoubliable. «C’était impressionnant, se souvient-il. Tu imagines les 48’000 spectateurs qui te regardent. L’ambiance est bon enfant, il n’y a jamais de bagarre, les spectateurs entrent au stade avec des bouteilles de vin et des couteaux pour le saucisson».

Le tableau ainsi brossé est idyllique. Pourtant, à Aarau et ailleurs, quelques sifflets et mots d’oiseau accompagnent les combats d’Harald le «lutteur noir», comme le surnomme une partie de la presse alémanique. Le jeune homme de 27 ans n’en fait pas tout un plat: «J’ai certes déjà entendu une ou deux réactions de vieux renfrognés, surtout à mes débuts, mais c’est anecdotique».

Harald Cropt, premier lutteur de couleur, est néanmoins conscient de détonner dans cet écrin de ‘suissitude’, refuge des valeurs traditionnelles et d’une certaine idée de la Suisse rurale et virile. «Je ne suis pas typé berger d’alpage. Si j’avais été footballeur, les journalistes ne s’intéresseraient pas autant à moi», reconnaît-il. Sa «particularité», il veut la mettre au service de son sport, afin de le «populariser, d’en donner une image un peu moins traditionnelle».

Pour le plaisir

Le pari n’est pas encore gagné. Interrogé par le magazine Via sur l’absence d’étrangers dans le monde de la lutte, le boucher bernois Christian Stucki, joli bébé de 198 cm pour 150 kg, et grand favori de la prochaine fête fédérale, répond: «Si, il y a Harald Cropt, un vigneron noir vaudois. Il suit la voie qu’il s’est choisie et il est bien accepté». Quant à savoir lequel des épithètes – vigneron, noir ou vaudois – définit le plus l’altérité, la question reste ouverte.

Le même Christian Stucki apporte sa propre définition de l’appartenance nationale, celle utilisée par les mouvements de la droite identitaire: «Je suis d’abord un Confédéré. Tout le monde peut acquérir la nationalité suisse, mais pas devenir un Confédéré».

Peu désireux d’enflammer le débat, Harald Cropt dit ne «pas prêter attention à tout ça». Et de poursuivre: «On a des racines, la Suisse est comme elle est. J’aime bien le cor des Alpes, mais c’est vrai que parfois, on en a un peu plein les bottes de la youtze. La tradition, ça ne doit pas s’arrêter à l’Emmental et au Gruyère. Mais je ne suis pas un militant, je n’ai rien à prouver. En 2007, on me disait déjà que j’allais me jeter dans la gueule du loup à Aarau, fief de l’UDC. Et tout s’est très bien passé. Je fais juste de la lutte pour mon plaisir».

Le Chablais pour patrie

Question enracinement, Harald Cropt, accent chantant, gentillesse incarnée, n’est pas le dernier venu. Dans les hauts du village d’Ollon, non loin d’Aigle, il présente avec fierté les deux hectares de la vigne familiale, accrochée à flanc de coteaux. Plus bas, dans la plaine chablaisienne, au bord du Rhône, seules les fumées de la raffinerie Tamoil de Collombey – la «raffinerie à Kadhafi», comme on l’appelle par ici – gâchent un peu l’image d’Epinal.

C’est dans cet environnement que le jeune homme a toujours vécu. D’Haïti, où il n’a pas encore eu l’occasion de se rendre, il garde quelques mots de créole et une cuisine «variée et épicée».

Détenteur d’un diplôme d’œnologue et de caviste de l’école d’agriculture de Changins, le jeune homme est intarissable lorsqu’il s’agit de parler du climat qui ne favorise pas les vendanges tardives, de ses nouveaux cépages – sauvignon blanc, pinot gris, syrah, gamaret, etc. – ou des premiers essais de vinification au domaine qui datent de 2007.

Des prix en nature

Au fil de la discussion, verre d’eau en main – «j’essaye de ne pas boire avant les compétitions, même si c’est parfois difficile quand on est vigneron» – on retombe toujours dans la sciure. Un sport dont il vante avec une égale passion les mérites. Dont l’un et non le moindre est de rester hermétique au dévoiement par l’argent.

«On gagne uniquement des prix en nature. Une chèvre, une cloche, des meubles ou des appareils électroménagers», énumère-t-il fièrement. Attablé dans le carnotzet avec deux amis à l’heure de l’apéro du vendredi, le père, Philippe, lui, se souvient avec malice de cette fête de lutte à Genève, où trois «demoiselles» légèrement vêtues et montées sur des talons peu adaptés au rond de sciure, étaient «offertes» aux vainqueurs.

Dimanche à Frauenfeld, à l’autre bout de la Suisse, Harald Cropt tentera de gagner le «muneli», jeune taureau symbole de puissance remis au vainqueur. Devenir le Barack Obama de la lutte suisse, un objectif réaliste? «Tout lutteur rêve un jour de décrocher le titre suprême. On n’y arrive cependant pas par hasard, ça nécessite beaucoup d’entraînement et de travail. Mais le résultat d’une passe tient souvent à pas grand-chose. Même les meilleurs peuvent rapidement se retrouver sur le dos s’ils ne sont pas concentrés à 100%.»

Attachez vos ceintures, accrochez fermement la culotte de votre vis-à-vis, les hostilités fraternelles peuvent commencer.

Samuel Jaberg, Ollon, swissinfo.ch

La Fête fédérale de lutte suisse et des jeux alpestres se déroule tous les trois ans. L’édition 2010 aura lieu du 20 au 22 août à Frauenfeld, dans le canton de Thurgovie.

Y participent les athlètes des cinq associations régionales qui se sont le mieux classés dans les tournois cantonaux et de montagne. Au total, 281 athlètes prennent part aux deux jours de compétition, dont 27 en provenance de Suisse francophone et six de l’étranger.

Le budget de l’édition 2010 atteint près de 20 millions de francs, ce qui en fait le plus grand événement sportif de Suisse. L’arène construite pour l’occasion peut accueillir 47’500. Les compétitions sont retransmises en direct à la télévision publique suisse.

Durant les trois jours de la manifestation, les 200’000 visiteurs attendus devraient selon les prévisions des organisateurs engloutir près de 200’000 litres de bières et 130’000 saucisses à rôtir.

En 2007 à Aarau, Jörg Abderhalden a été couronné roi de la Fête fédérale de lutte à la culotte pour la 3e fois, après 1998 et 2004. Né en 1979, il est menuisier de profession et vit dans le Toggenburg saint-gallois.

Considéré comme le sport national suisse, la lutte suisse ou lutte à la culotte est pratiqué depuis au moins le 17e siècle par les bergers d’alpage.

La lutte suisse se dispute lors de passes durant de 10 à 12 minutes.

Placés sur des zones circulaires couvertes de sciure, les lutteurs portent une large culotte en toile munie d’une ceinture à laquelle ils s’empoignent.

Le vainqueur est celui qui parvient à jeter son adversaire à terre, les omoplates plaquées au sol, sans lâcher la culotte de ce dernier.

En cas de passe nulle, un jury évalue les prestations des lutteurs selon un système de points allant de 8,5 à 10 pour déterminer les paires d’adversaires de la passe suivante.

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