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La passion de Madame l’arbitre

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Seule femme arbitre du pays active à haut niveau, la Jurassienne Nicole Petignat va suivre la compétition du moins de juin avec acuité. Elle évoque sa passion du ballon rond avec swissinfo.

C’est l’histoire de deux jumelles jurassiennes, Nicole et Dominique, amoureuses du football et qui décident de suivre la filière de l’arbitrage pour pouvoir vivre leur passion sur le terrain plutôt que du haut des tribunes. En 1981, il n’existait en effet encore aucune équipe féminine de football dans le petit village jurassien d’Alle.

Aujourd’hui, Dominique ne foule plus les pelouses. Nicole, par contre, a conservé intacte son amour du ballon. A force de persévérance, elle a même réussi à gagner la confiance des joueurs et des entraîneurs de la meilleure ligue du pays, comme celles de beaucoup d’équipes féminines qu’elle dirige dans différentes compétitions internationales.

En ce lundi, le soleil brille sur Delémont. Nicole Petignat a délaissé quelques instants son cabinet de massages sportifs pour parler football et Euro08. Interview.

swissinfo: Nicole Petignat, après toutes ces années qu’est-ce qui vous fait encore mettre votre uniforme d’arbitre et traverser le pays pour diriger des matches de l’élite du football suisse?

Nicole Petignat: Franchement, je ne pensais jamais que l’arbitrage m’emmènerait aussi loin et que je prendrais autant de plaisir à diriger des matches. Et si je remets régulièrement en question cette activité, je ne peux me résoudre à l’arrêter.

Ce que j’aime en particulier, c’est tout ce que les spectateurs et les téléspectateurs ne peuvent pas voir ou ressentir. Il y a des énergies et des émotions particulières qui se dégagent d’un match de football, comme pour un concert ou une pièce de théâtre. Les acteurs jouent un scénario qui s’écrit minute par minute et qui leur appartient. Personne n’a une meilleure place pour voir cela que l’arbitre. Ce dernier entend aussi ce que se disent les joueurs d’une même équipe ou les paroles échangées entre adversaires.

Il m’arrive de converser avec les joueurs; pour les avertir et parfois même leur dire que ma décision n’était pas la bonne, et que j’ai remarqué mon erreur. C’est très intéressant de voir que dans chaque équipe, on retrouve un peu les mêmes caractères: un leader, un provocateur et un râleur. Parfois, je me demande aussi pourquoi un entraîneur n’effectue pas tel ou tel changement qui s’impose pourtant.

swissinfo: Etes-vous toujours dans le même état d’esprit lorsque vous êtes sur le terrain?

N.P.: Non. J’aime quand le jeu est fluide. Si la partie est heurtée et qu’il est impossible d’anticiper les trajectoires du ballon, tout devient plus compliqué. Il faut dès lors être extrêmement concentré. Une petite seconde d’inattention et le match peut complètement basculer. Mais j’aime les jours de match car je ressens de «petits papillons» dans le ventre dès le début de la journée; un stress qui monte… mais un bon stress.

swissinfo: Quel est l’impact de votre féminité sur votre fonction d’arbitre?

N.P.: Dès le début, je me suis fait un point d’honneur à être considérée comme un arbitre et pas comme une femme arbitre. Sur le terrain, j’ai toujours mis une grande distance avec les joueurs. Je veux qu’il y ait une différence entre Madame Petignat sur le terrain et Nicole au civil. Il est totalement exclu que je joue sur le registre de la féminité pour faire passer une décision, avec un sourire par exemple. En tant que femme, je ne peux pas laisser penser que j’envoie un double message.

swissinfo: Lorsque vous prenez du recul, quel regard portez-vous sur ce milieu du football?

N.P.: Le football est et devrait rester un jeu. Mais cela est impossible en raison des intérêts financiers qui donnent aux résultats des rencontres une importance démesurée. En tant qu’arbitre, nous devons occulter cet aspect pour ne pas se laisser perturber.

swissinfo: Et sur le football féminin en particulier?

N.P.: Je pense qu’il a beaucoup progressé et qu’il va encore devenir meilleur. Il n’y a qu’à voir la différence entre la finale de Coupe du monde de 1999 et celle du dernier mondial en Chine en 2007.

La technique des joueuses est remarquable, mais elles manquent de force et de rapidité. Les contacts sont de plus en plus rugueux, cela se remarque au nombre de cartons distribués lors des rencontres. Le jeu va aussi plus vite. En Suisse, le niveau progresse, mais ce sport manque encore cruellement de reconnaissance.

swissinfo: Jusqu’ici, quel est le meilleur souvenir de votre carrière d’arbitre?

N.P.: Chaque match est une nouvelle expérience. Mais il est vrai que diriger une finale de la Coupe du monde féminine devant 80’000 spectateurs ou une rencontre masculine de Coupe UEFA sont des instants très spéciaux. Aussi en raison de la dimension médiatique de l’événement.

Grâce à l’arbitrage, j’ai pu découvrir bien des pays, des gens ou des cultures. La dimension d’un Mondial, un Euro ou de Jeux olympiques dépasse la simple compétition.

swissinfo: Qu’avez-vous prévu du 7 au 29 juin prochain?

N.P.: J’aime profondément le football et je serai à fond dans cet événement. Professionnellement, l’UEFA m’a demandé de seconder le régisseur des stades de Berne et de Genève pour la diffusion des ralentis et je vais aussi jouer les guides pour certains invités de mon sponsor.

Le reste du temps, je vais soutenir l’équipe de Suisse. Je pense que cette dernière peut aller très loin si elle se montre mentalement forte. En fait, tout risque de se jouer pour elle lors du match d’ouverture. Un résultat positif contre la Tchéquie et tout devient possible.

swissinfo, Mathias Froidevaux à Delémont

Née le 27 octobre 1966. Une sœur jumelle et une sœur cadette.

Profession: gère un cabinet de massage sportif à Delémont et à Watt dans le canton de Zurich

Carrière: arbitre de la finale de la Coupe du monde féminine de 1999 devant 80’000 spectateurs (Etats-Unis- Chine à Pasadena en Californie)

Première femme d’Europe à arbitrer en première division dans son pays (premier match Neuchâtel Xamax- Bâle en LNA au mois de mai 1999).

En 2000, Nicole Petignat dirige plusieurs partie du tournoi olympique féminin à Sydney.

En 2001, elle a arbitré son premier match de première division autrichienne (Sturm Graz – Ried)

En 2003, elle devient la première femme à arbitrer un match masculin organisé sous l’égide de l’UEFA Entre AIK Stockholm et Fylkir.

Nicole Petignat a sorti une biographie en 2006, «La fille qui siffle les garçons», aux éditions Favre/Le Matin.

2007, Nicole Petignat arbitre plusieurs matches du Mondial féminin en Chine.

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