Rolf Kesselring: Touche pas à mes langues!
«Cartes postales» de créateurs suisses expatriés... Rolf Kesselring, écrivain, ancien éditeur, nous adresse son courrier de la région de Nîmes.
C’est Émile Gardaz qui, un jour, alors qu’il présentait une émission qui m’était consacrée, avait osé dire en parlant de moi: «(…) sincèrement, je le crois plus patriote que bien des colonels de l’EMG à Berne!» Imaginez ma surprise.
Vous avez dit patriote?
Cette notion de patrie, me paraissait alors archaïque, dérisoire. Moi, je rêvais du monde. C’était le temps des Beatles de Dylan, de Brassens, de Léo Ferré et de la révolution sexuelle.
L’utopie courait les rues de Paris. A Bâle, des étudiants avaient hissé un panneau sur un tas de pavés que la municipalité de la cité rhénane avait, imprudemment, fait déposer devant l’Hôtel de Ville.
Celui-ci disait: «Nous remercions les édiles pour les munitions, mais nous n’en avons pas encore besoin». C’étaient ces années passionnées où des Lausannois goguenards voulaient «raser les Alpes» pour enfin voir enfin la mer… Vous comprendrez que j’avais du mal à me sentir patriote dans ce contexte d’humour, d’espoir et de délire.
La question qui tue
Des années plus tard, alors que je n’arrêtais pas d’hésiter entre la Suisse et l’étranger, un journaliste de ma connaissance m’avait posé la question qui tue: «Kesselring, vous qui avez proclamé, avec d’autres, qu’il était interdit d’interdire… Qu’en pensez-vous, aujourd’hui?
«Un quart de siècle avait passé sur mes utopies et moi, le bavard invétéré, le pirouetteur patenté, le dialecticien infernal, je n’ai pas su que répondre. Pour la première fois, j’ai fermé ma grande gueule.
De la Suisse dans les idées?
Depuis, avant d’affirmer, de fustiger, de battre la campagne, je retourne sept fois ma langue dans ma bouche, histoire de ne pas dire de bêtises. C’est ainsi que les paroles de Gardaz me sont revenues…
Depuis que je vis hors du pays, expatrié, j’allais dire banni, ma bibliothèque s’est garnie du côté helvetica: Histoire de la Confédération, Chroniques de Tschudi, Les Alpes de Müller, Histoire du Jura, du Rhône, du Rhin, j’ai même racheté toute une édition de Jeremias Gotthelf!
L’Émile avait donc raison, je ne suis qu’un patriote… Et même, quelquefois, le cerveau incendié par les petits vins du Languedoc, je suis fier d’expliquer nos disparités confédérales, nos sept siècles de communauté démocratique, nos quatre langues nationales…
Quatre langues nationales ?
Ces soirs-là (et le vin n’y est pour rien, je le jure!), j’explique à qui veut l’entendre, que nous parlons, allemand, français, italien et… romanche. Celle-là je la garde toujours pour la fin, histoire de provoquer une surprise! «Oui Monsieur, quatre langues officielles!»
Je certifie à tour de bras, je sors un billet de banque de ma poche, montre les libellés multilingues. Je patriote à mort! Gardaz était un visionnaire! Pourtant, il y a peu, lors d’un voyage en Suisse, j’ai été choqué par les camions et les cabines téléphoniques. Les inscriptions proclamaient: «Swisspost» et «Swisscom»! En anglais! En british! Alerté, j’ai découvert que cette pratique était très répandue, comme si nos autorités, nos décideurs, avaient honte de s’exprimer dans nos langues nationales!
Alors, forcément, mon patriotisme ordinaire n’a fait qu’un tour J’ai décidé de créer un front de préservation de nos langues à nous. Je l’ai appelé: «Touche pas à ma langue!» J’en suis le membre érigé contre cette marée anglicisante, et j’ai, en plus, décidé d’écrire ce papier pour swissinfo… à tout hasard.
swissinfo/Rolf Kesselring
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