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«Un accord très professionnel, loin de toute démagogie»

Keystone

La Suisse et les USA ont signé autour d'UBS un accord «favorable» qui ne crée pas la brèche tant redoutée dans le secret bancaire suisse, juge Cédric Tille, ancien collaborateur de la Réserve fédérale américaine et professeur à l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève.

L’accord signé mercredi entre en vigueur avec effet immédiat. Il prévoit que les Etats-Unis retirent la requête visant à obtenir l’identification de 52’000 titulaires de comptes devant le tribunal compétent de Miami dans le cadre de la procédure civile contre UBS.

L’accord implique aussi une entraide administrative entre les gouvernements suisse et américain sur «quelque 4450 comptes» de clients américains de la banque.

swissinfo: Comment réagissez-vous face à cet accord?

Cédric Tille: C’est un accord qui évite une bagarre entre la Suisse et les Etats-Unis. Je le trouve assez favorable… Il est très positif de voir que les deux pays ont pu s’arranger à l’amiable et sans passer par un procès.

Pour la Suisse, l’accord est favorable au sens que le droit suisse sera utilisé. La convention [de double imposition] existante n’a pas besoin d’être changée dans son essentiel. Les requêtes se feront par le biais de la procédure administrative maintenant le droit de recours auprès du tribunal administratif. Autrement dit, la Suisse n’a pas dû se plier à la loi américaine en violation du droit suisse.

L’absence d’amende est aussi un point positif vu la situation [financière] difficile d’UBS. Quant au nombre de noms – 4450 -, il est substantiel. Cela dit, la nouvelle procédure mise en place et l’existence d’aspects concrets justifiant l’annonce des noms évite qu’elle ne prenne la forme d’une «fishing expedition» [harponnage à large échelle d’abuseurs potentiels du fisc].

swissinfo: Voyez-vous des points qui fâchent dans cet accord?

C.T.: Pas vraiment. Dans toute la négociation, ces derniers mois, il y a eu des moments de tension. Mais on voit que les Américains n’ont pas cherché à blesser UBS pour le plaisir. Au final, cet accord est très professionnel, il évite toute démagogie.

swissinfo: Les Etats-Unis ont demandé que ne soient pas publiés les critères de fraude et d’infraction pour les 4450 noms en question avant 90 jour. Pourquoi?

C.T.: Le délai pour l’auto-dénonciation [des fraudeurs au fisc américain] court encore et ils préfèrent conserver une ambigüité qui permettra de pousser certains à se dénoncer, même s’ils ne sont pas les auteurs de montage financier qui tomberait strictement sous le coup de l’accord. Ce manque de clarté est une incitation pour les contribuables à se mettre en règle avec le fisc. C’est de bonne guerre.

swissinfo: Peut-on affirmer que pour UBS, les soucis aux Etats-Unis sont derrière?

C.T.: Je l’espère. La leçon a été très douloureusement apprise. D’ailleurs, elle n’aurait pas dû avoir à être apprise, dans cette histoire où UBS est tout de même allé assez loin… Nous n’aurons probablement plus droit à ce type de débauchage de clients américains pour ce genre d’arrangements offshore.

Le fait que cette affaire soit réglée à l’amiable lève un gros poids sur les perspectives d’affaires d’UBS aux Etats-Unis. Il faut se rappeler qu’il y a quelques semaines, les Américains signalaient qu’ils pourraient saisir les affaires américaines de la banque…

Un aspect frappant, aussi, est que bien des banques sont en train de se retirer de la gestion de comptes américains en offshore, vu la charge administrative induite par l’IRS (fisc). (…) C’est la preuve que cette activité n’était pas si essentielle.

swissinfo: Cet accord préserve-t-il le secret bancaire suisse?

C.T.: Oui, l’aspect essentiel étant que la procédure se fera sous droit suisse, maintenant le droit de recours. La procédure est un peu accélérée, une demande raisonnable à mon sens de la part des Américains. Mais sans du tout nous placer dans une situation de violation de l’ancienne convention de double imposition.

swissinfo: Pas de risque supplémentaires donc que des pays comme l’Allemagne ou la France profitent de cette situation?

C.T.: Les Etats-Unis n’ont pas ouvert de brèche. S’ils avaient obtenu une suspension du droit suisse, une annulation du droit de recours par exemple, il est clair que d’autres pays se seraient engouffrés dans la brèche.

Mais ici, l’essentiel est sauf au niveau du fonctionnement des institutions juridiques suisses. Il n’y a donc pas tellement de cartes à jouer. Bien entendu, les pressions se maintiendront. Mais ces pays ne pourront pas se prévaloir d’une exception offerte aux Etats-Unis pour demander le même genre de traitement. La pression restera gérable.

swissinfo: Dans cette affaire UBS aux Etats-Unis, le gouvernement était-il vraiment contraint de s’engager si loin?

C.T.: Contraint, oui, dans le sens où la taille d’UBS lui interdisait de prendre le risque qu’UBS se retrouve à terre. Cette banque joue un rôle énorme sur le marché domestique. C’est la raison qui explique que nous ayons affaire à un accord entre deux gouvernements. UBS fera ce qu’on lui dit de faire, la négociation a eu lieu entre les Etats.

La taille des deux géants de la banque suisse, qui représentent presque un tiers du marché interne, sera le problème auquel devra faire face la Suisse ces prochaines années sur le plan structurel. Même sans comportements qui violent les lois, ces banques peuvent très bien avoir des rendements faibles ou des pertes sur certains actifs et présenter un danger systémique énorme. Cette affaire rappelle une nouvelle fois le danger d’un système dominé par deux acteurs.

swissinfo: Y a-t-il au final un enseignement à tirer de cette affaire UBS aux Etats-Unis?

C.T.: Ne jamais oublier cette règle d’or: quoi que vous fassiez, n’allez pas provoquer Oncle Sam. Il finit toujours par se réveiller. Ce qui fait toujours mal.

La question est aussi: comment se fait-il que des comportements pareils se soient produits dans une des premières banques suisses sans que la direction n’y ait mis le holà? Il n’est pas besoin d’être fin juriste pour se rendre compte que, lorsqu’on en vient à devoir utiliser des noms de code, quelque chose n’est pas normal.

swissinfo: Le parti socialiste suisse a du reste déposé plainte pénale contre Marcel Ospel et Peter Kurer, deux anciens dirigeants de la banque. Justifié, selon vous?

C.T.: Cela fait grincer bien des dents mais je trouve cette initiative plutôt positive. Je ne suis pas de sensibilité socialiste, mais l’Etat de droit doit fonctionner.

Les dirigeants d’UBS étaient-ils au courant des pratiques en cause, il appartiendra au tribunal de le dire formellement. Mais je doute du contraire, vu l’ampleur de ces pratiques. Et dans l’autre cas, ce serait encore plus inquiétant. Cela signifierait que cette grande banque était un bateau à la dérive où le capitaine ne savait pas ce que faisait une partie de l’équipage.

Il est donc nécessaire de faire la lumière, quelle que soit la forme – plainte pénale, commission du parlement. Il faut éviter que, le vent du boulet passé, on en revienne au «business as usual». Des leçons doivent être tirées.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Plainte. En février dernier, les autorités fiscales américaines (IRS) ont déposé une plainte auprès du Tribunal fédéral de Miami pour tenter d’obliger UBS à fournir la liste de 52’000 clients soupçonnés de fraude fiscale.

Défense. Pour la Suisse, cette plainte est contraire aux accords de double imposition en vigueur avec les Etats-Unis. Berne a affirmé qu’elle poursuivrait UBS si la banque communiquait les 52’000 noms à l’IRS.

Accord de principe. Vendredi 31 juillet, les parties au conflit, soit les gouvernements américain et suisse ainsi que UBS, ont annoncé être parvenues à un accord extrajudiciaire de principe. Elles se sont alors donné une semaine pour finaliser cet accord.

Enfin
. Vendredi 7 août, à la suite d’une nouvelle conférence téléphonique entre les parties, le juge Alan Gold, du Tribunal fédéral de Miami, a accordé un nouveau délai au mercredi 12 août pour finaliser l’accord, jour de l’annonce tant attendue. La signature est intervenue une semaine plus tard.

Exposition. UBS est l’une des banques les plus touchées par la crise financière débutée en 2008. Elle a été particulièrement exposée aux mauvais risques sur le marché américain.

Déficit. L’année 2008 s’est soldée par un déficit historique de presque 20 milliards de francs, contre «seulement» 5,2 milliards l’année précédente. Au premier semestre 2009, sa perte a atteint 1,4 milliards de francs.

Sorties. Les retrait d’argent de la banque ont atteint 39,4 milliards de francs sur les six premiers mois de 2009 (14,9 milliards de francs au premier trimestre et 85,8 milliards trois mois auparavant).

Sauvetage. La Confédération suisse a volé au secours d’UBS. Elle a injecté 6 milliards de capital dans la banque (emprunt convertible) et chargé la Banque nationale de créer une structure pour reprendre les «fonds toxiques» d’UBS.

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