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Crise financière: le blues des employés de banque

Reuters

Depuis un an et demi, à Fribourg comme ailleurs en Suisse, des collaborateurs d'UBS et de Credit Suisse affrontent clients mécontents, mauvaises nouvelles, critiques, licenciements. Le volume des consultations pour burn out venant du milieu bancaire prend l'ascenseur. Témoignages.

«Le pic de stress, c’était vers la fin de l’année passée. Octobre, novembre… l’ambiance était terriblement tendue.» Actif dans la gestion de fortune au Credit Suisse, Alexandre* raconte: les hauts, et surtout les bas, qu’il a partagés avec ses collègues genevois depuis que la crise a touché «sa» banque.

Après la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre, des centaines de clients de Credit Suisse perdent une partie de leur pécule. «Chez nous, ça a miné les gens pendant des semaines. On sentait la peur de rencontrer le client. Parce qu’ils ne comprenaient pas, qu’ils étaient en colère. L’un d’entre eux s’est même pointé dans la banque avec un flingue… Il y a une certaine forme d’injustice dans cette crise, dans le fait que certains ont perdu une partie de leurs économies. Mais honnêtement, on n’y peut rien.»

La situation s’est détendue le 23 avril, lorsque le Credit Suisse a annoncé qu’il renouait avec les bénéfices (2 milliards de francs au 1er trimestre). Pourtant, ses employés sont toujours sous pression. «A cause de ces histoires de secret bancaire. Depuis qu’UBS a transmis les données de certains clients aux Etats-Unis, (ndlr: le 18 février), ça n’arrête pas», explique Alexandre.

«Clients paranos»

«Les clients sont inquiets, certains carrément paranos. Surtout les Français, qui craignent d’être épiés par le fisc. Ils nous appellent depuis des cabines, desquelles ils n’osent pas parler trop longtemps. Ils ont aussi peur d’être vus quand ils entrent dans la banque. On passe beaucoup de temps à les informer, les rassurer. Mais ça ne suffit pas toujours, et les fermetures de comptes se multiplient. Avec tout ça, le nombre de nos rendez-vous quotidiens a explosé.»

Honnête, Hubert Joye ne cherche pas à minimiser le stress auquel sont soumis ses collaborateurs et lui-même depuis plusieurs mois. Directeur de Credit Suisse pour la région Fribourg (une centaine de personnes), il doit encadrer, expliquer, réconforter ses troupes.

«Du point de vue émotionnel, c’est difficile depuis l’été 2007. Et ça l’a particulièrement été l’année passée. C’est pour ça que les responsables, à tous les échelons, doivent plus que jamais épauler leurs collègues.»

Retrousser ses manches

Dans le sillage de l’affaire Lehman Brothers et du repli des marchés, Hubert Joye a accompagné leurs entretiens, les a conseillés. «Certains clients se sont montrés agressifs. Une attitude à laquelle les banquiers ne sont pas toujours préparés.» Le cadre a même dû «intervenir une fois», parce qu’il «craignait pour l’intégrité physique de l’un de ses collaborateurs».

Pendant les mois lourds d’incertitudes, lorsque Credit Suisse s’enfonçait dans les chiffres rouges (8,2 milliards de pertes en 2008), Hubert Joye et ses collègues se raccrochent aux bons résultats des marchés suisse et fribourgeois.

«On a retroussé nos manches, et on a continué à fournir un travail de qualité pendant la crise. Même si la fortune de nos clients a bien sûr diminué, à cause de l’environnement chaotique.» Et puis la lumière a pointé au bout du tunnel le 23 avril. «Heureusement. Il ne faudrait pas que cette situation de crise s’éternise. Parce que c’est usant.»

Ras-le-bol profond

L’embellie se fait en revanche désirer du côté d’UBS. En avril, la banque annonçait une fois encore résultats déficitaires et suppressions d’emplois. «Depuis 18 mois, nous sommes dans une situation difficile», observe Bernard Stoessel, directeur de la zone Fribourg (180 employés).

«Nous devons rester à la disposition de nos clients pour discuter avec eux, répondre à leurs questions, faire face à leurs critiques.» Le directeur n’en dira guère plus.

Emil* est plus loquace. Ex-cadre d’UBS, il a quitté la grande banque il y a quelques mois – comme beaucoup d’autres – après y avoir passé plus de 20 ans. Pourtant, ce ne sont ni les pertes, ni les licenciements, qui l’ont poussé dans les bras de la concurrence. Non, le ras-le-bol du banquier est plus profond. Il s’est installé progressivement, au cours des trois ou quatre dernières années.

«Petit à petit, nos compétences ont été transférées à des machines. C’est elles qui calculaient si l’on pouvait accorder un prêt hypothécaire ou non», regrette Emil.

«Le cancer du système»

«En parallèle, tout a été standardisé, pour pouvoir mesurer puis comparer la performance de chaque collaborateur. Cette obsession de la mesure, c’est le cancer du système. Parce que les employés ne sont plus jugés qu’à l’aune de leurs résultats de vente. Ce qui génère des tensions terribles, et exacerbe la concurrence. La culture est devenue celle du profit avant tout. Et… on cherchait plus la rentabilité de la banque que celle des affaires du client.» Au point qu’Emil ne se reconnaît plus dans la maison UBS au sein de laquelle il a fait carrière.

«Les produits et les processus ont aussi été standardisés. Je ne pouvais plus vendre ce que je voulais, quand je voulais. Je n’avais plus de marge de manœuvre pour conseiller mes clients. Ce modèle, ça pousse tout le monde à aller dans le même sens. Ça ne laisse pas de place à la remise en question. La banque s’est coupée de sa base. Alors ce n’est pas étonnant qu’elle soit allée dans le mur.»

* Prénoms d’emprunt

Linda Bourget, La Liberté/swissinfo.ch

Depuis le début de l’année, le volume des demandes provenant du milieu bancaire a pris l’ascenseur, au niveau de la prévention au sein des établissements comme des traitements d’employés.

Cette situation touche des banquiers à bout de souffle, qui n’arrivent plus à gérer la masse de travail et le stress auxquels ils doivent faire face.

«La crise ne peut être, en soi, la cause d’un burn out», nuance Catherine Vasey, psychologue et spécialiste de la question. Mais elle peut être la «goutte d’eau qui fait déborder le vase».

Dans son cabinet, elle reçoit surtout des cadres. «Ils ont souvent moins de liberté de mouvement que leurs subordonnés. Ils doivent montrer l’exemple, suivre à la lettre les directives de l’employeur, ce qui n’est pas évident quand elles sont en contradiction avec leurs propres valeurs.»

S’y ajoute le fait que le milieu est trop concurrentiel pour que ces personnes s’accordent une pause. «Si elles quittent leur poste un moment, même pour raisons de santé, elles ne le retrouvent pas à leur retour.»

En ce moment, les acteurs du monde bancaire doivent aussi composer avec la dégradation de leur image. «C’est un milieu particulier, au sein duquel les gens sont comme fiers d’appartenir à une certaine classe. Mais avec ce qui s’est passé, beaucoup de gens ne sont plus tellement fiers de travailler pour tel ou tel établissement.»

Le burn out n’apparaît pas du jour ou lendemain. Il est la conséquence d’un épuisement long et permanent, qui mine les personnes avec certaines prédispositions (les perfectionnistes, ceux qui ne savent pas poser des limites, etc.).

«Si la crise se prolonge, les cas vont se multiplier», estime donc Catherine Vasey. «Sans compter toutes les personnes qui vont craquer à la reprise.» Beaucoup tiennent en effet le coup sous la pression, et s’écroulent quand celle-ci retombe.

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