
Quand la forêt fait le poète et sa guitare

Voix d’homme, homme du bois, le Québécois Richard Desjardins tourne actuellement en Europe et en Suisse. Auteur-compositeur-interprète parmi les plus importants aujourd’hui en francophonie, il évoque la forêt pour swissinfo.ch. Une forêt dont c’est l’année internationale. So what?
Il a le rire qui en dit long sur le plaisir de vivre. Et le parler qui emporte tout avec lui. En pleine tournée, seul à la guitare, l’artiste va sortir un nouvel album en avril. Un album «avec des chansons assez connes mais drolatiques et des choses un peu plus songées».
63 ans ou presque, Richard Desjardins est aussi un homme engagé. En faveur des peuples autochtones et pour l’environnement. La forêt surtout.
swissinfo.ch: Dans vos luttes, il y a celle contre l’exploitation de la forêt boréale. D’où vous vient ce souci?
Richard Desjardins: C’est probablement parce que je suis né dans la forêt boréale, une petite ville au Nord du Saint-Laurent. Mon père était forestier, mon grand-père l’était, mes oncles l’étaient. Je ne connais pas grand-chose en foresterie, mais c’est arrivé par osmose.
Sont venues les années 70, où a eu lieu une révolution dans la forêt, dans le sens que ça s’est beaucoup mécanisé. Auparavant, on n’allait sur les parterres forestiers que l’hiver, sur la neige, la régénération se faisait donc facilement, avec toute la biodiversité requise. La mécanisation est venu tout bouleverser.
La forêt est énorme, là-bas au Québec. Encore aujourd’hui, les plus gros massifs intacts de la planète sont là-bas. Mais la vitesse avec laquelle ils opéraient a fait réagir mon milieu, mon père, mes oncles: on coupait beaucoup plus vite que ce que la nature nous remet chaque année. Mais c’était pas évident à démontrer.
Avec Bob Monderie, on s’est décidé à faire un documentaire sur le sujet, ça a donné L’erreur boréale, qui a provoqué une onde de choc assez monumentale au Québec. Le lien entre la forêt est le gens est très fort au Québec.
A la longue, un lien incestueux s’est établi entre les ministères qui s’occupent des ressources naturelles et les compagnies forestières et minières. Tellement qu’on ne sait plus qui parle. Ils ont nié le contenu du film. C’est classique, ils ont tiré sur le messager. Leurs réponses suite au documentaire étaient d’une pauvreté désolante, on s’est donc formés en association. L’Action boréale, avec quelques milliers de membres. Et on a fait des pressions politiques, de façon médiatique aussi.
Vers 2003-2004, le gouvernement s’est senti obligé d’instituer une commission d’étude, qui a pris un an pour étudier le problème. Ça a donné le Rapport Coulombe, du nom du président de la commission. A notre stupéfaction, à nous aussi, il nous a largement donné raison sur la mauvaise gestion forestière.
L’année prochaine ou dans deux ans, il va y avoir un nouveau régime forestier, par lequel les compagnies n’auront pas accès à la totalité de la ressource forestière. Ça ne règlera pas tous les problèmes. Mais il y aura une possibilité que le bois soit accordé à ceux qui en font quelque chose de plus valable. Actuellement, la quasi totalité de la production forestière part en pâte à papier et en bois de construction vendu aux Etats-Unis.
swissinfo.ch: Quel est votre regard sur l’état de la forêt de manière plus générale sur la planète?
R.D.: Je ne suis pas un spécialiste. Mais j’ai vu les chiffres. Une chose est certaine: l’âge moyen de la forêt diminue chaque année. Parce qu’on s’attaque beaucoup aux gros spécimen, en Afrique entre autres. Beaucoup de piratage, la désertification qui s’accentue, je vois comme tout le monde les chiffres, je vois la forêt amazonienne transformée pour faire de la viande à hamburger…(rires).
swissinfo.ch: 2011 est l’Année internationale de la forêt, ça apporte quelque chose, selon vous?
R.D.: Non, pas du tout. Je n’ai jamais d’émotion particulière quand ils déclarent une année de ci, une année de ça, parce qu’il n’y a jamais de moyens octroyés derrière les volontés de faire quelque chose.
swissinfo.ch: En tant que poète et qu’auteur, qu’évoque la forêt, pour vous?
R.D.: Je suis né après la guerre, au Québec. Un peu partout en Amérique du Nord, cette génération de parents était passée à travers la crise économique des années trente. Puis de la deuxième guerre, qui a largement paralysé la vie sociale ordinaire. Après la fin de la guerre, ceux qui avaient un peu de moyens ont construit des chalets. Tous les chalets sur tous les lacs du Québec datent de cette époque.
Comme il était forestier, mon père savait exactement où bâtir le sien. Il est encore là, c’est moi qui en suis responsable. Un lac de source, surélevé par rapport à la région. C’est une forêt telle qu’elle était il y a deux mille ans.
Dès l’âge de quatre ans, j’y passait toutes mes fins de semaines et tous mes étés. Après avoir voyagé en Europe, en Amérique du Sud, aux Etats-Unis, je me suis aperçu que les endroits sauvages étaient quand même assez rares. C’est une valeur qui est, pour moi, extrêmement précieuse.
En plus, on commence tout juste à comprendre comment les forêts évoluent. Tout va ensemble. Du petit champignon à l’orignal énorme, tout ça est relié. Mais on en sait encore peu. Le mot «écologie» est entré dans le dictionnaire en 1970. C’est hier.
swissinfo.ch: Quelle est le lien entre vos luttes et votre travail de création?
R.D.: Ce lien a toujours existé. A 25 ans, je n’avais jamais pensé gagner ma vie en faisant des chansons et en les chantant sur scène. J’ai toujours fait un paquet de choses. Chaque jour. Je rêvais d’être réalisateur de téléjournaux. Ça n’a pas marché. J’ai tout essayé, rien n’a marché, il ne restait plus rien que la chanson.
En même temps, j’ai commencé à faire des documentaires avec mon partenaires Bob Monderie. Je l’ai connu à l’âge de douze ans, on ne s’est jamais quittés. Ça donne l’occasion de vivre ensemble trois ou quatre mois tous les deux ans. C’est probablement le plus important de tout. Mais j’ai toujours fait des documentaires, des disques. Justement, là au mois d’avril, je sors un album et le prochain documentaire va sortir au mois d’octobre. [Trou Story]. Je baigne là-dedans comme un p’tit cochon dans une boîte, comme on dit.
Débuts. Richard Desjardins est né en mars 1948 en Abitibi-Témiscamingue, dans l’Ouest du Québec. Il apprend le piano avec sa mère, se produit dans sa région dès l’âge de 16 ans, crée le groupe de country-rock Abbittibbi et part à Montréal la trentaine approchant.
Reconnaissance. Après la galère, c’est vers l’âge de 40 ans qu’il éclate, en cavalier seul, auteur-compositeur-interprète. Au tournant des années nonante, ses albums Les derniers humains et Tu m’aimes-tu remportent un beau succès.
Sortie. Depuis, Richard Desjardins a enregistré six albums, dont le fondamental «Boom boom» en 1998 et tourne sur de nombreuses scènes francophones, dont l’Olympia à Paris. Il sortira son nouvel album – L’existoire – en avril.
Pas que…. Un temps professeur de musique chez les Inuits, grand voyageur, engagé pour le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, Richard Desjardins est aussi écrivain et poète (Aliénor, Le vol du Colibri), et réalisateur de films consacrés à la forêt boréale (L’erreur boréale, 1999), aux Algonquins ou encore à l’exploitation minière (Trou Story sortira cet automne).
Officialités. Homme de l’année au Québec en 1999, entrée dans Le Petit Larousse en 2006, docteur honoris causa de l’université du Québec (UQAM), Richard Desjardins a reçu de nombreux prix comme celui de l’Académie Charles-Cros ou, au Québec, le Prix Félix.

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