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L’Afrique de l’Ouest veut une plus grande part du gâteau au chocolat de l’Europe

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Credit: Andia / Alamy Stock Photo

En Côte d'Ivoire, la culture et l'exportation de fèves de cacao sont des activités importantes, mais à faible marge et volatiles. Une stratégie gouvernementale visant à stimuler le secteur de la transformation pourrait donner au pays une part plus rentable et plus stable de la barre chocolatée.

Pendant des décennies, les producteurs de cacao d’Afrique de l’Ouest ont regardé de loin la partie la plus rentable de l’industrie du chocolat, qui était empochée par l’Europe, le plus grand bloc manufacturier du monde. En 2021 encore, alors que le marché mondial du chocolat valait 113 milliards de dollars, l’Europe se taillait la part du lion: 47%, selon un rapport de Grand View Research, un cabinet d’études de marché basé aux États-Unis.

Il n’est guère surprenant que les pays africains se soient battus pour obtenir une plus grande part du gâteau en remontant la chaîne de valeur. En plus de cultiver et d’exporter des fèves brutes, ils ont jeté leur dévolu sur l’activité à marge plus élevée de la transformation du cacao. Soit la torréfaction et le broyage des fèves en produits transformés, notamment en poudre, en pâte, en gâteau et en beurre, qui sont utilisés pour fabriquer du chocolat. La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de fèves de cacao, qui représente environ 43% du total mondial, a ouvert la voie.

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Plus près de chez nous 

Bien que le gouvernement offrait déjà des incitations aux entreprises pour stimuler la capacité de transformation nationale, le président Alassane Ouattara a fixé, en 2020, un objectif ambitieux: transformer 100% des fèves de cacao ivoiriennes sur le sol national d’ici 2025 (le statut actuel est d’environ 33%), une échéance qui a ensuite été repoussée à 2030. Le gouvernement a également décidé d’augmenter les investissements publics dans les installations de transformation du cacao, alors même que les transformateurs étrangers renforçaient déjà leur empreinte.

Selon l’Organisation internationale du cacao (ICCO), au cours de l’année cacaoyère 2021/2022 qui s’étend d’octobre à septembre, la nation ouest-africaine n’a transformé que 675’000 tonnes de fèves de cacao, soit un tiers de la récolte de 2,1 millions de tonnes. Les 1,4 million de tonnes restantes ont été exportées sous forme de fèves brutes, principalement en Malaisie et aux Pays-Bas, où elles ont été transformées et revendues à des fabricants.

L’accent mis par le pays sur l’augmentation de sa capacité de transformation pourrait être visionnaire, car les fabricants de chocolat européens sont soumis à une pression croissante pour s’assurer qu’ils s’approvisionnent en ingrédients de manière éthique et durable. 

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L’achat de produits transformés à base de cacao plus près des exploitations agricoles où les fèves sont cultivées aidera les chocolatiers à garder la trace de la source de leurs ingrédients, selon le géant alimentaire suisse Nestlé, qui fabrique une gamme de confiseries de milieu de gamme, dont Kit-Kat et Smarties.

«Nous pensons qu’une capacité de broyage accrue dans les pays d’origine pourrait contribuer à augmenter la transparence et la traçabilité dans la chaîne d’approvisionnement du cacao et aider à ajouter plus de valeur dans les pays d’origine», a déclaré un porte-parole de Nestlé à swissinfo.ch. 

La promesse d’Alassane Ouattara s’est appuyée sur les politiques gouvernementales existantes pour encourager les investissements dans la transformation nationale du cacao. En 2017, il a réintroduit des incitations financières pour les transformateurs multinationaux, afin de les encourager à investir davantage dans le secteur de la transformation nationale. Les taxes à l’exportation sur les produits cacaotés transformés ont été réduites pour les entreprises qui s’engageaient à développer leurs installations dans un délai de cinq ans. Au lieu d’un taux global de 14,6%, les taxes sur les exportations de beurre de cacao ont été diminuées à 11%, de pâte de cacao à 13,2% et de poudre de cacao à 9,6%.

Les mesures incitatives ont porté leurs fruits. La société zurichoise Barry Callebaut, qui se présente comme le premier fabricant mondial de chocolat et de produits à base de cacao de haute qualité, était le plus grand transformateur de cacao en Côte d’Ivoire, avec une capacité de près de 200’000 tonnes via sa filiale Société africaine de cacao (SACO). En 2019, elle a inauguré une unité de transformation près de la capitale Abidjan, sur la côte sud-atlantique, dans le cadre d’un investissement de 55 millions de francs suisses étalé sur cinq ans visant à accroître de 40% sa capacité de transformation dans le pays.

Si le secteur de la transformation du cacao en Côte d’Ivoire a été dominé par Barry Callebaut, Cargill et Olam, qui a racheté l’activité cacao d’ADM en 2015, le pays attire de nouveaux investisseurs, notamment asiatiques. Cela est dû en partie à un accord commercial préférentiel avec l’Union européenne (UE), connu sous le nom d’accord de partenariat économique (APE), qui est entré en vigueur en 2016. À l’exception des armes et des munitions, l’UE ouvre pleinement et immédiatement ses marchés à toutes les importations en provenance de Côte d’Ivoire et du Ghana.

D’autres incitations pour les investisseurs dans les usines de transformation du cacao comprennent un impôt de zéro pourcent sur les sociétés pendant les cinq premières années (suivi d’une réduction de 50% du taux normal pendant les cinq années suivantes) et des droits de douane nuls sur l’importation de certaines machines de transformation.

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La Chine s’implique 

L’incursion du gouvernement dans la transformation du cacao se fait principalement par le biais de Transcao, une société à vocation spéciale créée par le conseil du cacao du pays. En 2019, cette société a repris une usine à San Pedro, une ville du sud-ouest qui est le deuxième plus grand port du pays. L’installation appartenait à l’origine à l’un des plus grands exportateurs de cacao du pays mais, criblée de dettes, l’entreprise a été mise en liquidation en 2018. Il est prévu d’étendre sa capacité à 50’000 tonnes, contre 30’000 tonnes auparavant, en installant une deuxième ligne de production d’ici à la fin de 2023.

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L’usine a obtenu des certifications de sécurité alimentaire qui ont facilité l’exportation de produits cacaotés à l’étranger. François Hume

«Nous avons hérité d’une usine qui ne produisait pas la meilleure qualité sur le marché», explique à swissinfo.ch Marc Toba, le directeur du site, qui a fait visiter les lieux à notre reporter. «Notre défi était d’inverser la tendance, et c’est ce que nous avons réussi à faire».

L’usine ne fabrique actuellement que de la pâte de cacao. «Une fois qu’elle sera entièrement prête, nous produirons du beurre, du gâteau et de la poudre de cacao qui seront vendus sur les marchés internationaux», déclare Marc Toba. «Nous espérons également fabriquer du chocolat fondu».

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Marc Toba, le responsable du site, espère voir le label Transcao dans les chocolateries du monde entier. François Hume

Les produits semi-finis à base de cacao sont vendus à des chocolatiers aux États-Unis, en Europe et en Asie grâce à un partenariat avec le groupe français Touton et la société américaine KSW Global. 

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La masse de cacao produite dans l’usine est destinée à l’exportation. François Hume

Transcao est également à l’origine d’une nouvelle usine à Youpougon, qui aura une capacité de 50’000 tonnes. Le président Ouattara a lui-même posé la première pierre lors d’une cérémonie en septembre 2020, affirmant que l’usine allait non seulement «générer de la valeur ajoutée et des emplois pour les Ivoiriens, mais aussi des recettes pour le budget de l’État. Le projet va considérablement améliorer le volume des investissements déjà réalisés dans notre pays.»

Parmi les personnalités présentes à la cérémonie figurait une délégation de l’ambassade de Chine. L’empire du Milieu est devenu l’une des principales sources de financement dans le secteur de la transformation du cacao en Côte d’Ivoire. Elle a jusqu’à présent accordé quelque 216 milliards de francs CFA (354 millions de francs suisses) de prêts qui couvrent également la construction de deux entrepôts de stockage, d’une capacité totale de 300’000 tonnes, destinées à stocker les fèves de cacao pour les vendre à des prix élevés en période de forte demande.

En contrepartie, la Chine bénéficiera d’un accès préférentiel au cacao ivoirien, 40% de la production des deux usines de Transcao étant réservés aux entreprises chinoises. En outre, le mandat de supervision des travaux de construction a été attribué à China Light Industry Design Co (CNDC), une filiale du géant public China Haisum Engineering. L’augmentation de 100’000 tonnes de la capacité de transformation de Transcao, financée par la Chine, devrait accroître de 14% la capacité de transformation totale de la Côte d’Ivoire et la porter à plus de 800’000 tonnes lorsque l’usine sera opérationnelle (estimation pour le quatrième trimestre de cette année).

Changement structurel

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L’ICCO prévoit que la capacité de transformation du cacao en Afrique de l’Ouest va continuer à augmenter. «Les incitations fiscales et, sur les marchés nationaux réglementés par l’État, les subventions pour la transformation des récoltes de la mi-campagne sont les principaux outils politiques», a déclaré Carlos Follana, porte-parole de l’ICCO.

Les politiques de la Côte d’Ivoire contribuent à un changement structurel de la part du cacao transformé dans le monde, en particulier pour les produits semi-finis qui ont des marges plus faibles. La part de l’Afrique dans la transformation a augmenté de 8% au cours de l’année cacaoyère 2021/2022. En revanche, l’Europe, qui reste le premier broyeur de cacao au monde, a connu une croissance de seulement 2,3%, bien que l’impact de la guerre en Ukraine ait pu jouer un rôle dans cette faible augmentation en raison de la hausse des coûts énergétiques, selon le rapport trimestriel de l’ICCO sur le marché du cacao publié en septembre 2022.

L’Amérique du Nord – qui représente 18% de la transformation mondiale de cacao – pourrait être un signe des choses à venir pour l’Europe. Les broyages en Amérique du Nord ont chuté de près de 3,5% au cours de l’année cacaoyère 2021/2022. Dans le même temps, les importations nettes de produits semi-finis de cacao ont augmenté de 22% au cours des neuf premiers mois de 2022, ce qui suggère «que la baisse observée dans les broyages dans la région est en quelque sorte compensée par l’importation de cacao transformé à l’étranger», note le rapport de l’ICCO. 

Traduit de l’anglais par Kessava Packiry

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