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La norme pénale antiraciste fête ses dix ans

Georg Kreis, président de la Commission fédérale contre le racisme. Keystone

Entrée en vigueur en janvier 1995, la loi interdisant toute forme de discrimination raciale n’a cessé d’être discutée depuis.

Georg Kreis, président de la Commission fédérale contre le racisme, tire le bilan de ces dix années avec swissinfo.

swissinfo : La norme pénale interdisant toute forme de discrimination raciale fête ses dix ans. Quel bilan tirez-vous?

Georg Kreis: J’ai le sentiment que, durant ce laps de temps, la problématique raciale a pris de l’importance, mais aussi que le problème est désormais considéré plus sérieusement. En dix ans, nous avons pu concrétiser cet article de loi dans notre société. Cela ne fait pas le bonheur de tout le monde, mais tout bien considéré, je crois que notre travail, de même que les décisions des tribunaux, sont largement reconnus.

swissinfo: N’y a-t-il pas une zone grise de délits raciaux qui échappent à la loi parce qu’ils ne sont pas dénoncés?

G.K.: On peut le supposer, effectivement. Bien qu’il s’agisse d’un délit poursuivi d’office, s’il n’y a pas de trace, il n’y a pas non plus d’enquête.

swissinfo: Qui la norme pénale doit-elle protéger?

G.K.: La norme vise avant tout les minorités, quelles qu’elles soient, qui sont les premières à souffrir de discriminations. Dans certaines constellations, par exemple des classes d’écoles, même les enfants appartenant à la majorité nationale peuvent se retrouver minorisés.

Selon certains verdicts de tribunaux, la diffamation raciste envers des Suisses peut aussi être considérée comme un délit au sens de l’article 261bis du Code pénal.

swissinfo: La norme condamne le racisme exprimé en public, mais non le racisme quotidien qui se joue en privé. Est-ce que cela suffit pour lutter contre le racisme déclaré ou latent en Suisse, ou même l’éliminer?

G.K.: Je veux d’abord réagir au mot «éliminer»: même s’il y a des «méchants», les fantasmes de destruction sont dangereux et poursuivent par ailleurs des objectifs parfaitement illusoires.

Effectivement, seul le racisme public et systématique tombe sous le coup de la loi. L’argument sous-jacent est qu’outre les minorités exposées, la paix publique – en partie à nouveau au nom de la protection des minorités – est une valeur à protéger.

swissinfo: Que peut-on faire contre le racisme quotidien s’exerçant loin des yeux et des oreilles du public?

G.K.: Ceux qui le perçoivent et ne se trouvent pas eux-mêmes en danger doivent tenter d’expliquer ce qui se passe et agir contre ce racisme.

swissinfo: Le professeur de droit pénal fribourgeois Marcel Niggli a qualifié la jurisprudence rendue jusqu’ici d’«équilibrée et très retenue», affirmant que la loi a tenu ses promesses. Est-ce aussi votre avis?

G.K.: Oui, je partage cet avis, qui n’est d’ailleurs pas seulement une appréciation adéquate de la situation, mais aussi une prise de position claire contre l’idée que «peu, c’est déjà trop», un trop qu’il faudrait supprimer.

swissinfo: Dans un verdict du 17 mai 2004, le Tribunal fédéral a précisé la définition des expressions ‘sphère privée’ et ’espace public’. L’Union démocratique du centre (UDC) a immédiatement dénoncé un «verdict-muselière». Que répondez-vous?

G.K.: Cela va précisément dans la direction que j’ai évoquée tout à l’heure et dénote une incompréhension teintée de méchanceté. La définition du Tribunal fédéral permet d’éviter qu’on déguise en fête de famille une rencontre à caractère fondamentalement public, avec un grand nombre de personnes qui ne se connaissent pas.

Il faut procéder à une mise en balance. Avec d’un côté l’agitation d’extrême-droite, à limiter de façon concrète, pratique et définie, et, de l’autre, le souci très théorique du respect de la liberté de rassemblement et de la sphère privée. Celui qui prétend ici devoir défendre le droit d’organiser un barbecue en privé montre bien qu’il n’attache aucune importance au premier élément.

swissinfo: La CFR est régulièrement critiquée par la droite, surtout par l’UDC. Comment réagissez-vous à ces reproches?

G.K.: Je demande toujours à ce que l’on discute de cas concrets. Si cela se révèle impossible, je demande publiquement s’il ne s’agit pas là de racistes latents qui se sentent empêchés de s’exprimer librement et désirent en fait avoir le champ libre pour leurs idées.

swissinfo: Que pensez-vous de la décision de certains assureurs d’exiger des primes de responsabilité civile plus élevées de la part des conducteurs originaires des Balkans?

G.K.: Nous menons actuellement une expertise juridique sur cette question. Il se peut que ce type de discrimination soit juridiquement acceptable, mais cela ne veut pas encore dire que, en raison de sa charge sociale symbolique forte, cette catégorisation n’est pas hautement problématique…

Interview swissinfo: Jean-Michel Berthoud.
(Traduction Ariane Gigon Bormann)

La Commission fédérale contre le racisme indique que, de 1995 à fin 2002, 277 jugements tombant sous le coup de l’article 261bis du Code pénal ont été prononcés, qui ont donné lieu à 93 condamnations.

– L’article 261bis du Code pénal a été accepté en votation le 25 septembre 1994 par 54,7% des votants.

– Entré en vigueur le 1er janvier 1995, il interdit la discrimination et l’atteinte à la dignité d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse.

– Il interdit également de leur refuser un bien ou un service public. L’article rend notamment punissable le négationnisme.

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