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«Je m’étonne qu’il ne soit pas arrivé malheur à Madoff»

Bernard Madoff est en liberté sous caution. Un juge de la Cour fédérale de New York a rejeté le 14 janvier dernier une demande d'incarcération émanant du parquet. Reuters

L'escroquerie montée par l'ancien gourou de Wall Street Bernard Madoff s'est soldée par des pertes à hauteur de 50 milliards de dollars. L'avocat Marc Bonnant s'apprête à défendre des banques genevoises grugées par le financier américain. Interview.

C’était, il y a trente ans. Marc Bonnant obtenait l’acquittement de Bernie Cornfeld, prétendu escroc et financier de génie.

Aujourd’hui, l’avocat défend des banques genevoises dont les clients ont été lésés par l’escroquerie de Bernard Madoff, qui a notamment touché l’UBP, la Banque Bénédict Hentsch ou encore Notz et Stucki.

swissinfo: D’un Bernie Cornfeld à l’autre, d’une époque à une autre, ces deux affaires sont-elles comparables?

Marc Bonnant : Je comprends la tentation de l’analogie – elle vient de l’incrédulité, de l’indignation, du vertige des chiffres – mais elle ne tient pas.

Madoff est un inventif qui a prétendu réaliser des investissements alors qu’il n’a jamais investi un centime. Il a joué sur la présomption de compétence, sur l’autorité qu’il tirait de sa fonction d’ex-patron du Nasdaq et, plus subtilement, il a donné à croire à quelques soi-disant élus qu’il ne saurait réserver ses conseils au vulgaire et lui offrir, comme à eux, une place au banquet des dieux.

swissinfo: Cornfeld, ça n’était pas cela?

M.B.: Pas du tout. Bernie Cornfeld a, en quelque sorte, inventé les fonds de placement où chaque petit épargnant pouvait prétendre à une part d’un ensemble. Sa société IOS a longtemps investi avec succès. Après son entrée en bourse, la progression n’a plus été la même et la cote a chuté.

Mais ceux qui portèrent plainte se rétractèrent et le parquet finit par abandonner l’accusation. Avant que le verdict ne tombât, on nous demandait où souscrire des actions IOS!

swissinfo: Vous-même aviez de la sympathie pour Cornfeld?

M.B. : Oui. Premier désordre, il n’était pas protestant mais juif, il n’avait pas cette contention calviniste de bon aloi, il aimait les femmes et la table. Et puis il venait de nulle part, n’était pas le représentant de la huitième génération de patriciens genevois. Il incarnait un malentendu sociologique.

swissinfo: Bernard Madoff est en liberté sous caution. Choquant?

M.B. : Juridiquement non car il n’y a ni risque de fuite, ni de récidive et il a reconnu les faits. Mais si on admet que la justice a pour fonction, non seulement de châtier les coupables ou de constater l’innocence mais aussi de renforcer la confiance de tous dans la justesse des lois et la fonction sacrale des juges, alors la liberté de Madoff est un scandale.

Je m’étonne d’ailleurs qu’il ne lui soit pas encore arrivé malheur. Car des victimes pourraient considérer sa liberté comme une provocation, voire une offense à leur drame.

swissinfo: La Commission fédérale des banques (CFB) devra-t-elle s’expliquer sur son assentiment à la distribution des fonds Madoff en Suisse?

M.B. : Quelques-uns tenteront de lui chercher querelle, mais ces actions ne seront pas victorieuses. Car le contrôle des fonds était du ressort de la SEC, l’organe de contrôle américain. Quant aux gérants, le même argument peut être servi. Sauf à prouver qu’ils auraient manqué à l’un de leurs devoirs: information, diversification et vigilance.

swissinfo: L’affaire Madoff sonne-t-elle le glas du capitalisme financier?

M.B. : Ce cas n’appartient pas par nature à la longue série d’affaires qu’elle clôt. Lehman Brothers est une faillite de gestion, Madoff une escroquerie. Pourtant, les phénomènes sociologiques s’articulent non pas autour de la vérité mais de l’apparence et des symboles.

Dieu que la guerre est jolie pour les zélateurs de l’économie planifiée. L’actualité leur permet d’aligner banqueroute sur déroute, abus sur excès. Pour eux l’affaire Madoff, la déroute Lehman, les bonus exorbitants, les parachutes dorés sont les métastases d’un même cancer, l’économie de marché. Le glas sonne et c’est pour elle.

Mais on verra ensuite qu’on ne peut pas juger un système par ce qui lui est exorbitant. Très vite, la vie et son mouvement feront éclater les carcans provisoires des réglementations nouvelles.

swissinfo: interview, Laure Lugon Zugravu/Bilan

Le système utilisé par Bernard Madoff est connu sous le nom de «chaîne de Ponzi», du nom de Charles Ponzi, immigrant italien arrivé en 1903 aux Etats-Unis avec 2 dollars 50 en poche et qui devint millionnaire en quelques mois en 1920.

La différence. Ponzi achète des coupon-réponse internationaux, qui servent alors à affranchir le courrier depuis n’importe quel pays du monde. Du fait de l’inflation en Europe, ces bons sont moins cher en Italie qu’aux Etats-Unis. Ponzi revend donc ses coupons aux postes américaines et empoche la différence. Jusque là, tout est parfaitement légal.

Les suivants. Ponzi crée ensuite une société qui promet un rendement de 50% en 45 jours. En quelques mois, 17’000 investisseurs lui confient plusieurs dizaines de millions de dollars. Mais on s’aperçoit rapidement que Ponzi rémunère les premiers clients avec les sommes confiés par les suivants, sans avoir acheté pratiquement le moindre coupon-réponse.

Récidiviste. Le système s’effondre alors immédiatement et Ponzi est condamné à cinq ans de prison. Récidiviste dès sa sortie, il y retournera jusqu’en 1934.

Escroquerie.
Depuis, son système d’escroquerie dite «pyramidale» refait régulièrement surface, qu’il se nomme «jeu de l’avion», «marketing multi-niveaux», «cercle d’abondance» ou autres appellations alléchantes.

Commissions. Le principe est toujours le même: les profits annoncés ne proviennent pas (ou pour une toute petite part seulement) d’une vraie activité économique, mais du recrutement de nouveaux «clients». Dès que ce recrutement s’épuise, le système s’effondre et ne sont gagnants que ceux qui ont quitté le navire à temps et bien entendu, l’organisateur ou le banquier, qui n’a jamais manqué de prélever ses commissions.

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