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La justice bernoise acquitte douze Turcs accusés de négationnisme

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Ce procès avait été qualifié d'historique. Douze ressortissants turcs résidant en Suisse étaient accusés d'avoir nié publiquement le génocide arménien. Le juge unique d'un tribunal régional bernois vient de les blanchir de ces accusations. Les plaignants vont faire appel.

Les plaignants: deux membres de l’association Suisse-Arménie avaient porté plainte contre les auteurs d’une pétition qui demandait aux autorités fédérales de s’abstenir de toute reconnaissance politique du génocide arménien et pour qui ce serait «déformer profondément la vérité historique».

Les accusés: dix-sept membres d’associations turques (dont douze résidant en Suisse) se sont défendus de toute intention raciste ou discriminatoire, affirmant n’avoir voulu rien d’autre que se faire les porte-parole de leurs compatriotes immigrés en Suisse dans le cadre d’un débat démocratique.

La loi: l’article 261 bis du Code pénal suisse prévoit l’emprisonnement ou l’amende pour toute personne qui, publiquement, «niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité».

Sans précédent dans les annales judiciaires suisses

C’est la première fois qu’une instance judiciaire suisse avait à se prononcer sur la négation d’un génocide autre que celui commis contre le peuple juif, et la première fois aussi qu’un tribunal pénal était appelé à trancher dans une affaire touchant à l’extermination massive d’Arméniens par le pouvoir ottoman en 1915.

Le jugement était d’autant plus attendu en Suisse que la Chambre du peuple du Parlement fédéral, en mars dernier, avait d’extrême justesse repoussé un postulat demandant au gouvernement une reconnaissance officielle du génocide des Arméniens.

Lienhard Ochsner, président du tribunal de district de Berne-Laupen, a donc décidé l’acquittement. Son argumentation – en cela il suit l’analyse du procureur qui lui aussi demandait la relaxe – repose sur le fait que la démarche des prévenus ne visait pas à rabaisser une race ou une ethnie.

En intervenant sur la place publique, a-t-il constaté, ils n’ont cherché qu’à répondre à une autre pétition d’origine arménienne en faveur de la reconnaissance du génocide par la Suisse. Les inculpés turcs ont simplement voulu défendre l’opinion nationale dans laquelle ils ont été éduqués, ce qui – pour le juge – semble subjectivement compréhensible.

Une loi antiraciste insuffisante

Pouvait-il par ailleurs prononcer une condamnation pour négationnisme d’un événement que les Nations unies et le Parlement européen ont qualifié de génocide mais que le pouvoir politique suisse se refuse à reconnaître comme tel?

Lienhard Ochsner trouve à la fois surprenant et peu satisfaisant que la justice doive elle-même décider ce qui relève du génocide ou non. Conséquent avec lui-même, il réclame donc une révision du Code pénal et invite le législateur à mieux définir cette notion.

Une prise de conscience et un devoir de mémoire

Armand Gaspard, journaliste suisse d’origine arménienne, est bien évidemment déçu de la frilosité du juge bernois. «C’est un échec sur le plan judiciaire pour les Arméniens, nous confie-t-il, mais c’est un succès sur le plan médiatique.»

Il est vrai, reconnaît-il, qu’on n’a jamais parlé ni entendu parler du génocide arménien autant que cette année. «Il y a une prise de conscience de l’opinion publique suisse mais aussi le rappel d’un devoir de mémoire.»

On en reparlera dans les mois qui viennent puisque les plaignants ont d’ores et déjà annoncé qu’ils feraient appel de la décision du juge bernois. Il est d’ailleurs assez vraisemblable que l’affaire ira jusqu’au Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire suisse.

L’optimisme de notre confrère repose aussi sur un événement passé tout à fait inaperçu en Suisse alors même qu’il se déroulait à Genève. En juillet dernier, de hautes personnalités turques et arméniennes se sont réunies en privé à l’Institut Henry Dunant pour créer une commission turco-arménienne de réconciliation.

«Elle n’a pas encore abordé la question du génocide, commente Armand Gaspard. Il faut d’abord réconcilier les peuples et rétablir les relations diplomatiques entre Ankara et Erevan. Les problèmes plus délicats seront abordés plus tard.»

Bernard Weissbrodt

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