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L’ONU a-t-elle perdu le débat sur les réfugiés en Europe?

Refugees crossing the Mediterranean
L’OIM estime qu’environ 500 migrants sont morts en Méditerranée depuis le début de l’année. Keystone / Santi Palacios

Alors que les gouvernements populistes en Europe estiment avoir résolu la «crise migratoire» par leur sévérité, des milliers de personnes sans espoir tentent toujours de fuir à travers la Méditerranée. Basé à Genève, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés peut-il se contenter de rendre compte de ces tragédies? Le regard d’une correspondante de la BBC à Genève.    

Une fois de plus, nous, journalistes, sommes assis dans la salle III du Palais des Nations et, une fois de plus, on nous remet un communiqué sur une énième tragédie en Méditerranée qu’aucun gouvernement ne semble vouloir prendre en compte.

«Environ 65 personnes se seraient noyées après le naufrage de leur embarcation à environ 45 milles nautiques des côtes tunisiennes tôt ce matin, au cours de l’une des pires tragédies survenues en Méditerranée depuis plusieurs mois», peut-on lire dans le communiquéLien externe de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR).

Il est probable que personne ne connaîtra jamais l’identité des personnes décédées début mai. Leurs familles, au Nigeria, en Gambie, en Syrie ou en Irak, n’obtiendront peut-être jamais confirmation de leur sort, mais elles attendront, au fil des ans, des nouvelles du fils, de la fille, de la mère ou du mari qu’elles ont envoyé en Europe avec autant d’espoir que de crainte.

Contenu externe

Depuis la «crise des migrants» qui a culminé en 2015, l’UE a conclu un accord avec la Turquie pour qu’elle maintienne sur son territoire les centaines de milliers de réfugiés, principalement syriens.

Bruxelles soutient également les garde-côtes libyens pour qu’ils retiennent les flux de migrants loin des rives de l’Europe. Et ce, alors que fin 2014, l’Italie a décidé de mettre fin à l’opération de sauvetage Mare Nostrum après que d’autres États membres de l’UE aient refusé de lui apporter un soutien financier.

+Qui sauvera les migrants du cimetière de la Méditerranée? (2014)

Des organismes comme l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR, situation eu EuropeLien externe), l’Organisation internationale pour les migrations (l’OIM et les migrations vers l’EuropeLien externe) ou le CICR (Migrants, réfugiés, demandeurs d’asileLien externe) avaient bien averti que les personnes désespérées et menacées dans leur vie continueraient de fuir et de risquer leur vie pour traverser la Méditerranée. Mais quatre ans et demi et des milliers de morts plus tard, les agences d’aide n’ont toujours pas réussi à convaincre les gouvernements.

Qu’est-ce que ça signifie au juste? Y a-t-il moins de guerres? Non. Y a-t-il moins de réfugiés et de personnes déplacées? Les minorités politiques, religieuses ou ethniques sont-elles moins persécutées ? Non.

Cynisme

La principale raison pour laquelle l’immigration est reléguée au second plan de l’agenda politique est que l’Europe a effectivement fermé ses portes. Loin des yeux, loin du cœur. C’est peut-être une tactique politique cynique, mais elle a fait ses preuves.

Plutôt que de rassurer les électeurs sur le fait que l’Europe, tout en souhaitant contrôler l’immigration, est toujours prête à aider ceux qui fuient la guerre et les persécutions (conformément à leurs obligations internationales en fait), de nombreux politiciens européens semblent prêts à fermer la porte encore plus étroitement. Il semble que l’on gagne facilement des voix en jouant sur les craintes d’une immigration accrue, plutôt qu’en faisant appel à l’humanité et à la solidarité des électeurs de certaines des nations les plus riches et les plus pacifiques de la planète.

C’est ainsi que Viktor Orban est salué par d’autres formations populistes en Europe pour sa position ferme à l’égard des demandeurs d’asile en Hongrie. Une prise de position qui consiste notamment à les priver de nourritureLien externe.

Contenu externe

Sorti renforcé des élections européennes, l’Italien Matteo Salvini estime que sa stratégie consistant à repousser les bateaux de migrants vers l’Afrique du Nord, et même à infliger des amendes aux bateaux des organisations non gouvernementales qui tentent de sauver les migrants en détresse, renforcera sa position lors de ces élections.

Politiques préjudiciables

Pourtant, des experts mandatés par le Conseil des droits de l’homme ont récemment soulignéLien externe que la politique de l’Italie est trompeuse et qu’elle viole une série de normes internationales. «Déclarer que les ports libyens étaient ‘en mesure de fournir aux migrants une assistance logistique et médicale adéquate’ est particulièrement alarmant», ont souligné les experts, relevant que les garde-côtes libyens avaient commis de nombreuses violations des droits humains, notamment en collusion avec les réseaux de trafiquants et en coulant délibérément des bateaux.

Le résultat probable d’une telle politique, concluaient les experts, est qu’elle portera gravement atteinte aux droits fondamentaux des migrants, y compris des demandeurs d’asile, ainsi que des victimes de la torture, de la traite des êtres humains et d’autres violations graves des droits humains.

On constate un soutien croissant, dans toute l’Europe, en faveur de politiques à long terme sur le changement climatique, par exemple, ou en faveur d’une meilleure prise en charge de la population croissante de personnes âgées.

Mais un soutien vraiment fiable pour les réfugiés et les migrants semble encore loin d’être assuré. Le désespoir poussera encore les gens à tenter de s’évader, et en ce moment, toute personne partant pour traverser la Méditerranée a une chance sur trois de mourir.

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Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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