
Botero à Locarno: «Je suis l’anti-Giacometti !»

Quatorze ans après Lugano, le Colombien Fernando Botero est de retour au Tessin, cette fois sur les rives du Lac Majeur, à Locarno, avec une soixantaine de tableaux peints durant ces 15 dernières années et quelques sculptures monumentales.
Considéré comme le plus grand artiste colombien vivant et l’un des plus importants de notre époque, Fernando Botero est la simplicité faite homme. Encore juvénile et plein d’allant à tout juste un mois de ses 79 ans, il dégage un charisme qui n’a d’égal que sa modestie et sa simplicité.
«C’est la première fois que je reviens au Tessin depuis mon exposition à Lugano en 1997 et je suis enchanté de l’accueil que me réserve Locarno par cette merveilleuse journée de printemps» nous dit Fernando Botero. «Mon ami Rudy Chiappini qui avait déjà organisé l’exposition luganaise m’a convaincu à répéter l’expérience ici et nous avons collaboré étroitement pour la mettre sur pied».
Fernando Botero et son épouse ont fait le déplacement depuis Monte Carlo où ils vivent une partie de l’année. Pui, départ sur Pietrasanta, en Toscane, près des carrières de marbre de Carrare, où l’artiste a ouvert un atelier en 1983 et où il réalise ses sculptures géantes: «Nous y restons deux mois chaque été, le temps pour moi de contrôler la préparation de la matière première et de payer les artisans locaux», plaisante Botero. A Pietrasanta, le peintre affirme être tout à la fois «une célébrité et un habitant du village comme tous les autres».
Monumental
A Locarno, le Colombien a été précédé par une de ses dernières sculptures, L’enlèvement d’Europe dont la version originale a été réalisée en 2010. «Il s’agit de la troisième copie qui a été transportée ici directement de la fonderie de Pietrasanta par hélicoptère» explique l’artiste. La sculpture a été placée dans l’enceinte de la pinacothèque communale de Casa Rusca, dans la vieille ville.
Intitulée tout simplement Botero, l’exposition restera en place jusqu’au 10 juillet. Elle rassemble plus de soixante tableaux peints ces 15 dernières années: «Dans mon atelier de Paris surtout mais aussi en Colombie», précise Fernando Botero.
Installées dans onze petites salles, sur deux étages, les toiles illustrent tout l’univers du Colombien de Medellin: les scènes, hautes en couleurs, de la vie quotidienne de son pays, les corridas dont il est un «fervent partisan» dit-il sans broncher, les jeux de cirque, les natures mortes, les figures de religieux, la réinterprétation des grands chefs-d’œuvre du passé – comme Goya et Velasquez notamment – ou encore les nus qui, malgré leur dimension, ne parviennent pas à être vulgaires…
Mondes parallèles
Mais pourquoi, au fait, ne peindre que des personnages décidément obèses? «Pour moi, répond Fernando Botero, le plaisir vient de l’exaltation de la vie qui exprime la sensualité des formes. Et j’exagère les formes pour sublimer la sensualité. Le plaisir s’exalte aussi dans les couleurs, et les dimensions de mes modèles me permettent de les étaler abondamment.»
Ce goût immodéré pour tout ce qui est volumineux, Fernando Botero ne l’affiche pas pour autant dans son existence quotidienne: les femmes de sa vie, dont sa troisième épouse, une Grecque longiligne aux grands yeux noirs, ont toutes été extrêmement minces, voire maigres. Le peintre a une explication à ce manque apparent de logique: «Le monde de l’art est parallèle au monde réel, on ne peut pas les comparer et ce qui me plaît dans l’art n’est pas de mon goût dans la vie de tous les jours… Ce qui est beau dans l’art peut être très laid dans la réalité».
L’artiste colombien est catégorique: «Aussi longtemps que je peindrai, soit jusqu’à ma mort, je ne dessinerai jamais de personnes maigres», affirme-t-il, avant d’ajouter: «Je suis l’anti-Giacometti par excellence !»
Fernando Botero ne cache pas avoir été influencé par «l’école florentine», la première à avoir su «réinventer les volumes». Le Colombien est allé plus loin que ses illustres prédécesseurs toscans, il a dilaté les formes, toutes les formes: celles des hommes, des objets et des paysages qui ont ainsi acquis des grandeurs insolites, apparemment irréelles.
Sans émotions, sauf…
Cela dit, les personnages de Botero sont dépourvus de tout état d’âme, ils ne reflètent ni joie, ni douleur, aucune espèce d’émotion. Que ce soit les joueurs de cartes, les jongleurs de cirque, les évêques, les matadors, les femmes nues ou les danseurs, ils sont tous lisses et neutres, privés de morale et de psychologie.
Exceptions à cette règle: la série de tableaux illustrant les violences en Colombie mais aussi et surtout, le cycle des œuvres réalisées dès 2004 sur les tortures commises dans la prison américaine d’Abou Ghraib en Irak: «ces toiles sont d’une telle violence crue qu’elles ont sciemment été écartées de l’exposition» nous dit Sabina Bardelle-von Boletzky, attachée de presse des services culturels de la ville de Locarno.
Prestigieux ambassadeur de Colombie à l’étranger, Fernando Botero bourlingue depuis son plus jeune âge. Tout en vivant principalement à Paris, il partage le reste de son temps entre la Toscane, Monte Carlo et New York et séjourne régulièrement en Colombie, à Medellin sa ville natale et à Bogotá où il a son propre musée: «Ma vie en Europe et aux Etats-Unis n’a rien changé dans ma disposition, ma nature et mon esprit latino-américain. Le rapport avec mon pays est total» dit-il encore.
Botero, jusqu’au 10 juillet 2011 à la pinacothèque communale de Casa Rusca, Piazza San Antonio, à Locarno.
Ouvert du mardi au dimanche de 10 à 12h et de 14 à 17h. Fermé le lundi à l’exception des lundis de Pâques (25 avril) et de Pentecôte (13 juin).
Après le Tessin, l’expo prendra la route de Vienne.
Né le 19 avril 1932 à Medellin (Colombie) dans une famille catholique et bourgeoise, il a quatre ans lorsque son père meurt. Après sa scolarité obligatoire, il étudie chez les Jésuites. A 12 ans, son oncle l’inscrit dans une école de tauromachie.
A 16 ans, il participe pour la première fois à une exposition collective et entreprend une collaboration avec le quodidien El Colombiano où il dessine pour le supplément dominical..
Au terme de ses études, Fernando Botero s’établit à Bogotá. En 1952, il décroche le second prix au Salon des artistes colombiens. L’argent gagné lui permet de partir en Europe, à Madrid d’abord où il découvre les grands maîtres espagnols puis à Paris. Suivront des séjours en Italie. Exposition des œuvres réalisées en Italie à la Bibliothèque nationale de Florence.
Rentré à Bogotá en 1955. Mariage, puis divorce en 1962. Le peintre s’installe ensuite à New York où il connaît ses premiers grands succès. Second mariage en 1964. L’artiste vit ensuite entre New York, la Colombie et l’Europe. Une grande exposition itinérante le fait connaître en Allemagne. Son troisième fils Pedro naît à New York en 1970 et sera tué trois ans plus tard dans un accident de voiture en Espagne. Cette tragédie sera présente dans nombre de ses œuvres. Il divorce une seconde fois en 1975.
Troisième mariage l’année suivante avec l’artiste grecque Sophia Vari. Les expositions et les distinctions se suivent dans le monde entier. Commence à sculpter dès la moitié des années 70. En 1983 Fernando Botero ouvre son atelier de sculpture à Pietrasanta en Toscane.
En 2000, le peintre fait don de sa collection privée d’œuvres des 19e et 20e siècles aux villes de Medellin et Bogotá. Durant ces trois dernières années, des expositions consacrées à Fernando Botero ont été mises sur pied en Espagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Corée, aux Etats-Unis, en Turquie et en Hongrie.

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